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L'avenir du printemps arabe se joue au Bahreïn

par Kharroubi Habib

La sanglante guerre civile dont la Libye est le théâtre relègue au second plan de l'actualité médiatique et des préoccupations diplomatiques internationales les évènements qui secouent le Bahreïn. Dans cet émirat, le peuple est lui aussi dans la rue, déterminé à en finir avec la monarchie autocratique régnant depuis deux siècles sur le pays et à lui substituer un régime républicain démocratique.

 Plus que la chute quasi certaine de la dictature de Muammar Kadhafi, le succès de l'intifada populaire au Bahreïn fera que le printemps démocratique à l'œuvre dans le monde arabe atteindra par contagion des Etats de la région supposés être à l'abri de ses effets. Cela, les chancelleries et les médias occidentaux ne sont pas sans le savoir. Mais si les seconds accordent un intérêt secondaire aux évènements du Bahreïn, sacrifiant ainsi au réflexe de privilégier le «sensationnel», les premières les occultent par calcul délibéré. Il y a au Bahreïn une situation inédite dans laquelle se concentrent tous les ingrédients pouvant donner naissance à une reconfiguration dans le Golfe et en Arabie que leurs experts les plus chevronnés ont été loin d'avoir envisagée. Dans cet émirat, les contestataires sont passés de la revendication de plus de démocratie à celle de l'abolition de la monarchie. Il se trouve que cette revendication est portée par des manifestants issus de la communauté religieuse chiite, majoritaire en terme de population dans le pays. Un mélange détonant que l'Amérique et les Européens, faisant une fixation sur le danger hégémoniste que représenterait l'Iran chiite, ne savent comment faire avec. Ce sont eux qui, de toute évidence, ont «conseillé» à la famille régnante des Al-Khalifa la retenue que le pouvoir observe en terme de gestion de la contestation populaire dont elle est en butte.

 Mais le statu quo que l'attitude de la famille régnante fait momentanément durer va devenir intenable du fait de la détermination populaire à aller au bout du changement exigé. D'autant que les Al-Khalifa sont l'objet de pressions des autres familles régnantes de la région, affolées par la crainte de la contagion de l'exemple du Bahreïn à leurs royaumes et émirats. Pressions les poussant à recourir à la répression, à laquelle plusieurs de ces familles régnantes n'hésiteront pas à participer en lui prodiguant aides et soutiens multiformes.

 L'Amérique et l'Europe ne peuvent, sans se déjuger, ignorer le caractère démocratique et libertaire du mouvement populaire du Bahreïn. Toutefois, ils en saluent du bout des lèvres la survenue. Conscients qu'il est porteur de développements n'allant pas forcément dans le sens de leurs intérêts géopolitiques et économiques au Moyen-Orient et du maintien de leur influence dans la région.

 C'est au Bahreïn que l'on vérifiera si l'Amérique et l'Occident sont véritablement acquis au vent de la démocratie qui souffle sur le monde arabe et qu'ils ne tenteront pas de préserver leurs alliés stratégiques de sa tempête.

 Le peu d'empressement qu'ils mettent à exprimer leur soutien au mouvement populaire de contestation au Bahreïn est révélateur de leur répugnance à prendre acte de ses revendications, dont ils craignent les conséquences pour toute la région.