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L'Algérie version Thalassa

par Mohammed Beghdad

L'évènement médiatique de la semaine a été, sans aucun doute, le documentaire consacré au littoral algérien de l'émission Thalassa de France 3, intitulé « Algérie : la mer retrouvée » et diffusé en prime-time au cours de cette soirée de ce vendredi 3 avril 2015 et qui a été suivi en France, selon les médias d'outre-Méditerranée, par pas moins de 2,63 millions de téléspectateurs.

Par contre, on ne dispose d'aucun chiffre sur l'audimat local algérien mais certainement cela a fait carton plein lorsqu'on sait que les Algériens sont friands et consommateurs à volonté de tout ce qui vient de l'étranger à défaut d'alternatives locales. Avec l'Unique, comme génitrice et pionnière de toute cette brusque floraison de chaînes pseudo-privées, on redoute à coup sûr en haut lieu que des outils, comme la mesure de l'audimat, les remettent à leur rang de derniers de la classe. Elle, qui feint de se croire le nombril de l'Algérie avec son JT de 20 heures, squatté à longueur d'années par les dirigeants et où la parole du peuple est la plus inaudible possible.

De surcroît, les chaînes de télévision algériennes qui ont vu le jour ces dernières années ont été créées à première vue dans d'autres buts occultes qui ne servent absolument les tangibles desseins du pays mais, ne sont là que pour détourner l'attention des citoyens des véritables enjeux et défis majeurs du futur. Au fait, leur intention est d'abêtir un peu plus ce qui reste encore debout comme éveil et consciences. Il n'y a qu'à constater amèrement le niveau lamentable des débats qui passent à longueur de soirées.

Comme par exemple, ces images insoutenables de malades qu'on fait défiler sur les écrans, demandant l'aide des âmes charitables en omettant de discuter les problèmes de fond sur le droit des Algériens à être soignés équitablement et le manque flagrant des médicaments dans nos hôpitaux ou pourquoi certains favorisés meurent dans la dignité dans un grand hôpital parisien et les indigènes de seconde zone souffrent dans des conditions les plus effroyables et les plus misérables. Heureusement que les souterrains des tombes ne sont pas catégorisées en étoiles. On ne peut que se poser la question si ces chaînes militent pour la construction d'un pays moderne avec des institutions authentiques ou bien prêchent pour la création d'une zaouïa à ciel ouvert.

Durant la dernière Coupe d'Afrique, elles se sont toutes reconverties, du matin au soir, au foot, travestissant l'essentiel de l'actualité telle que la question du gaz de schiste et la critique de la politique gouvernementale à la suite de la chute des prix du baril, effectuant un virage à 180 degrés alors qu'il y a à peine quelques mois, surtout durant la dernière campagne électorale présidentielle, tous ces courtisans pavoisaient sur les toits, déclarant en bombant le torse que rien ne les touchait comme s'ils étaient immunisés de toute crise et lavés de tout soupçon. Ce n'est donc pas pour rien qu'aucune demeure en Algérie ne peut échapper à la parabole, même les plus démunis en sont pourvus. Ces assiettes, comme on aime ainsi à les nommer au pays, sont toutes orientées vers le Sud, mais ce sont les pays du Nord qui sont bien visés avec les bouquets d'Astra et de Hotbird, pour ne pas dire la France et aussi le Moyen-Orient avec le satellite Nilesat. L'influence culturelle est donc partagée entre ces deux régions.

Le pays peine alors à trouver sa voie entre l'Occident et l'Orient, tiraillé de toutes parts entre ces deux entités. On doute fortement que les chaînes surgies du néant soient prêtes à combler le vide sauf si elles abordent les vrais problèmes et concourent à la levée des divers obstacles politiques connus et reconnus de tous en ouvrant leurs portes aux différents acteurs de la société, sans aucune distinction. Ce n'est donc que par le dialogue sérieux et responsable que l'on peut tirer ce pays vers le haut, vers le meilleur.

Le magasine télévisuel Thalassa nous a montré à quel point nous avons de la chance de vivre dans ce pays et que nous disposons de tous les moyens et de toutes les potentialités pour y vivre heureux pourvu que les politiques à mener par les gouvernants soient conformes aux aspirations de ce peuple et animés de visions lointaines et non pas préoccupés à préparer un 5ème mandat en envisageant tous les scénarios pour sauvegarder leurs peaux. Mais, ce sujet est une autre paire de manches. Il faudrait pour cela rédiger des kilomètres de lignes pour décrire tous les maux et toutes les tares qui freinent son développement et retardent son émergence dans le concert des nations comme nous l'avons jadis entendu à satiété.  

Dans le documentaire de France 3, nous n'avons vu aucun wali ni ministre algérien malgré les aides et les facilitations apportées par ces différents responsables à l'équipe de tournage ainsi que l'autorisation des prises de vues aériennes. On a vu des acteurs différents, des citoyens qu'on croise souvent dans la rue et dans nos quartiers populaires, de l'Algérie basse principalement que de ce qu'on a l'habitude de voir sur nos plateaux de télévision. Les seules citations auxquelles ont eu droit ces messieurs, c'est dans le générique en fin du film. Ni plus ni moins. Nos remerciements légendaires et nos caresses dans le sens du poil n'ont aucun droit de cité.

