Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Seul au monde

par Brahim Chahed

«Notre grand tourment dans l'existence vient de ce que nous sommes éternellement seuls, et tous nos efforts, tous nos actes ne tendent qu'à fuir cette solitude».

Guy De Maupassant - Ecrivain à succès et journaliste littéraire français du XIX Siècle, mort interné et seul à seulement 43 ans.

Robinson Crusoé, le célèbre et inspirant personnage crée par la plume de Daniel Defoe, ne montra aucun enthousiasme à retrouver la civilisation quand, 28 ans après son isolement et sa solitude sur l'ile, pertinemment dénommée autrefois, l'ile du désespoir, il eut l'opportunité, d'enfin, briser sa prison et échapper à son asile à ciel ouvert. Cette fiction historique, inspirée de la vie d'un matelot Ecossais, Alexander Selkirk, dépeint avec beaucoup de sens les effets régressifs de la solitude et de l'esseulement sur la santé mentale au-delà de celle physique de l'homme, cet être social. Jean-Paul Sartre affirmait, sans conviction, je le crois profondément, «L'enfer, c'est les autres» ; l'enfer, en fait, c'est le manque des autres, c'est d'être seul, seul au monde.

La solitude et l'isolement deviennent apparemment le mal du siècle. Le fléau de la solitude, qualifié par moult médias de nouveau tabagisme, présente en outre un risque plus élevé pour la santé que l'obésité. La solitude est un sentiment, celui d'être seul ; l'isolement est le fait d'avoir peu de contact ou pas assez de contact ou encore des contacts de piètre qualité avec autrui. Celui-ci, l'isolement, conduit inéluctablement à la solitude.

Plusieurs études établissent un lien certain entre, d'une part, des variables composant la vulnérabilité sociale telles que la situation socioéconomique, les relations, les soutiens sociaux, la litératie et la situation de vie et, d'autre part, la santé mentale et physique de l'individu.

L'état de solitude, avec tout ce que comporte le mot de sens, est à différencier des moments de solitude ressentis à différents périodes de notre vie. Cet état pourrait être décrit comme un sentiment de non-appartenance, d'être abandonné et mal compris par ses amis, sa famille et ses pairs. Le décrire, cet état, passe par un processus complexe que peu de gens sont capables de démêler, de même, le percevoir reste l'apanage de personnes hautement compassionnelles. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas baladé pédestre en Ville et ce que j'ai vu quand je l'ai fait, ces derniers temps, me choqua.

Errant en Ville, des dizaines de personnes, des marginaux et des êtres à la santé mentale fragile, stressés et anxieux, cassés par les difficultés de la vie, par l'incompréhension et le manque de compassion, se retrouvent seuls. Les gens s'assoient seuls des heures et des heures dans la rue, sur les bancs de jardins publics, ou vont simplement d'endroit à endroit sans raison réelle et sans objectif. Des gens qui se parles à eux-mêmes à hautes voix des fois ou qui, simplement, réfléchissent ou paraissent réfléchir. Si le parcours de chacun peut être diffèrent, ils vivent tous indifféremment les mêmes tragédies, les mêmes déboires et encourent les mêmes risques, la rue, le danger de perdre leur famille, leur travail et leur statut. Mêmes s'ils sont dans des agglomérations urbaines fortement fréquentés, au milieu de centaines voire de milliers de personnes, nous le voyons, nous le ressentons, ils sont seuls et isolés.

Leur itinérance, même si elle est provisoire, pour le moment, semble s'inscrire, avec le temps, dans la normalité sociale et leur errance les stigmatise de par leur enclin à rester seul, à demander qu'on leur offre un café ou une cigarette, à parler à soi, à avoir le regard hagard et vide. Aux difficultés de la vie s'ajoute la désolidarisation de la famille, qui demande toujours plus, des amis qui ne peuvent plus ou pas aider, poussent peu à peu ces derniers vers la rupture et l'esseulement, dans un premier temps chez soi, puis ailleurs dans le rue, dans l'espace urbain, ajoutant ainsi à leur condition une difficulté supplémentaire, un drame insupportable, la solitude.

Ces personnes, écrasées par le poids de la responsabilité matérielle et affective, s'extirpent de leur milieu pour trouver refuge dans la rue qui leur offre un anonymat réconfortant. D'autres, pourtant célèbres et richissimes, vivent la même solitude sous une autre forme, elles vivent recluses dans leurs domaines et se coupent définitivement des gens, des amis et de la famille. Le célébrissime Marlon brandon, Star iconique, adulée et entourée sa vie durant, a vécu ses dernières années dans la solitude et coupé de la réalité et est mort complètement isolé et absolument seul.

Ce phénomène, la solitude, n'est pas Algérien, en Angleterre, où une personne sur sept souffre de solitude, l'ancienne pensionnaire du «10 Downing Street », Theresa May, avait nommé une Secrétaire d'Etat chargée des personnes isolées, afin de lutter contre ce fléau et ses répercussions sur la santé physique et mentale.

Aux Etats-Unis, où on prône le mythe du «self-made man», littéralement, l'homme qui se construit seul, conduit indirectement sa population à s'isoler afin d'atteindre ses objectifs, allant même à vénérer le célibat et instruire la culture du paradoxe du «partage tout seul».

Au Japon, pays de la solitude, du Kodokuschi ou mort solitaire et du hikikomori pour reclus solitaire, où plus de 18 millions de foyer comptent une personne, les jeunes comme les seniors vivent un bouleversement sociétal et n'ont pratiquement aucun lien social.

En France, où le phénomène concerne près d'une personne sur cinq, la solitude ne se cantonne plus que chez les adultes esseulés, mais s'installe horriblement chez les jeunes, particulièrement les pré-adolescents, les inactifs et les personnes en situation d'handicap.

Être seul est une épreuve métaphysique, un état psychologique pénible accentué par les impératifs de notre époque angoissante qui nous renvoie sans cesse à nos limites, démultiplié par le rétrécissement de nos horizons. Être seul n'est ni naturel ni réconfortant, il est perçu comme le signe d'un échec social qui nous transporte d'un vice à l'autre, jusqu'à ne plus s'en sortir.

La vie de milliers de personnes a basculé pour un détail, un tout petit détail. Un père qui n'arrive plus à subvenir aux besoins de sa famille, un senior qui perd son emploi, ou son pouvoir d'achat, un petit écolier, victime de harcèlement, qui ne trouve pas une oreille attentive, un pré-adolescent au sein d'une famille qui lui donne l'impression de ne pas être écouté, un vieux retraité, veuf, qui ne voit plus ses enfants, se sentant de plus en plus seul et inutile, un homme ou une femme, victime d'un accident quelconque de la vie, qui ne trouve aucun soutien.

Ce fléau ne disparaitra certainement pas de lui-même, trop peu de solutions concertes existent pour réduire ce qui est reconnu comme un véritable problème sociétal, il faut de la présence pour le contrecarrer. Je lance un SOS à tous, nous sommes à quelques jours du 23 janvier, journée mondiale des solitudes, soyons attentifs aux personnes qui nous entourent, aux changements de leurs habitudes, à leurs absences répétées, aux signaux inaudibles et aux messages subliminaux envoyés, perçus ou même imaginés, à leurs soucis et leurs besoins, leurs détresses et leurs peurs, ne laissons personne toute seule, soyons tous unis (présent) contre la solitude.