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Quelques jours de travaux
ont suffi pour mettre à nu un patrimoine enfoui fragilisé, entre conduites
anciennes, improvisations techniques et absence de mémoire du réseau.
Depuis quelques jours, les travaux en centre-ville ont des effets immédiats et visibles. Commerces pénalisés, accès compliqués pour les riverains, personnes âgées et populations fragiles mises à l'écart, circulation piétonne rendue dangereuse. Une situation acceptée tant bien que mal, dans l'attente d'une réparation annoncée comme nécessaire. Officiellement, il s'agit d'un simple chantier. En réalité, l'ouverture du centre-ville révèle un malaise plus profond. Le patrimoine visible n'est plus le seul à se dégrader. L'infrastructure enfouie du centre historique présente elle aussi des signes de fragilisation, comme une plaie qui s'ouvre et met au jour des dommages subis depuis longtemps et restés ignorés, que des interventions trop brutales continuent d'aggraver. Sous la chaussée, les découvertes s'enchaînent. Conduites en pierre, tronçons maçonnés, tuyaux en ciment, raccords récents. Le sous-sol ressemble désormais à une stratification confuse, résultat de plusieurs générations d'interventions jamais intégrées dans une vision d'ensemble. La ville donne l'impression de redécouvrir un réseau qu'elle ne comprend plus vraiment. La question ne porte plus sur les façades ou les pavés. C'est la mémoire technique de Sétif qui s'effrite. Depuis des années, les interventions se succèdent sans cohérence. Une fuite apparaît, on ouvre. Un réseau doit être ajouté, on ouvre encore. On referme aussitôt, sans plan, sans archive, sans transmettre l'information à ceux qui viendront après. Le passage du tramway a aggravé cette situation en effaçant pavés, rigoles, conduites anciennes et points d'eau non potable utilisés pour laver les rues. Lorsque les entreprises turques du métro ont demandé une cartographie fiable des réseaux intra-muros, aucune documentation complète n'a pu être fournie. Une ville incapable de localiser ce qui circule sous ses rues se condamne à travailler dans l'incertitude permanente. Les travaux de cette semaine ne font que révéler ce déficit accumulé. Le sous-sol n'apparaît plus comme un système, mais comme un palimpseste brouillé. Le centre-ville repose pourtant sur un réseau conçu selon une logique haussmannienne, véritable œuvre d'ingénierie faite de collecteurs maçonnés, de conduites alignées et d'une distribution précise des eaux entre petits canaux, conduites intermédiaires et grands collecteurs. Longtemps fiable, cet ensemble aurait pu être entretenu, modernisé et renforcé. Il a été recouvert de couches successives de bitume, puis percé et contourné au gré des urgences. Chaque ouverture mal préparée en efface un peu plus la cohérence d'origine et, avec elle, une part du passé que la ville ne sait plus protéger. Les travaux actuels témoignent d'une méthode d'intervention devenue trop lourde pour un centre ancien. Absence de détection préalable, fouilles sans blindage, engins massifs engagés dans des rues étroites. Cette brutalité technique ne s'arrête pas aux canalisations. Elle touche les bâtiments. Les vibrations fragilisent des semelles peu profondes, les caves se déchaussent, les murs se fissurent, les façades perdent leur assise. Le tissu bâti absorbe en silence les effets cumulés de ces interventions répétées. Cette semaine de travaux révèle surtout la disparition d'un savoir-faire municipal. Gérer une ville suppose de connaître son sous-sol, de documenter chaque intervention, de protéger les bâtiments et d'anticiper les risques. Rien de tout cela n'apparaît dans les pratiques actuelles. Les rues s'ouvrent, se referment, puis s'ouvriront ailleurs, sans qu'un diagnostic durable ne soit construit. Le patrimoine enfoui s'efface, le patrimoine bâti se fragilise. Une ville peut vivre avec des trottoirs abîmés, mais elle ne résiste pas longtemps à la perte de son infrastructure profonde. Ce qui se joue aujourd'hui à Sétif dépasse un simple chantier. C'est une question de méthode et de mémoire, celles qui permettent à une ville de rester une ville, et non un terrain d'essais perpétuel. Et pour l'instant, tout cela semble tolérable tant qu'il ne pleut pas. *Conseiller en Architecture Urbaine | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||