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Ce que le jour doit à la nuit ? Un film d'Alexandre Arcady

par Baghdad Ahmed *

C'est à travers une chaîne de télévision française que nous avons pu voir un soir de ce début de novembre le dernier film du cinéaste français Alexandre Arcady qui s'intitule «Ce que le jour doit à la nuit» 2012, le seul moyen d'ailleurs de visionner les nouveaux films et notamment les films algériens.

Le film d'Arcady attire l'attention du spectateur algérien dès les premiers moments puisque l'histoire se déroule en Algérie. Natif d'Algérie, le cinéaste français Alexandre Arcady a toujours exprimé une certaine attirance artistique et historique du contexte spatial algérien et cela, depuis ses premiers films notamment «Le coup du sirocco»1979 et «Le grand carnaval » 1983 et «Là-bas... mon pays» 2000, qui dégagent une certaine nostalgie du passé colonial. Cela s'explique par le départ obligé de ses parents en cette année 1961 où la guerre de libération faisait rage.

Cependant, Alexandre Arcady ne nous montre pas les faits de la vision d'un Français exilé dans ses souvenirs, mais celle d'un romancier algérien célèbre, Yasmina Khadra, qui a publié son roman en 2006, c'est la raison pour laquelle le film devient intéressant pour le spectateur algérien.

C'est avec une délicatesse romantique qu'Arcady sauve son film du stéréotype du film colonial des années d'avant-guerre en nous présentant un drame romantique, une histoire d'amour entre un certain Jonas qui fréquente et s'amuse avec des jeunes pieds-noirs. Le film situe son appartenance française en dépit du contexte spatial algérien qui est ici Oran et ses vastes prairies.

La thématique du film ne s'éloigne guère des films coloniaux tournés avant le déclenchement de la guerre d'Algérie. Effectivement, tous ces films français ont voulu démontrer que toute tentative affective avec l'indigène arabe était vaine, et cela depuis «L'Atlantide» de Jacques Feyder (1921) jusqu'à «Sidi Belabbès» de Jean Alden Delos (1953). En effet, les relations entre Musulmans et Français étaient abordées avec méfiance, et tous ces films concluaient à l'impossibilité de vivre ensemble intimement à causes des différences de culture et de religion.

Dans le film d'Alexandre Arcady c'est la même histoire qui se répète, mais cette fois, c'est la guerre qui est la cause de la rupture entre Jonas (ou Younès) et Emilie. Mais, cette relation n'était possible qu'après l'assimilation du jeune Algérien due à son nouveau style de vie. Une vie aisée avec son oncle pharmacien, le mari de la Française, qui côtoie une société civilisée. Et de ce fait, on peut dire que Younès représente une forme d'intellectuel algérien privilégié. Ses répliques et ses silences tout au long du film montrent ses inquiétudes et ses pensées sur l'univers qui l'entoure et ses paradoxes au point de ne pas prendre de position claire de cette guerre qui perturbe les esprits. Une guerre contre l'oppresseur français, et ce sont ces colons qu'il fréquente qui représentent cet ennemi. C'est du moins ce que décrit le film. Ces inquiétudes demeurent apparentes tout le long du film, malgré les scènes émouvantes d'une histoire d'amour incomplète qui finit par le départ dramatique d'Emilie .Et de tous les colons amis de Jonas.

Dans le film comme dans le roman, Yasmina Khadra nous donne une description minutieuse d'une certaine intelligentsia algérienne des années 30et 50 et de sa prise de position envers ce qui se passe en cette période de conflit et de guerre, une position ambiguë que cache une histoire d'amour impossible même en temps de paix.

Ce thème à été abordé par un autre romancier algérien Mouloud Mammeri dans son roman «L'opium et le bâton»1965 qui à été adapté au grand écran et réécrit par le cinéaste Ahmed Rachedi en 1970. Mais l'adaptation à été partielle et le scénariste à voulu mettre en scène la bravoure des moujahidine en évitant un sujet à polémique. Et, avec la facilité qu'offre la narration romanesque, le romancier traite le sujet en toute liberté. C'est que le personnage principal, le docteur Lazrag, refuse catégoriquement de s'impliquer dans le conflit entre Algériens et Français à cause de son statut social en tant que médecin habitant le quartier européen de la capitale et vivant avec son amie française. Et quand on lui demande de soigner des blessés il refuse carrément, et c'est seulement par crainte d'une dénonciation à l'armée française qu'il décide de rejoindre son petit village Thala et après, le maquis.

Mouloud Mammeri suit dans son roman le raisonnement intérieur de son personnage influé par son statut social et son aisance financière, mais n'oublie pas la description de ceux qui vivaient à Thala ou au maquis, dans la pauvreté et la misère.

Et pour le roman de Yasmina Khadra le titre même nous impressionne «Ce que le jour doit à la nuit» et c'est pour ça qu'on va essayer de le déchiffrer à partir d'un autre film, le premier long-métrage algérien «La nuit a peur du soleil», de Mustapha Badie (1965) qui dénonce le colonialisme explicitement et démontre que la nuit c'est le colonialisme et que le soleil c'est l'indépendance et la liberté. En appliquant cette vision simpliste au film d'Alexandre Arcady nous aurons une interprétation similaire. C'est ainsi que le sens devient ambigu et on s'interroge vraiment : qu'est ce que le jour doit à la nuit ?

Le film ne nous donne aucune réponse. Au contraire, la fin est tragique. Des scènes où les Algériens incendient les fermes des colons, et pieds-noirs membres de l'OAS tirent sur les Algériens dans les rues et les cafés et brûlent les bars qui leurs appartenaient. C'était la politique de la terre brûlée.

Ces Français voulaient, comme le montre le film, détruire tout ce qu'ils ont bâti depuis plus d'un siècle en guise de représailles contre cet ennemi qui n'est autre que l'indigène Algérien et les scènes les plus réussies sont celles de la fête de l'indépendance et la tolérance envers celui qui était naguère ennemi, alors que son départ est volontaire et est un choix personnel.

Mais la question à la fin du film reste sans réponse :que doit le jour à la nuit ?

* Centre universitaire de Naâma