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78ème FESTIVAL DE CANNES - IL ÉTAIT UNE FOIS UN PALESTINIEN DE GHAZA NÉ À BOLOGHINE (ALGER)

par Cannes : TEWFIK HAKEM

À la veille de la projection du très attendu nouveau film des frères jumeaux Arab et Tarzan Nasser, «Il était une fois à Ghaza» dans la sélection Un Certain Regard, rencontre avec son producteur Rashid Abdelhamid, responsable par ailleurs du stand Palestine à Cannes.

Fin et élégant, Rashid Abdelhamid a la classe d'un Jim Jarmush, quelques années en moins et le sourire en plus. Vêtements fashion et tatouages à foison, disons entre Didine Canon 16 et Tricky, mais en version peace et décontractée.

Ce Palestinien est né sous une bonne étoile qui le protège de tous les cataclysmes qui endeuillent chaque jour encore plus son peuple et son pays. Si on croit en la baraka, en ces maudits temps de génocides autorisés, il faut alors rendre hommage à Sidi-Aderahman, le saint-patron d'Alger, où Rashid Abdelhamid est né au début des années 70 d'un père palestinien et d'une mère serbe.

Né à Bologhine, le plus beau quartier de la capitale, Rashid Abdelhamid a vécu jusqu'à ses 18 ans à la Cité DNC d'Hydra. Après le bac (Lycée Descartes), il s'en va étudier l'architecture en Italie. La fin de son cursus coïncide avec les accords d'Oslo. Tous les espoirs étaient permis et pour le jeune architecte c'était enfin le moment de découvrir la Palestine. Il s'installe à Ghaza en 1998.

Mais pourquoi Ghaza précisément alors que la famille de son père vit en Cisjordanie ?

Rashid Abdelhamid : Mais parce que je suis né à Alger, je suis un enfant de la mer pas des montagnes ! Je savais que les conditions de vie y étaient moins favorables, mais en tant qu'architecte je voulais participer au développement de Ghaza… tout en profitant des plaisirs de la mer. Peut-être que si j'étais né en Kabylie j'aurai opté pour la Cisjordanie (rires).

LE QUOTIDIEN D'ORAN : Architecte, mais aussi designer, commissaire d'expositions, vous avez plusieurs casquettes et il vous arrive de faire le dj, y compris dans les concerts de votre fils Saint Levant dont la notoriété ne cesse de croître ces dernières années, de New-York au Caire. Comment êtes-vous arrivé au cinéma ?

Rashid Abdelhamid : À Ghaza j'avais pris sous mon aile les jumeaux Mohamed et Ahmed Abou Nasser -qui se font désormais appeler Arab et Tarzan Nasser- quand ils étaient adolescents et qu'ils se faisaient souvent emmerder par la police du Hamas à cause de leur look Métal-Rock. En 2008, après des bombardements intensifs de l'armée israélienne, l'ONU a décidé de transférer ses bureaux à Amman, ma femme de l'époque travaillait pour l'ONU. On s'est donc installés en Jordanie. Contrairement aux Palestiniens de la Cisjordanie, les Ghazaouis n'ont pas le droit de venir en Jordanie. Pour faire venir les jumeaux Nasser à Amman, j'ai organisé un grand évènement culturel et dans ce cadre j'ai programmé un petit film qu'ils avaient fait avec des bouts de chandelles. Une fois installés à Amman, les jumeaux ne savaient pas quoi faire. Je les ai poussés à écrire un film et je me suis improvisé producteur. J'ai mis 750 $ à leur disposition, je n'avais pas plus. Ils m'ont dit que c'est le prix d'une journée de tournage. Et le film «Condom Lead» s'est effectivement tourné en une journée, avec une équipe de 5 personnes. Moi même j'ai été obligé de jouer dans le film. Après j'ai envoyé le film à des festivals comme on jette une bouteille à la mer. Je me souviens qu'en 2013 quand le Festival de Cannes tentait de nous joindre sur un téléphone français, je ne voulais pas répondre de peur de payer très cher la communication.

LE QUOTIDIEN D'ORAN : Aujourd'hui, alors que le festival s'apprête à projeter en avant-première Once upon a time in Gaza, l'armée israélienne promet de détruire toute la bande de Gaza où la situation est «indescriptible, plus qu'atroce et plus qu'inhumaine», pour reprendre les mots du secrétaire général de l'ONU.

