|
![]() ![]() ![]() Plaidoyer pour une révolution écologique dans la gestion des eaux de pluie en Algérie: Et si chaque goutte comptait ?
par Elhabib Benamara ![]() Dans
le silence brûlant des après-midis sahariens, une question simple mais cruciale
s'impose : combien de litres d'eau laissons-nous fuir chaque jour, alors que le
ciel nous les offre gratuitement sous forme de précieuses gouttes ? Ces
gouttes, nous les regardons tomber sans jamais songer à les conserver, alors
même qu'elles pourraient devenir la clé de notre sécurité alimentaire, de notre
résilience, et de notre avenir.
L'eau est un trésor. Elle est rare. Elle est précieuse. Chaque goutte compte. Aujourd'hui, alors que le monde entier s'adapte au changement climatique, l'Algérie ne peut plus se contenter d'être spectatrice. J'ai récemment eu l'occasion de consulter un cahier des charges élaboré par l'État saoudien pour la location de terrains dans un désert montagneux, spécifiquement destinés à la culture de lavande et d'agrumes. Juste de la récupération et de l'intelligence. En Arabie Saoudite, avec moins de 250 mm de pluie par an, on exige des exploitants qu'ils s'adaptent au climat au lieu de le défier. Et nous, en Algérie ? Pourquoi continuons-nous à concevoir des villes et des projets agricoles qui ignorent les cycles naturels ? Pourquoi persistons-nous à drainer les eaux de pluie vers la mer, à dépenser des milliards dans des usines de dessalement pour récupérer cette même eau que nous aurions pu capter et utiliser là où elle est tombée ? Sortir de l'économie de la rente, c'est aussi restaurer notre lien avec la terre. Nous devons oser un changement de paradigme. Les sécheresses que nous subissons ne sont pas une fatalité : les pluies qui tombent chaque année sont suffisantes pour répondre à nos besoins, à condition d'en capter chaque goutte et de la valoriser. Même rares, ces pluies nous imposent une responsabilité: les utiliser avec soin, et surtout, ne jamais les perdre dans les égouts, la mer ou le désert. Il est temps de cesser de pleurer la sécheresse et d'agir. Un sursaut collectif est nécessaire. Nous avons besoin d'une mobilisation nationale : hydrologues, climatologues, agronomes, urbanistes, architectes, ingénieurs, élus et citoyens doivent repenser ensemble notre gestion de l'eau, de nos villes et de nos territoires. Des solutions existent. Elles ont fait leurs preuves ailleurs. Brad Lancaster, pionnier américain de la récupération des eaux de pluie à Tucson, Arizona, a montré qu'en zone désertique, avec moins de 280 mm de pluie par an, il est possible de vivre presque entièrement grâce aux eaux récupérées sur place. En créant des bassins de rétention, en réutilisant les eaux grises des douches et lavabos, en captant les condensats d'air conditionné, il a réduit sa consommation d'eau à moins de 20 litres par personne et par jour, tout en maintenant des arbres fruitiers et des potagers. Ce modèle n'est pas une utopie. Il est duplicable, ici, en Algérie. À Tamanrasset, Béchar, Adrar, Ghardaïa... Nous pouvons : - Installer des systèmes de récupération d'eau sur les toits plats, - Créer des jardins pluviaux et des micro-forêts urbaines, - Réutiliser les eaux grises pour irriguer des arbres fruitiers, - Former les citoyens et les écoliers à une nouvelle culture de l'eau. Et surtout, nous pouvons nous inspirer des savoirs ancestraux et des expériences réussies en Afrique. Dans les régions arides et semi-arides, des méthodes simples et efficaces ont fait leurs preuves, comme l'expérience des demi-lunes au Niger et au Burkina Faso. Creusées en forme de croissant sur des sols dégradés, ces structures permettent de capter les eaux de ruissellement et les sédiments, favorisant ainsi la rétention d'eau, la fertilité des sols et la germination de la végétation naturelle. Elles transforment des steppes arides en pâturages pour le bétail, réduisent l'érosion, et régénèrent des écosystèmes entiers. Combinées à d'autres techniques, comme le reverdissement par l'agroforesterie, la plantation d'espèces adaptées (arbres, arbustes, herbacées), ou la création de zones de ralentissement des écoulements (ZRE), ces solutions permettent de recharger les nappes phréatiques, de stabiliser les sols, et de limiter les inondations et la sécheresse. Ces approches sont adaptées aux steppes algériennes, aux Hauts Plateaux, et aux régions sahariennes. Elles nous offrent une voie concrète vers la souveraineté alimentaire et la résilience climatique. Car récolter l'eau de pluie, ce n'est pas revenir en arrière. C'est avancer. C'est choisir l'intelligence, la résilience et l'espoir. C'est comprendre que chaque goutte est une promesse : de nourriture, de fraîcheur, de fertilité, de vie. L'Algérie a besoin d'un électrochoc. Pas dans dix ans. Maintenant. Cela commence par des actions concrètes : - Intégrer systématiquement la collecte des eaux pluviales dans tout projet urbain, agricole ou industriel, - Former une nouvelle génération de professionnels à la gestion intégrée de l'eau, - Financer des bassins de rétention, des jardins pluviaux, des systèmes d'infiltration, et généraliser l'usage des eaux grises, - Organiser, sans délai, des assises nationales de l'eau pour définir une stratégie claire de souveraineté hydrique, en associant experts, élus et citoyens, - Lancer des zones pilotes dans le Sud, l'Atlas saharien et les Hauts Plateaux, pour démontrer la faisabilité d'un modèle basé sur la rétention des eaux de pluie et la régénération des écosystèmes. Car, au fond, il ne s'agit pas seulement d'eau. Il s'agit de souveraineté alimentaire, d'indépendance économique, de résilience climatique. Il ne s'agit pas de manque de pluie, mais de manque de volonté.Chaque goutte est un avenir. Chaque goutte est une victoire. J'ai demandé à Michal Kravèík, expert hydrologue mondialement reconnu, quel message il adresserait à l'Algérie : il m'a répondu que la clé est de restaurer le petit cycle de l'eau, rompu par la déforestation et l'urbanisation des 150 dernières années. Son credo est clair: garder l'eau sur les continents, ne plus la drainer vers la mer. Alors agissons, maintenant. Faisons de l'Algérie un pays modèle, où chaque goutte d'eau est honorée, captée, utilisée, et partagée. Que chaque goutte devienne une promesse de vie. Que chaque goutte compte. |
|