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La qualité de la vie

par Abdelkader Sehimi

Au siècle dernier, dans les années soixante, dans nos villes et villages les services de voirie marchaient très bien. On voyait un trou, on le bouchait. On voyait une rigole bouchée, on la débouchait, on voyait une saleté, on l'enlevait et tout était bien dans le meilleur des mondes.

Les cantonniers balayaient les rues de bon matin. L'air était pur, le ciel bleu azur, les coquelicots poussaient au printemps.

En 63 ans d'indépendance, l'Algérie a construit des millions de logements, réalisé des dizaines de milliers de kilomètres d'autoroute, édifié des ponts, des barrages, des ports, des aéroports, des hôpitaux, des écoles, des lycées, des universités, des usines, des unités de dessalement et d'autres réalisations industrielles et pétrolières. De grands progrès ont été faits dans tous les domaines. Ces dernières années, il y a eu un renouveau dans l'Education nationale, dans l'Enseignement supérieur et dans la Formation professionnelle mais ces avancées doivent être en phase avec les besoins immédiats de l'économie nationale.

Les temps ont changé. Le ciment familial s'est effrité. Les valeurs ancestrales ont perdu de leur éclat. La parole donnée ne vaut plus un centime. L'individualisme règne en maître. Le mercantilisme et la loi du profit ont pris le devant. C'est l'apparat qui compte. Les enfants disent des gros mots. Les enseignants sont même agressés dans les écoles. Les vieux ne sont pas respectés. Les saveurs culinaires d'antan ont disparu. Seule « la hrira » et la « chorba » ont subsisté. Les coquelicots ne poussent plus. Le climat se détraque. La harga et la drogue sont pour nos jeunes les seules perspectives que les marchands de rêve leur font miroiter moyennant des sommes faramineuses. Les frictions internationales et leur lot de violences ont réapparu. Les crimes commis en Palestine sur des enfants et des femmes témoignent de la montée en puissance du sionisme aveugle. Clémenceau a dit en 1919 dans son livre Discours de paix : « Il est plus facile de faire la guerre que la paix ». La diplomatie doit occuper un rôle de premier plan pour ramener la paix. L'humanité a énormément souffert avec les guerres.

Nous sommes en 2025. La modernité a gagné du terrain. L'organisation administrative s'est transformée. Il y a des directions de l'Environnement et de la Qualité de la Vie, il y a des services d'hygiène, au niveau de la daïra, au niveau de la commune, au niveau des services déconcentrés, il y a la protection civile, il y a l'APC, il y a l'APW, Le pays compte 58 wilayate.

Ce qui manque à notre société. C'est le civisme. Et nos écoles n'enseignent plus le civisme ou comme on disait dans les temps passés la morale. Le civisme, du mot latin civis, est l'art d'être citoyen. « Il désigne le respect et le dévouement du citoyen pour la collectivité dans laquelle il vit ainsi que le respect de ses conventions et de ses lois. Cet ensemble de règles écrites ou non écrites, de normes sociales, vise la régulation de la vie en société et facilite la vie en groupe » (Dictionnaire Larousse). Nous devons tous en tant que parents prendre un peu de notre temps pour enseigner à nos enfants le civisme et surtout le respect des maîtres d'école comme dans le bon vieux temps.

Il faut sortir du carcan traditionnel de l'école classique. Il faut orienter les élèves du primaire vers la création, favoriser l'enseignement artistique, les sensibiliser au théâtre, à la musique, aux jeux de société, encourager les activités d'éveil et surtout les pousser à pratiquer les sports collectifs et la natation. A 6 ans, l'enfant peut apprendre beaucoup de choses. Le code de la route, par exemple peut être enseigné à cet âge. Comme ce n'est qu'un ensemble de plaques à mémoriser, il suffira juste de mettre les moyens pédagogiques nécessaires pour familiariser les élèves avec cette matière. Il faut optimiser l'utilisation du temps.

Le tableau noir est dépassé.

Dans notre société, la connaissance a surtout été véhiculée par l'oralité. Nos poètes tels que le célèbre Mohamed Belkheir ont composé des chefs-d'œuvre sans passer par l'école. Il faut réhabiliter la discipline. Le téléphone doit être banni de l'école primaire, car nuisible à l'épanouissement intellectuel de l'enfant.

