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Objectif humain zéro

par Mimi Massiva

«Hormis quelques groupes marginaux et quelques scientifiques alarmés, le discours dominant ne s'émeut guère de cette lente rétrogradation de la vie au statut de marchandise et de l'abaissement annoncé de l'homme au rang de chose... le vivant tout entier, du végétal à l'animal puis à l'homme, risque de devenir un objet d'appropriation, de commerce et de profit.»(1)

Cette réflexion date de 2001, le risque a viré à la certitude en 2008 avec la crise des subprimes. Depuis, le consommateur est devenu consommé et tout a un prix affichable ou camouflé. L'Algérie, pays classé comme cancre dans tous les classement internationaux, est félicitée par le FMI qui encourage ses habitants à s'endetter afin de consommer comme les Grecs durant leur lune de miel avec l'Union. On connaît la suite. Seulement, les descendants de Socrate peuvent compter plus ou moins sur l'Europe grâce à leur héritage mythique. Mais avec une Histoire gommée et une Indépendance confisquée, il ne faut compter que sur un simple compte-gouttes rempli de pétrole brut. Une solitude absolue, existentielle, géographique. Dans le discours officiel, l'Afrique est reniée, Maghreb compris, au profit d'un Monde arabe méfiant au diable.

Quant au discours lambda, il rime avec blabla de femmes et chahut de gamins. On arrive au stade de l'objet sommé d'acheter l'objet. Par exemple si les Algériens s'exprimaient librement que demanderaient-ils en premier? Une énième augmentation de salaire? Pas sûr, ils se sont rendus compte que le dinar est le billet-leurre par excellence : plus il y en a moins ça pèse. La frustration.. ce n'est pas bon pour le moral. Mais a-t-on le choix quand les politicards n'ont que le flou du sous-sol à prendre ou à donner ? Nous sommes des machines à sous ou à la casse. Que faire du virus de nos débris «humains» persistants qui empoisonnent notre sang et nous empêchent de sourire ? Notre seule consolation : le pays est comateux dans un monde malade. Et, tel le chirurgien qui ne sait pas prélever les organes d'un cadavre, le FMI nous branche sur la respiration artificielle pour mieux nous savourer. Dans un monde en perdition qui va s'alarmer de notre anomalie? Dans un monde coincé entre «le catastrophisme épouvanté et l'optimisme béat», l'humanisme ne sait plus être une douceur pour se préserver et l'équilibre est rompu. «Nous voici confrontés à un monde qui se développe, conquérant et dominateur, mais qui, semblable au colosse aux pieds d'argile, risque non pas de s'effondrer mais de provoquer ce» mol ensauvagement» qui, après la Shoah, pourrait bien devenir la figure de la catastrophe actuelle.»(2)

Or, la partie conquérante dominatrice est une minorité soudée face à une majorité dispersée désenchantée qui subit des Shoah à la chaîne: génocides, guerres dites civiles, terrorisme, suicides, pollution, drogue, délinquance, aliments et médicaments toxiques frelatés. Exemple le cancer, première cause de mortalité, est un virus artificiel, un mode de vie imposé par une mafia planétaire. Les centenaires, en sus heureux et bien portants, ne se trouvent plus que dans les villages perdus oubliés par la modernité et le crime organisé. Dans son livre, La Mafia Financière, W. Hetzer (3) haut responsable anti-corruption de l'OLAF( Office européen de lutte anti-fraude), affirme que la crise financière actuelle a été organisée. Il explique comment des criminels en col blanc ont planifié cette crise pour s'enrichir. Interrogé par les médias allemands, il dénonce ces truands qui ont bénéficié de la complicité de politiciens de haut niveau. L'industrie financière opérait et les politiciens pourris couvraient ces opérations qui sont à l'origine de l'endettement des pays européens. Pour Hetzer, la haute finance fonctionne comme une mafia: maximum de profit et minimum de risque. Méthode utilisée: acheter les politiciens. La méthode de la terreur trop risquée à cause des médias omniprésents. Dans un monde normal, explique ce responsable, les subprimes n'auraient jamais existé. «Ces gens-là ont l'Etat-nation dans leur viseur. Ils cherchent «la bonne crise majeure» nécessaire à rendre effective une nouvelle réforme monétaire internationale, toute à leur avantage et se traduisant par la mise en esclavage des citoyens.» Et dire que c'est un Allemand qui s'exprime dans un journal allemand, le Die Welt, de la première puissance européenne.

