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Glissements de terrain à Aïn El Turk : l'alerte de trop ?

par Toufik Hedna*

Un nouveau glissement de terrain a frappé Aïn El Turk, dans la wilaya d'Oran, emportant une portion de route en pleine zone urbaine. Aucun blessé à déplorer, mais des dégâts matériels importants. Et une fois de plus, aucune surprise. Ce n'est ni un phénomène naturel incontrôlable, ni une fatalité. C'est un accident prévisible, révélateur de défaillances techniques, de procédures ignorées, et d'un manque de rigueur systémique.

Les effondrements se succèdent. Et chaque fois, la même réaction : stupeur, gêne, silence. La route s'est affaissée. Une alerte de plus. Combien en faudra-t-il avant que des mesures concrètes soient prises ?

En avril dernier, à ‘Planteurs', un glissement a coûté la vie à une famille entière. En 2021 et 2023, deux immeubles se sont effondrés dans le quartier du Plateau. À chaque fois, le même constat : aucune prévision sérieuse, aucune étude de sol, aucune stabilisation, aucun respect des règles fondamentales de construction - ou du moins, c'est ce qu'on nous fait croire. Car les risques sont connus, les directives existent, mais la précipitation pousse à les ignorer, à les contourner, à avancer coûte que coûte.

Et les responsables ?

Ce type d'affaissement, aussi impressionnant soit-il, ne peut être réduit à un simple incident isolé. Il interroge, en profondeur, l'ensemble de la chaîne de responsabilité autour du projet.

L'architecte, en amont, est censé anticiper les contraintes du site et recommander les études nécessaires. Il porte une responsabilité majeure, à la fois technique et morale. L'ingénieur, qu'il soit spécialiste du béton armé ou du sol, a pour mission d'évaluer les efforts, de prévenir les déséquilibres. L'entreprise exécutante, de son côté, connaît les risques et dispose des moyens techniques pour y faire face. Les services techniques communaux et le maître d'ouvrage ont, quant à eux, la charge de suivre et d'encadrer le chantier dans sa globalité.

Enfin, le rôle du CTC, qui devrait être un véritable rempart technique, mériterait d'être renforcé : ses interventions ponctuelles, souvent réduites à de simples passages formels, ne suffisent plus à garantir la sécurité de l'acte de construire. Et tous, à leur niveau, savent parfaitement les risques qu'ils prennent. Car rien n'est laissé au hasard dans un chantier de cette nature : les faiblesses du sol, les pentes, la proximité de la mer sont visibles, connues, mesurables. Et par simple déontologie professionnelle, au moins l'un d'entre eux devrait avoir le courage de s'abstenir, de dire non, d'arrêter le processus avant le premier coup de pelle. Mais ce silence - par peur, par habitude, par pression, par souci de rentabilité à court terme - devient complice.

Cet événement met donc en lumière une nécessité urgente : que chaque acteur retrouve pleinement le sens et la rigueur de sa responsabilité... de sa fonction, afin de prévenir plutôt que de constater.

Construire, ce n'est pas creuser. C'est penser

La première question que tout entrepreneur, ingénieur ou architecte responsable doit se poser : sur quoi va-t-on bâtir/ ? La réponse n'est jamais une intuition. Elle passe par une étude de sol. C'est la base. Sans elle, pas de fondations fiables. Sans fondations fiables, pas de structure durable. Le maître d'œuvre le sait, il doit la commander. L'ignorer, c'est construire à l'aveugle.

Or, à Aïn El Turk, rien n'a été retenu. Ni le terrain meuble. Ni la pente. Ni la proximité immédiate de la mer. On a creusé. Et on a attendu que ça tienne.

Mais le sol, lui, répond. Il pousse, il cède, il cherche l'équilibre. Si cette poussée trouve un vide, elle y va. Si elle rencontre une structure fragile, elle la fait plier. C'est une loi physique, pas une surprise.

Dans des cas comme celui-là, avant même la première pelle, il faut stabiliser. Prévoir un mur de soutènement. Poser des pieux forés et bétonnés. Ceinturer l'ensemble. Étayer les parois. Ces gestes techniques ne sont pas un luxe, mais une base. Ils sont appliqués dans tous les pays sérieux. Chez nous, ils sont souvent ignorés, voire méprisés.

Il est temps de professionnaliser nos méthodes de soutènement et d'adopter, enfin, les standards internationaux du blindage : pieux, tirants ancrés, béton armé projeté.

On ne construit pas sur une terre instable sans dispositifs de retenue. Ce n'est pas une option. C'est une règle.

En conclusion

Ce qui s'est produit à Aïn El Turk ne doit pas être refermé sous le poids de l'habitude. Il faut, au contraire, y voir un signal clair : nos méthodes doivent évoluer, nos réflexes professionnels se redéfinir, et nos contrôles s'intensifier.

La sécurité d'un ouvrage ne se mesure pas à l'absence de victimes, mais à la capacité collective à anticiper l'irréparable. L'urbanisation en zones sensibles, la pression sur les délais, ou encore la banalisation de certaines pratiques techniques ne peuvent plus justifier les failles. Il est temps, pour chaque acteur du bâti, de réinvestir sa mission avec responsabilité, exigence et conscience du risque.

Non pour éviter le scandale. Mais pour préserver la confiance - et surtout, les vies.

*Architecte - Urbain