![]() ![]() ![]() La formule commerciale inapplicable de Trump
par Stephen S. Roach* ![]() NEW HAVEN - La
politique commerciale du président américain Donald Trump
présente une faille intrinsèque. Bien qu'il soit quasiment impossible de savoir
quelle position adoptera Trump sur la plupart des
sujets - qu'il s'agisse de fiscalité ou d'immigration - deux objectifs majeurs
de sa stratégie commerciale se précisent désormais : fixer un taux de droits de
douane mondial minimum, et imposer une pénalité spéciale à la Chine. C'est dans
cette combinaison d'objectifs que réside la faille.
À des fins d'argumentation, imaginons que des droits de douane uniformes de 10 %, imposés à tous les partenaires commerciaux des États-Unis, deviennent la nouvelle norme pour l'Amérique. Trump proclame haut et fort qu'il s'agit là d'une base minimale de compensation du « racket » que subissent les États-Unis depuis de nombreuses années du fait des pratiques commerciales déloyales employées par d'autres pays. Ce raisonnement fait fi des nombreux avantages que les États-Unis tirent du commerce : produits moins coûteux, meilleur pouvoir d'achat des consommateurs, mais également flux entrants de capitaux étrangers qui subventionnent les taux d'intérêt américains, et qui par voie de conséquence contribuent à la création de richesse financière. Trump est obsédé par le « carnage » de déficits commerciaux manifestement chroniques, et notamment par ce qu'il décrit comme la disparition d'un secteur manufacturier américain autrefois florissant. Quoi qu'il en soit, l'importance du potentiel passage d'un taux de droits de douane effectif de seulement 1,8 % en moyenne entre 1995 et 2024 à un nouveau seuil de 10 % est absolument considérable. Certes, cette hausse de 8,2 points de pourcentage n'est que légèrement supérieure à l'augmentation de 6,3 points du taux de droits de douane effectif survenue entre 1929 et 1933, à la suite de l'adoption de la fameuse loi Smoot-Hawley de 1930 sur les droits de douane. Il n'en demeure pas moins qu'une base uniforme de droits de douane de 10 % représenterait une augmentation de 445 % par rapport au système de droits de douane peu élevés des 30 dernières années, contre une augmentation de seulement 47 % entre 1929 et 1933 en vertu de la loi Smoot-Hawley. Cette base serait par ailleurs appliquée à un moment auquel les importations de biens représentent 12,2 % du PIB américain, soit près de trois fois leur part de 4,3 % en 1929. Autrement dit, un niveau plancher de droits de douane de 10 % n'a rien de minimal ; il constituerait un choc majeur pour l'économie américaine. Le deuxième élément clé de la politique commerciale de Trump réside dans la « pénalité spéciale » imposée à la Chine. Actuellement, les importations chinoises sont soumises à des droits de douane de 30 %, soit le triple du taux appliqué à la quasi-totalité des autres pays. Cette prime étant liée au fentanyl, elle pourrait diminuer significativement si les États-Unis et la Chine parvenaient à un accord sur le contrôle des produits chimiques précurseurs. Cependant, même en cas d'avancée concernant le fentanyl, l'administration Trump et le Congrès s'accordent sur la nécessité d'infliger une pénalité spécifique à la Chine, pour compenser ce qu'ils considèrent comme une contribution chinoise démesurée au déficit béant du commerce extérieur des États-Unis. Interviennent ici les accusations habituelles de pratiques commerciales déloyales, ainsi que les inquiétudes accrues en matière de sécurité nationale. Le fait que nombre de ces allégations soient fondées sur des discours erronés ne semble guère préoccuper les dirigeants politiques à Washington, où la sévérité à l'égard de la Chine constitue désormais un rare point de consensus bipartisan. Aspect important, il faut s'attendre à ce que ces deux piliers de la politique commerciale de Trump - taux de droits de douane mondial minimum et pénalité supplémentaire pour la Chine - soient adoptés de manière groupée. Le danger de cette approche est ainsi plus élevé que la somme de ses parties. Le principal risque pour l'économie américaine réside dans une réorientation des échanges commerciaux loin de la Chine - producteur à bas coûts - vers des pays aux coûts supérieurs. Bien que ce phénomène se soit déjà produit après les premiers droits de douane imposés par Trump à la Chine en 2018-2019, il pourrait entraîner des conséquences plus dommageables aujourd'hui, dans la mesure où la loi dite « One Big Beautiful Bill » du président américain creusera probablement le déficit budgétaire fédéral, impactant encore davantage l'épargne intérieure. Le déficit commercial multilatéral des États-Unis s'en trouverait alourdi, l'essentiel du creusement du déficit budgétaire fédéral étant constitué d'importations plus coûteuses, toutes frappées par une multiplication par cinq des droits de douane effectifs. En s'obstinant à reprocher à la Chine leur important déséquilibre commercial, les États-Unis s'exposent au risque d'une pénalité mondiale plus lourde encore. Complication supplémentaire, la politique commerciale de Trump entraînera probablement un découplage des États-Unis vis-à-vis des chaînes d'approvisionnement centrées sur la Chine. La démondialisation provoquée par le « friendshoring » risque de conduire à une augmentation des coûts de production, d'assemblage et de distribution à l'étranger, avec pour conséquence une explosion des prix pour les consommateurs américains. Pression baissière sur la croissance et risques d'inflation allant crescendo, la menace d'une stagflation aux États-Unis s'amplifiera. L'expérience de la Chine sera l'image miroir de celle des États-Unis. Son économie axée sur les exportations sera directement impactée par les droits de douane imposés par son principal partenaire commercial. La Chine est par ailleurs confrontée à la possibilité d'une appréciation du renminbi, qui accentuerait sa récente flambée de déflation. Le gouvernement chinois réagira certainement à ces pressions en soulignant la nécessité d'un rééquilibrage axé sur la consommation, les chances de changement immédiat dans les habitudes de consommation étant cependant faibles. L'économie chinoise sera par conséquent de plus en plus dépendante des exportations, plutôt que de la demande intérieure, ce qui la conduira à investir davantage dans de « nouvelles forces productives de qualité » à forte intensité technologique, et qui alimentera toujours plus la réaction protectionniste des États-Unis. Rien de tout cela n'est une bonne nouvelle pour une économie mondiale en perte de vitesse, qui subit d'ores et déjà les pressions d'un ralentissement du commerce mondial causé par les droits de douane. La Chine et les États-Unis représentant ensemble un peu plus de 40 % de la croissance économique mondiale depuis 2010, le risque de récession planétaire ne fera qu'augmenter si Trump continue d'imposer sa formule commerciale irréalisable. *Membre du corps enseignant de l'Université de Yale, et ancien président de Morgan Stanley Asie, est l'auteur des ouvrages intitulés Unbalanced : The Codependency of America and China (Yale University Press, 2014) et Accidental Conflict : America, China, and the Clash of False Narratives (Yale University Press, 2022). |
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