En Algérie, on ne peut pas comparer puisqu'on est né, on végète, dans une crise perpétuelle transmise de père en fils. Le FLN du «groupe de Tlemcen» a fait de la guerre de libération une guerre juste pour créer un Etat mafieux reprenant l'expression de Pierre Péan en parlant du Kosovo. La partie du FLN qui a fait la guerre a été liquidée avant l'heure par les frères et l'ennemi. Boudiaf écrit naïvement dans «Où va l'Algérie? :» La frénésie insensée qui s'est emparée de ce groupe ambitieux, sans unité politique, a coûté des milliers de vies humaines; elle continue à empoisonner l'atmosphère, ruinant les dernières chances d'un redressement sérieux.»

Aujourd'hui , après plus d'un demi-siècle, on a cessé de compter les morts et personne ne croit au redressement, même de façade. D'effondrement en effondrement, nous voilà à portée de la gueule baveuse du FMI. On comprend pourquoi on a été épargné par le printemps arabe qui a viré vers l'insupportable désillusion. Comme pour Mai 68, il y a eu au commencement le rêve d'une jeunesse suivi de l'irrémédiable cauchemar des vieux carnassiers... «L'homme serait-il parvenu au terme d'une évolution irrésistible de la société marchande à ce résultat stupéfiant de se reproduire lui-même comme une marchandise?», se demande Bernard Edelman dans «Personne en Danger». Or, on sait que ce n'est pas l'homme monsieur-tout-le-monde qui est cause de cette inquiétante évolution mais bien une meute de dominants pas-comme-tout-le-monde. Il faudrait, pour notre survie, opposer une bonne meute à la mauvaise avant que l'objectif humain zéro ne soit atteint.

Le psychanalyste et philosophe Cornelius Castoriadis affirme qu'une société montre son degré de civilisation dans sa capacité à se fixer des limites. En Algérie, le système ne connaît aucune limite quel que soit le domaine abordé et l'Algérien se retrouve illico presto irresponsable et coupable de cette irresponsabilité imposée.

On attend comme des oies bien sages le gavage du FMI. Déjà réduit à l'état animal, l'Algérien peut s'estimer heureux d'être privé d'un bonheur qu'il n'a jamais connu. Gaver une oie c'est plus humain que produire génétiquement des poulets sans plumes, des vaches sans panse, des cochons sans yeux, des veaux paralysés... tout en ânonnant les droits des animaux pour multiplier les profits. D'après Darwin, on finira par s'adapter naturellement en naissant par exemple avec un corps sans cerveau au grand soulagement du Crime organisé. La génétique est la loi de demain. Hier, pour combattre Mussolini, les Américains se sont alliés à la mafia italienne ; aujourd'hui, ce trio des Bermudes s'allient contre la populace. Les dictateurs arabes africains accèdent aux tribunes internationales sur des tapis rouges et siègent comme défenseurs des droits de l'homme en clamant haut et fort leur allégeance à la démocratie et vantent la transparence de leurs urnes. Nul n'est en mesure de connaître l'étendue de leurs richesses. Le plus pauvre d'entre eux est plus Crésus que tous les dirigeants occidentaux réunis. Pendant qu'un organisme comme Transparency International profite des fêtes de Noël et de fin d'année pour vendre des bougies afin de ne pas disparaître. Hier en Occident, les défenseurs des animaux dénonçaient les cobayes des laboratoires pharmaceutiques ; aujourd'hui ce sont les humains qui se portent volontaires pour remplacer les bêtes. Demain, que vont devenir les millions d'Algériens quand on trouvera un substitut au pétrole, au gaz? C'est à cause de la catastrophe de Fukushima que l'Allemagne a fermé ses centrales nucléaires. Il suffit donc de presque rien pour rayer de la carte tout un pays. «L'humanité n'est pas héréditaire», affirme Marie Balmary, et on est obligé de la croire.

(1)Jean -Claude Guillebaud( Le Principe d'Humanité)

(2) Jacques Hassoun ( Actualités d'un Malaise)

(3) Librinfo

(4)Mohamed Boudiaf (Où va l'Algérie?)