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Un visionnaire, un politique et un modeste

par Kharroubi Habib

De son vivant, Nelson Mandela s'est refusé à être considéré comme étant un prophète. D'ailleurs, dès sa sortie de prison en 1990 et dans son premier discours au peuple sud-africain, il s'est défendu de penser en être un, et l'a mis en garde contre la tentation de le voir en tant que tel.

Pour sûr que le prestigieux défunt qui s'est présenté devant son peuple comme son « humble serviteur » n'aurait guère apprécié le statut prophétique dont l'affublent certains des déclarations et messages suscités par l'annonce de sa disparition. Mandela n'est pas un prophète, mais il a été incontestablement un grand visionnaire et un homme politique d'envergure. Visionnaire dans sa perception de ce que devait être l'Afrique du Sud une fois libérée de l'abject régime de l'apartheid. Politicien d'envergure qui a su déjouer les pièges que les ultras des deux bords de la nation sud-africaine ont tenté de parsemer le chemin de la réconciliation nationale qu'il entendait réaliser pour fonder la « nation arc-en-ciel » accueillante pour tous ses enfants quelle que soit la couleur de leur peau.

Ceux qui insistent sur la prétendue stature prophétique du premier président noir de l'Afrique du Sud le font pour certains pour diminuer les véritables qualités pour lesquelles il a mérité d'entrer de façon aussi grandiose dans l'histoire. C'est ainsi que leur «admiration» pour le personnage dont ils veulent convaincre en l'élevant au rang de «prophète» s'accompagne d'une perfide remise en cause de son bilan politique à la tête de la nation arc-en-ciel dont il a été le fondateur.

Qu'il ait fondé cette nation multiraciale qu'est devenue l'Afrique du Sud suffit à sa gloire. Mandela n'ait pas eu l'appétence vorace pour le pouvoir si commune aux autres hommes de pouvoir en Afrique. Il a estimé en grande sagesse qu'il se devait de passer la main après avoir mis sur les rails les fondements de la nouvelle République sud-africaine post-apartheid. Il ne se croyait ni homme providentiel, ni investi du droit de rester éternellement au pouvoir. Ce qu'il a traduit en acte en n'exerçant qu'un mandat à la présidence de son pays. Au lieu de s'appesantir sur l'aspect « prophétique » du comportement du personnage, les chefs d'Etat africains qui ont encensé sa mémoire devraient prendre exemple sur lui pour son détachement à l'égard de l'exercice prolongé du pouvoir.

Le visionnaire a fait triompher le rêve qu'il a nourri pour son pays, l'habile politicien a su écarter les obstacles qui auraient pu empêcher sa réalisation. A l'aune de ce qu'il a accompli, Barack Obama a été dans le vrai en estimant que Nelson Mandela a « fait ce que peu d'hommes peuvent faire ». La gloire, le succès et la fascination qu'il a exercée sur son peuple et la planète tout entière, le pouvoir qu'il a détenu ne l'ont pas plongé dans l'ivresse qui lui aurait fait estimer qu'en dehors de lui la nation sud-africaine n'a pas d'autres enfants capables de prendre sa relève. L'exemple de la modestie de ce grand homme est à méditer pour les « messies » africains autoproclamés qui sévissent à travers le continent au détriment de ses peuples.