Il est malheureux de voir des enfants du primaire rivés à leur téléphone sans s'apercevoir qu'il accapare leur énergie, délite leurs neurones, diminue leurs capacités de concentration et en fait des consommateurs d'images et de publicités débiles. Il est triste de voir, le soir, à la maison, chacun dans son coin, tapotant je ne sais quoi sur son portable. L'industrie du téléphone fait tout pour amener nos gamins à l'addiction totale. On donne le téléphone à des enfants de 3 ans pour les occuper sans savoir qu'on est en train de les plonger dans un monde dont ils ne s'en sortiront jamais. Aujourd'hui, on en rajoute avec l'IA, qui n'est qu'une stratégie commerciale de plus pour drainer les flux financiers vers les centres de profits.

Est-ce que la graine de pastèque, cette petite « puce » noire qui existe depuis la nuit des temps a besoin d'IA pour donner les grosses pastèques succulentes dont nous flattons nos papilles ? Est-ce que le poirier a besoin de l'IA pour produire les belles poires fondantes de la Mitidja ? La cellule qui est la plus petite entité vivante est un ensemble d'organes constitués autour du noyau et qui fonctionne comme une véritable usine où les rôles sont organisés, réglés et synchronisés. Ce n'est pas l'IA qui est à l'origine de cette merveille. On n'a toujours pas percé les mystères de l'atome. Plus on pousse la recherche, plus on découvre des choses nouvelles, toujours plus petites et plus complexes. Même l'imagination la plus excentrique ne pourra arriver à conceptualiser l'infinitude de la matière. Est-ce que l'IA peut récréer une cellule, sachant qu'elle existe depuis des milliards d'années ? Est-ce que l'IA peut recréer les ailes d'un papillon tels que le bombyx de l'ailante ou le Grand Mars, qui sont une véritable œuvre d'art de par leurs formes, leurs dessins et leurs couleurs ?

La nature possède une puissance de création inégalable. On ne pourra jamais produire une poire artificielle. Ce dont a besoin le pays, c'est surtout la création d'unités de recherches en agriculture à travers toutes les universités pour développer ce secteur et aider nos agriculteurs à produire davantage et à améliorer la qualité.

Le centre universitaire d'El-Bayadh ne comporte pas d'institut agricole. Pourtant, l'élevage des moutons constitue l'activité principale de la wilaya et nécessite une prise en charge dans le domaine de la recherche pour améliorer les races et permettre au pays de devenir un pays producteur de viande. Il en a les capacités. Les éleveurs de la région exportaient déjà dans les années 40 leur cheptel vers le port de Marseille. Mon grand-père faisait le négoce de moutons avec une vieille maison située à Marseille et qui s'appelait « Les vieux de la vieille ».

Il faut aussi s'intéresser à la faune et à la flore dans cette région et inciter les jeunes universitaires à ressusciter ce trésor ancestral.

L'élevage des moutons, c'est un ensemble de techniques qui doivent être enseignées. L'éleveur doit être accompagné. Il faut distribuer des aides aux jeunes pour leur permettre de se lancer dans ce créneau. Le mouton, c'est un trésor national. En France, beaucoup de diplômés plaquent tout, s'achètent des brebis et des chèvres et vont les élever dans la montagne pour fabriquer du fromage. Pour eux, vivre à Paris n'a plus de sens. Avant, le beurre à tartiner était fabriqué sur place. Il avait un goût qu'on ne trouve plus.

Il y a plusieurs milliers d'éleveurs dans la région d'El-Bayadh mais aucun d'eux n'a eu l'idée de réaliser une fromagerie ou une beurrerie ou une yaourterie. Ils savent élever des moutons mais ils n'ont pas la fibre d'investisseur.

En Kabylie, par contre, la majorité des exploitants agricoles s'est lancée dans la production de produits dérivés du lait. Des camemberts de haute qualité, qui rivalisent en qualité et en saveur avec les produits français, sont proposés dans le commerce.

Les vétérinaires qui s'installent à leur compte souffrent du diktat des éleveurs. Il faut un code rural pour imposer des obligations aux éleveurs en ce qui concerne le suivi de leur cheptel par les vétérinaires tout au long de l'année. Cette relation doit être contractualisée. C'est un problème de santé publique. Il faut six ans pour former un vétérinaire. C'est une profession qui doit être soutenue par l'Etat.

Le Centre universitaire d'El-Bayadh gagnerait à avoir un institut des langues pour permettre à nos jeunes d'aller vers la découverte des autres cultures et de s'insérer dans l'économie internationale. Les langues, c'est l'accès à l'universel. L'anglais doit être la discipline phare de cet enseignement. Elle est la langue des affaires. Les négociations de contrats se font généralement en anglais. Des séjours linguistiques devront être organisés dans les pays concernés pour une immersion totale dans le milieu. Il faut agir vite car la mondialisation avance à grands pas.