Rashid Abdelhamid : On a souvent parlé de la résistance du peuple palestinien, mais rarement évoqué sa capacité de résilience. Ghaza survivra à cette énième guerre. Ils disent qu'ils vont détruire Ghaza, mais j'ai l'impression que c'est Israël qui s'auto-détruit avec cette opération.

LE QUOTIDIEN D'ORAN : Avez-vous vu à Cannes, Put your soul on your hand and walk le documentaire de l'iranienne Sepideh Farsi, avec la photo-reporter Fatma Hassouna, tuée elle et toute sa famille alors qu'elle était attendue à Cannes ?

Rashid Abdelhamid : Non, je n'ai pas voulu le voir. Pas ici, pas maintenant. Je ne vois pas les images d'actualité non plus, ici, je me consacre à ma mission, au programme du pavillon palestinien, à la promotion de nos films. Mais évidemment c'est très important que ce documentaire soit vu par tout le monde !

LE QUOTIDIEN D'ORAN : De plus en plus de cinéastes et de comédiens signent la pétition condamnant le «silence» sur le génocide en cours à Ghaza. La star française Juliette Binoche en sa qualité de présidente du jury de ce 78e Festival de Cannes avait dans un premier temps préféré se contenter de rendre hommage à Fatima Hassouna lors de la cérémonie d'ouverture. Finalement, elle rejoint la pétition. Que pensez-vous de cette mobilisation sans précédent ?

Rashid Abdelhamid : Tout ce qui peut être fait doit être fait, mais qu'on arrête de culpabiliser les gens qui ne la signent pas de peur de représailles, car c'est humain. Ceci dit, cette pétition me pose problème car elle suggère que si on enlève le méchant Netanyahou on aura régler le problème. C'est archifaux. Et les partisans d'une solution à deux Etats sont tout aussi hors sol. De toute manière Israël a tout fait pour que cette solution ne soit plus possible. Comment relier Ghaza à la Cisjordanie ? Et même à l'intérieur de la Cisjordanie on ne peut pas se déplacer sans passer par Israël. Par exemple, est-ce qu'on sait que pour aller de Ramallah à Naplouse il faut emprunter des autoroutes et des routes israéliennes, donc être obligés de passer par des Check points ? La seule solution viable à mes yeux est une solution à la sud-africaine. Une terre pour tout le monde et la dignité pour chaque habitant de cette terre. Mais cette option fait peur à Israël qui est un Etat ou le racisme est structurel. Laissons de côté les Palestiniens, et parlons des juifs. Le pouvoir en Israël est aux mains des Ashkénazes qui méprisent les Séfarades et qui n'hésitent pas à parquer les Falashas dans des quartiers pourris ou dans des colonies déshéritées, c'est cela la réalité israélienne.

LE QUOTIDIEN D'ORAN : Comment imaginez-vous la situation des Palestiniens dans 10 ans ?

Rashid Abdelhamid : Aucune idée. En ayant vécu à Ghaza je n'ai plus la capacité de planifier quoi que ce soit au delà de 10 jours. Je veux juste que les Palestiniens soient considérés comme des humains par le reste du monde, car Israël nous déshumanise. Pas d'eau, pas d'électricité, pas le droit de voyager, quand on a un permis de sortir de la réserve il faut emprunter à pied un couloir de 2 kilomètres avec des valises qui pèsent des tonnes sans être certain de pouvoir passer. Cela s'appelle la déshumanisation. Face à cet état de fait, le risque est de sombrer dans la haine ou de se complaire dans la victimisation. Je résiste en faisant de la musique, en produisant des films, en construisant des immeubles, en créant des vêtements, en organisant des expositions.

LE QUOTIDIEN D'ORAN : Votre fils le chanteur Saint Levant est né en 2000 à Jérusalem d'après sa biographie officielle, est-ce à dire que vous avez vécu à Al-Qods ?

Rashid Abdelhamid : Pas du tout, cela veut juste dire qu'il n'y avait pas de clinique digne de ce nom à Ghaza et que sa mère, franco-algérienne, a profité de son statut pour pouvoir aller accoucher à Jérusalem et revenir aussi vite à la maison.

LE QUOTIDIEN D'ORAN : Vous avez plein de tatouages, on peut les commenter ?

Rashid Abdelhamid : Ah, vous voulez vraiment qu'on en parle ? «Khaled et Merwan» sont les prénoms de mes deux enfants. «Made in Palestine», pas besoin de commenter. «El-Houria», la liberté, on devine pourquoi. Et là sur ma main «1-6 Tif», en hommage à mon ami rapper algérien Tif, et à son titre phare