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![]() ![]() ![]() Quelques réflexions sur la question de l'identité dans le contexte algérien
par Djamel Labidi ![]() Deuxième
partie: l'identité en conflits
Dans la première partie, de cet article, nous avions cité les différents éléments constitutifs de l'identité d'une nation: la langue, la culture, le territoire, l'histoire, la volonté de vivre ensemble.Ces éléments doivent être communs, c'est-à-dire identiques pour tous, d'où le terme identité. Ils doivent donc coïncider les uns avec les autres. Si ce n'est pas le cas, ils entrent en conflit. Une question existentielle Lorsque les éléments de l'identité ne coïncident pas, ils peuvent entrer en collision, en conflit, remettre en question l'équilibre existant, et pousser à une révision de ces éléments de l'identité. La coïncidence du territoire par exemple avec la langue. Cette coïncidence se fait en général sur ces deux éléments, car les plus importants, de l'identité. Il peut y avoir la revendication d'un nouveau territoire pour la langue, ou celle d'un ajustement entre la langue et territoire. On se retrouve alors devant des formes de séparatisme qui peuvent prendre des formes plus ou moins exacerbées et même violentes. D'autres cas de figure existent : la langue peut aussi ne pas avoir de territoire spécifiquement à elle à l'exemple des Kurdes, ou bien une langue peut voisiner avec une autre sur le même territoire. Partout en Afrique, le colonialisme a tracé des frontières ignorant les langues et les identités, et leurs territoires, donc leurs frontières. C'est la cause de bien des conflits. Mais de tels conflits peuvent survenir à n'importe quelle période et de façon inattendue. Ainsi de l'implosion de l'URSS. Elle a créé des problèmes de ce type: minorités russophones dans d'autres républiques indépendantes, ou minorités non russophones au beau milieu de la Russie comme les Tchétchènes. Les conflits qui en découlent, comme celui en Ukraine, ou celui autour de Taiwan, peuvent prendre une importance mondiale, notamment dans le cas de luttes entre grandes puissances, c'est dire que les questions identitaires ne sont pas à sous-estimer. Les conflits sur l'identité interviennent avec toujours, en toile de fond, des interventions directes ou indirectes étrangères. Ils révèlent des nations encore fragiles. Le colonialisme est, entre autres aspects, une variante des conflits d'identité. Les puissances coloniales ont, en général, voulu imposer leur propre identité aux pays qu'elles ont soumis, signe d'une identité alors dominante. Ceci explique le caractère double, ambigu des conflits d'identité, tantôt de libération et de renforcement de l'unité, tantôt de fracturation. On peut même ranger dans ce cas de figure des conflits identitaires une autre face des décolonisations, lorsque des groupes sociaux parlent encore la langue coloniale alors que le pays se revendique de sa langue et de sa culture nationale. Ceci conduit à des identités perturbées et des conflits à la fois linguistiques et sociaux, comme la problématique arabisant francophone dans le Maghreb. Ceci va retentir à son tour sur d'autres questions, identitaires annexes (berbérité, islamité, etc.), ou sociales et politiques (langue de l'enseignement, langue de l'administration, langue des lieux de pouvoir, des institutions), ou économiques (langue de travail, langue des affaires) et créer des situations extrêmement complexes où il peut devenir difficile de discerner la part ou l'incidence réelle de chaque facteur, linguistique, culturel, religieux ou social, ainsi que celle de l'influence étrangère. La question de l'identité étant une question existentielle, elle doit être traitée avec énormément d'attention. En effet, les conflits autour de cette question dégagent inévitablement une minorité et une majorité. Ils peuvent atteindre la volonté de vivre ensemble lorsqu'ils se développent en contradiction, en conflit. La minorité peut alors vouloir passer d'une identité minoritaire, si elle la perçoit comme un handicap à son épanouissement, à une identité majoritaire à travers le séparatisme, qui va alors vouloir faire coïncider les frontières territoriales et les frontières linguistiques, dans une ambiance et un discours en général émotionnels. Conflits identitaires et solutions L'Histoire a connu beaucoup de solutions plus ou moins heureuses de ce genre de conflits: solution autoritaire par l'assimilation, solutions par l'enseignement et la réalisation de l'unité autour de la langue majoritaire. L'Histoire s'est même parfois chargée elle-même de régler ces problèmes avec le temps, par la diffusion de la langue la plus dynamique économiquement, commercialement, technologiquement et culturellement comme ce fut le cas des nations occidentales, ou de la langue arabe à l'apogée de la civilisation arabo-islamique. Une solution harmonieuse, et probablement la plus réussie historiquement, a été celle de l'autonomie. Elle consiste à faire coïncider, grâce à l'existence de régions