Pourquoi ne pas mettre en place un institut d'informatique à El-Bayadh ? Pourquoi les grandes écoles en informatique sont centralisées uniquement à Alger ? Nous sommes une région agropastorale et nous en sommes fiers mais nous aspirons aussi au savoir. Pourquoi nos étudiants doivent-ils faire mille kilomètres pour faire de l'informatique ? La numérisation ne peut être menée à bien que s'il y a une fluidité dans les relations entre l'université en tant que background et les partenaires.

Ce qu'il faut pour améliorer la qualité de la vie à El-Bayadh, ce sont des espaces familiaux avec beaucoup de verdure, des commodités sanitaires, des buvettes et des grands arbres ombrageux ainsi que le reboisement et sa gestion. Il y a un déficit d'arbres mais il faut choisir des variétés d'arbres résistants et majestueux. Les monts Ksel et Bouderga qui, autrefois, étaient des forêts très denses et très giboyeuses ont été brûlés par le napalm durant la guerre de libération et méritent d'être reboisés. Le reboisement doit être mené avec des méthodes scientifiques. Il faut inciter la participation de tous à la plantation d'arbres pour contrer la désertification. Il y a aussi un déficit de fleurs. Il faut aider les jeunes à s'orienter vers le métier de fleuriste. Il faut apprendre aux enfants à étudier les fleurs et à les aimer. Le sultan de Babylone, dans les temps anciens, avait créé les jardins suspendus où les fleurs d'essence millénaire étaient une merveille. Les monarques d'Europe se sont inspirés de ce chef-d'œuvre pour créer des jardins somptueux qui existent toujours.

Les bénéfices d'une plantation d'arbres sont les suivants :

-Filtration de l'air

-Filtration de l'eau pour les nappes phréatiques

-Régulation du climat

-Bien-être de la population

L'intelligence existe depuis le commencement du monde, depuis des milliards d'années dans tout ce qui vit. Toute forme de vie a une intelligence.      

Qui est-ce qui fait tourner la terre autour d'elle-même et autour du soleil ? L'intelligence ne peut pas être artificielle. C'est une fiction pour décérébrer l'être humain et le faire manipuler par les machines.

Laissez les enfants tranquilles, ils n'ont besoin ni de vos téléphones, ni de vos tablettes, ni de vos gadgets, ni de vos histoires. Ils sont heureux de nature. Ils sont capables de comprendre tout pour peu qu'on sache leur parler. Chaque enfant a une intelligence qui lui est propre. Il revient aux psychologues et aux conseillers d'orientation de déceler les prédispositions de chacun. Je ne vois pas pourquoi on attend le lycée pour leur apprendre la chimie, la physique et la mécanique. Il faut vulgariser la science en utilisant nos vieux dialectes qui sont très riches. Au Vietnam, ils ont enseigné la physique avec leur langue maternelle et ça a réussi. Le pays est en plein boom économique. La langue maternelle est le véritable vecteur de la connaissance. Ahmed Chaouki, le grand poète égyptien, l'a bien dit. « Nos mères sont les premières professeurs ». Mozart, enfant prodige et compositeur précoce, s'est produit en public dès l'âge de sept ans à travers l'Europe où il a subjugué les assistances avec sa sœur Maria Anna. Arthur Rimbaud, poète précoce et visionnaire, faisait des vers à 5 ans.

Le cerveau humain est unique. Son potentiel est illimité. Les champs de connaissances de l'intelligence humaine sont plus vastes que l'univers. Avant, on jouait aux billes et on était heureux. On était ouverts. On était inventifs, on fabriquait des ballons avec des chiffons et on jouait au foot avec. On allait des fois dans les prés environnants chasser les gerboises et on a appris très vite à trouver le bon trou car cet animal avait une stratégie infaillible. Il creusait plusieurs terriers pour leurrer ses poursuivants. Les filles jouaient à la marelle et à cache-cache. Les grandes personnes étaient respectées. Nos grand-mères nous racontaient de belles histoires et on apprenait à parler sans apprendre l'alphabet et la grammaire. Nos mères nous préparaient des plats succulents. Je me rappelle des frites croustillantes qu'elle préparait en deux cuissons. C'est une voisine belge originaire de Bruges qui habitait près de chez nous dans les années cinquante qui lui a communiqué cette recette de l'omelette frites. Il y avait la vieille machine à pétrole en cuivre jaune qui émettait un bruit doux qui m'assoupissait. On n'a pas eu la télévision dans notre enfance. Mais on lisait beaucoup les illustrés. Je me rappelle que j'étais passionné par Blek le Roc et le Professeur Occultis. J'ai lu toute la série et c'est comme çà que j'ai appris le français.