L'Algérie serait un géant, comme on l'a évoqué dans cette émission, mais ses pieds d'argile pataugent encore dans la boue et l'empêchent de sortir de la gadoue. Il est inconcevable que l'on ne puisse doter le pays d'une constitution pérenne qui survivrait aux hommes. Depuis la constituante de 1963, nous sommes déjà à 4 constitutions avec un amendement en 2008 de celle de 1996. Si cette dernière a quelque peu survécu toutes ces années, la cause provient beaucoup plus de la longévité au pouvoir de l'actuel locataire d'El-Mouradia qui se l'est taillée sur mesure qu'à la constance des institutions. Si on exclut la suspension constitutionnelle entre 1965 et 1976 ensuite de 1996 à 1996, on est certainement dans le lot des pays qui n'ont de la démocratie que le nom. C'est ce qui arrive quand les intérêts personnels priment sur les intérêts suprêmes de la nation.

On mesure maintenant pourquoi les pieds-noirs l'ont quitté les larmes aux yeux avec la perte à jamais d'un vrai paradis sur terre. Ce que les harraga ne perçoivent pas malheureusement sous cet angle. Ils ont l'impression de vouloir quitter l'enfer dans des embarcations de fortune, le plus souvent au péril de leurs vies. Les terribles images de ces morts rejetés par la mer nous dévoilent à quel point les échecs successifs des politiques entreprises sont criards. De notre école jusqu'à notre économie, en passant par la santé, l'université, l'injustice, le piston, la gestion des cités, l'illégitimité des élus locaux et nationaux décrédibilisés, sans omettre l'état lamentable de nos services publics rongés par la bureaucratie régnante?et j'en passe. Ces harraga ne pourraient quitter un paradis pour un autre.

C'est la faillite des hommes qui a fait de ce pays ce qu'il est devenu. Heureusement que la rente est encore là pour cacher toutes ces difformités et dissimuler toutes les imperfections en dopant des budgets jusqu'à ce que l'oseille soit jetée par les fenêtres avec des programmes budgétivores et une corruption battant son plein. Il n'est pas assez sûr que l'argent seul puisse faire notre bonheur. Accorder un crédit à un ignorant dont l'horizon est bouché ou à un lettré illuminé doté d'une longue vue et d'un esprit clairvoyant, l'issue ne peut déboucher que sur deux voies totalement contradictoires et complètement antinomiques. La première mènerait inévitablement vers un cul-de-sac où il serait impossible de rebrousser chemin ; la seconde pourrait entrouvrir de nouvelles perspectives et des investissements sur le long terme. Cela ne pourrait que confirmer qu'on ne peut absolument faire d'un âne un cheval de course.

Pourtant, Thalassa, une émission dédiée à la mer, n'a montré qu'une infime partie des paysages à nous couper le souffre tant au Nord qu'aux Hauts-Plateaux ou dans le Grand Sud. C'est vraiment dommage d'attendre qu'une équipe de télévision étrangère vienne nous révéler tous les trésors que recèlent nos plages presque vierges lorsqu'on les scrute du ciel.

Les réactions sur cette émission ont été multiples sur les réseaux sociaux à tels points que les Algériens eux-mêmes ont été surpris par ces images intenables et époustouflantes sur ces côtes que certains découvrent peut-être pour la première fois. D'autres doutent encore que ces paysages vierges fassent partie du décor du pays dans lequel on vit depuis sa naissance. Pourquoi attend-t-on toujours que l'on découvre le pays à travers les yeux des étrangers. Pourquoi ne savons-nous pas encore déceler ces perles cachées ? Malheureusement nos chaînes de télévision ne savent qu'amplifier les images laides et médiocres qu'ils diffusent quotidiennement et d'une qualité à faire vomir ? Et des sujets à vous faire fuir sans retour devant votre poste. Après avoir raté la première diffusion, j'ai eu le grand plaisir de savourer ce document et en même temps l'enregistrer le lendemain sur la chaîne thématique Planète + Thalassa et, s'il vous plait, en HD (Haute Définition). C'était bien évidemment la cerise sur le gâteau. Depuis, je n'arrête pas de la regarder sous tous les plans. J'ai compris maintenant pourquoi dans le hall de l'aéroport de Constantine, on ne se lasse pas de diffuser en boucle sur des écrans géants la vidéo vue du ciel de la ville réalisée par le non moins célèbre Yann Arthus-Bertrand, datant du mois d'août 2013. J'ai bien la crainte de ne pas encore voir de concurrents à ces images pour la promotion de l'évènement de Constantine « capitale de la culture arabe ». Faute d'autres éventuels choix, les jeunes du réseau social Facebook redemandent et raffolent de ces images de l'Algérie de Thalassa.

Selon le site Algérie-Focus, l'ambassade de France, pour ainsi dire apporter son grain de sel et tirer un profit non négligeable en misant sur l'avenir, va rediffuser du 4 au 9 avril, ce documentaire à travers un périple d'ouest en est dans 5 villes (Tlemcen, Oran, Alger, Constantine et Annaba) suivi de débats axés principalement sur la préservation de l'environnement, en présence de l'un de ses réalisateurs. Tout en étant auréolée de son titre de première destination mondiale en matière de tourisme avec un chiffre record de 83,7 millions de touristes étrangers (soit 7 millions par mois ou 230000 par jour !), avec tout son indéniable savoir-faire touristique et toute son emprise multiculturelle sur l'Algérie, la France, en quête de nouveaux horizons, ne lâche pas le gros morceau en caressant dans l'ombre l'idée d'être omniprésente le jour où les portes de cette Algérie, fraîche touristiquement, lui seraient grandes ouvertes en ne ratant pas le jour de l'ouverture des plis avec un accueil et un retour à bras ouverts.