autonomes, des frontières linguistiques régionales avec des frontières territoriales, mais, en quelque sorte, en pointillé, en maintenant la frontière nationale commune. A une époque où la question de l'émergence économique a une importance cruciale, l'autonomie représente l'avantage particulier de mettre à profit la fonction commerciale de la langue, en faisant de la langue majoritaire un vecteur des échanges commerciaux et un facteur unificateur du marché national. Certes, l''autonomie n'est pas sans dangers, sans risques pour l'unité. Que de pays, où régnait pourtant apparemment l'harmonie, se sont retrouvés emportés dans un engrenage infernal. Mais on peut aussi sans craintes recourir à de telles solutions lorsque les sentiments d'unité, la volonté de vivre ensemble sont très forts. Elles sont alors une réussite. Cela a été le cas des Etats-Unis, de la République populaire de Chine, de la Fédération de Russie, de la Suisse, etc. Ce désir d'unité est particulièrement fort dans le cas notamment des nations où il y a une très forte complémentarité entre minorité et majorité linguistique, avec une très grande coïncidence des autres éléments de l'identité : histoire, religion communes, interpénétration des territoires. La nation implique l'existence de facteurs de l'unité. Mais le parfait n'existe pas. Il y a toujours des différences, des failles, surtout lorsque les interférences étrangères se chargent de les élargir. Elles sont soit dans le facteur religieux, des religions différentes coexistant et dans ce cas on cherchera l'unité dans le facteur linguistique, ou dans le facteur langue, comme c'est le cas de pays arabes tels que le Liban, l'Irak, etc. où l'arabité sert de ciment. Dans le cas de failles linguistiques, on pourra chercher l'unité dans le facteur religieux, par exemple l'islam, qui se verra alors très fortement promu comme dans bien des pays arabes ou musulmans, ou alors dans l'histoire commune, comme c'est le cas en Algérie où la lutte de libération est un puissant instrument de rassemblement de la nation. C'est quasiment une réaction de survie, de défense de l'unité nationale, en s'appuyant sur d'autres facteurs de l'identité, qui, annexes à un moment, deviennent principaux dans un autre contexte. Ce sont, en vérité, des réactions bien étroites et bien médiocres, que de s'autoriser à juger des sociétés, des peuples, ou des nations qui ont eu recours à de tels moyens de préservation de leur unité, comme cela a été le cas pour le recours à l'appui sur l'identité islamique ou l'identité arabe, à des moments de leur histoire. Identité et démocratie C'est ainsi que le nationalisme arabe a été un facteur d'unité contre la domination étrangère, un puissant facteur de progrès et de libération nationale. Il l'a été particulièrement des années 50 aux années 80. Puis son autoritarisme, son absence de culture démocratique, son mépris parfois pour les minorités, a abouti au développement de forces centrifuges religieuses, ethnoculturelles, et à des conflits vite exploités et encouragés par les puissances occidentales. La fuite de Bachar El Assad en Russie vient de donner un point final à cette phase historique du nationalisme arabe. Le paradoxe a voulu que les «printemps arabes», en même temps qu'ils témoignaient, d'une certaine manière, de l'unité arabe par leur simultanéité, en dévoilaient en même temps les faiblesses. Le nationalisme arabe a désormais, pour nécessité historique, de prendre un contenu d'autant plus séduisant et convaincant qu'il acquiert une consistance démocratique. Les «printemps arabes», qu'il ne faut pas se presser d'oublier, sous prétexte de leurs détournements, avaient bien désigné cette nécessité dans tous les pays arabes. Les facteurs identitaires, principalement linguistiques, doivent être maniés avec beaucoup de précaution, de tact pourrait-on dire, tant ils sont sensibles, car ils touchent au principal sentiment sociologique, voire anthropologique de l'être humain, l'appartenance. Il n'y a pas de recette. Mais un facteur apparaît décisif, notamment en cas de conflit identitaire diffus, ou même déclaré, c'est le désir, la volonté de vivre ensemble, un désir construit par le temps, par l'Histoire, par un héritage ancestral. C'est pourquoi ce désir doit être entretenu jalousement tant il peut être vulnérable, menacé, tant il est subjectif par rapport aux autres facteurs identitaires. Là est le rôle des hommes politiques, d'une politique lucide. S'il y a bien un domaine où la démocratie est vitale, c'est bien la question identitaire. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle, les revendications démocratiques s'expriment très souvent, quasi automatiquement, dès que les questions identitaires arrivent à la surface. C'est dire sur le plan politique, ici peut être plus encore qu'ailleurs, la nécessité du respect de la liberté d'expression. Prochain article, jeudi 5 juin 2025 - Troisième partie: l'identité et la liberté d'expression |
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