C'est dans les premières années que l'enfant a du génie mais au lieu de cultiver les dons on les oppresse par un modèle d'apprentissage rébarbatif, qui le dépossède de ses facultés innées. On n'a toujours pas compris que c'est l'enfant qui a des choses à nous apprendre.

La curiosité de l'enfant est insatiable. Il pose beaucoup de questions. Il veut comprendre. Il faut le suivre et répondre à ses questions.

Le petit garçon de 11 ans qui garde les moutons, qui n'est jamais allé a l'école sait faire beaucoup de choses. Il sait compter ses moutons, il a appris tout seul à apprivoiser ses brebis, il a appris à mener ses bêtes vers les bons pâturages, il leur a appris à ne pas s'éloigner du troupeau. Il sait leur parler. Le chien lui obéit sur un simple geste. Tous ses sens sont en éveil, Il sait qu'il doit bien faire son travail, qu'il a un devoir et que son père l'attend le soir pour lui demander des comptes. Son intelligence travaille et il apprend tous les jours de nouvelles choses. Il est confronté à la nature. C'est l'activité qui forme l'individu et d'ailleurs je n'ai jamais vu plus fin négociateur que les éleveurs. Vous ne leur arracherez pas un centime. Ils ont été élevés à la dure.

La qualité de la vie, c'est essentiellement le droit à la culture et à la lecture. A El-Bayadh, il n'y a pas de librairie qui vend des livres de littérature et des illustrés pour les petits. Les gens ne lisent plus. Il y a une production extraordinaire d'œuvres littéraires dans le monde mais on n'en profite pas. Chaque jour, des dizaines de romans sortent mais on n'y a pas accès. On est devenu inculte. Au lieu d'importer que ce qui touche à l'estomac, on ferait bien d'importer des livres. Comment apprendre une langue si on ne lit pas ? Yasmina Khadra, l'écrivain algérien qui a acquis une renommée internationale est lu en Asie et en Amérique latine mais pas en Algérie. Pour revenir à l'IA, on se rappelle que c'est l'atome qui a détruit Hiroshima et Nagasaki. La couche d'ozone est en danger à cause des composés halogénés. Si l'IA est utilisée uniquement pour la médecine et l'instrumentation médicale, d'accord, mais si c'est pour fabriquer des armes plus redoutables, alors on n'en veut pas. Les stocks nucléaires impressionnants détenus par les grandes puissances sont déjà suffisants pour détruire tout le système solaire et générer un deuxième big-bang.

L'IA est très utile, mais il y a le risque qu'elle soit utilisée à des fins non conventionnelles. En Algérie, elle peut constituer le levain de la recherche scientifique. La qualité de la vie est tout un programme. C'est un style de vie. Il faut vulgariser ce concept dans la collectivité. La qualité de la vie, c'est une science qu'il faut enseigner. Il y a tout intérêt à lancer des campagnes de formation à la qualité de la vie en direction de nos élus. Ce travail minutieux nécessite du temps et de la bonne volonté. Mais le pari peut être gagné car notre chère Algérie mérite tous les sacrifices.

La qualité de la vie, c'est d'abord la qualité de l'air, la qualité de l'eau, la qualité des aliments.

La qualité de la vie, c'est la culture du beau, c'est la création, artistique, ce sont les belles formes architecturales.

La qualité de la vie, ce sont les beaux jardins de fleurs, ce sont les parcs floraux, ce sont les balcons fleuris.

La qualité de la vie, c'est aussi la qualité des soins, la qualité des services, la qualité de la maintenance des équipements médicaux. L'Algérie compte 5 millions de diabétiques. Le diabète est un trouble du métabolisme des glucides dû à un dysfonctionnement du pancréas qui ne génère plus d'insuline comme la bobine qui ne donne pas de courant. C'est un problème technique comme un autre auquel peuvent s'atteler des équipes multidisciplinaires de médecins spécialistes et de chercheurs en intelligence artificielle.         C'est un chantier national. Dans le cas de la médecine, l'IA est en retard.

L'Intelligence artificielle doit polariser son action sur l'amélioration de la qualité de la vie, sur la recherche médicale, sur la recherche agronomique et sur l'épanouissement de l'homme.