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Voyage au bout de la vérité historique

par Mourad Benachenhou

Comme tout un chacun le sait, la houille et le diamant sont des carbones; mais nul ne sera disposé à payer l'un au prix de l'autre; l'un et l'autre sont de la même famille, mais non de la même classe.

Et la différence dans la qualité et la noblesse qui les rend si distincts l'un de l'autre n'échappe pas à l'attention de la personne la plus ignorante de la chimie.

La nature complexe du leadership

Ce qui est évident dans le domaine des éléments premiers devient problématique en politique: comment distinguer le diamant de la houille parmi les hommes que leur personnalité et leurs dons intellectuels innés poussent à ambitionner au leadership d'un groupe humain? Comment, parmi ceux qui proposent leurs services à la collectivité nationale pour l'aider à dépasser ses crises et à retrouver sa voie, reconnaitre l'homme sincèrement attaché aux intérêts vitaux de cette collectivité de celui qui, sans qualités propres à en faire un leader, est poussé par la vanité et le désir maladif d'apparaitre?

Ce sont là des questions auxquelles il est d'autant plus difficile de répondre que, par nature, l'être humain a l'habilité de cacher ses faiblesses et ses convictions profondes par un verbiage, où reviennent les mots lourds de sens comme «liberté,» « dignité,» «égalité,» faisant croire à ceux qui l'écoutent qu'il y a en lui la foi et le feu nécessaires pour conduire son peuple hors de la vallée de misère où les avatars de l'histoire l'ont enfermé. Mais, hélas! le vocabulaire utilisé est un déguisement de la pensée, un brouillard couvrant les intentions cachées du prétendant au leadership.

Le leader a besoin de plus que l'éloquence

On ne peut pas choisir un leader exclusivement sur la base de ses dons d'orateur et de sa capacité à employer des mots qui émeuvent et forcent ceux qui l'écoutent à vouloir se dépasser et à accepter de rompre avec leur lâcheté naturelle. Le leadership est un ensemble de qualités intellectuelles et morales qui vont au delà de la simple capacité d'exprimer avec clarté et éloquence ses idées.

Comment nait un leader? Comment se forme-t-il? Comment est-il reconnu? ce sont là des questions que les psychologues, les sociologues et les philosophes ont débattu et continuent à débattre sans avoir pu en trouver des réponses satisfaisantes et universellement acceptables. Dans les moments difficiles, aucun groupe social ne peut se passer d'un leader, donc ces questions sont loin d'être strictement académique. Il y a de la vie d'un peuple que se dégage d'entre ses membres, au moment des grandes épreuves, un leader capable de lui monter le chemin de la délivrance!

Messali Hadj, un Leader authentique et exemplaire

Messali Hadj, le fondateur du premier parti politique de masse moderne en Algérie, peut, sans aucun doute, être considéré comme un exemple typique de leader en qui se sont retrouvées réunies toutes les qualités humaines propres à mettre en marche un peuple dominé, misérable et déchu, et à transformer en force irrésistible une masse humaine désarmée et désorientée. Comment a-t-il accédé à cette position de leader incontestable du mouvement nationaliste algérien, alors qu'il ne possédait aucun des attributs de niveau social, de formation formelle, de richesse, d'appui organisationnel propres à lui assurer la prééminence? Il ne pouvait se prévaloir ni d'une formation universitaire brillante, ni de la possession d'une expertise professionnelle lui assurant naturellement une place de choix dans sa société? Comment a-t-il pu imposer ses idées à un peuple qui avait touché le fonds de l'abime, et dont l'élite intellectuelle avait rejeté l'existence même?

Une histoire personnelle qui n'a pas besoin d'être embellie

L'histoire de l'ascension politique de Messali, comme de sa chute, est tellement exemplaire et unique dans les annales de l'histoire de l'Algérie, comme du monde, qu'elle apparait comme un roman écrit par un auteur à l'imagination particulièrement féconde. Mais cette histoire n'a pas besoin d'être embellie, car sa trame, dans sont déroulement, est construite sur des évènements dont la réalité n'a jamais été sérieusement contestée.

Messali hadj n'a pas besoin d'hagiographes! Sa vie en elle-même, consacrée exclusivement à la lutte pour l'indépendance du peuple algérien, peut se passer des fioritures des biographes enthousiastes. Il suffit qu'elle soit racontée avec probité et sincérité. Madame Djanina Messali-Benkalfat, du fait de sa proximité et de sa familiarité avec Messali, était plus à même de présenter une biographie authentique de ce leader dont le poids et l'influence dans l'histoire contemporaine de l'Algérie est tel que ses ennemis, aux motivations aussi diverses que divergentes, continuent, à le prendre pour cible de leurs insultes, sans entamer le caractère central de son rôle dans la libération de l'Algérie.

Une autobiographie et un document d'histoire authentique

A lire son ouvrage, à la fois autobiographique et historique, on commence à mieux comprendre pourquoi Messali a attiré le dévouement sans limite des uns, et la haine sans cause des autres. C'était un homme qui avait des qualités humaines rares de désintéressement, de dévouement à la cause nationale, de conviction profonde dans la victoire finale, malgré les obstacles de toute nature, malgré lé duplicité et la puissance de l'ennemi colonial, de résilience surhumaine qui lui permettait de dépasser tous les malheurs qui l'ont frappé.

Aucune épreuve, si dure fut-elle, ne l'a brisé et ne l'a détourné du chemin qu'il s'est tracé. Cet homme a accepté toutes les humiliations, toutes les épreuves au service d'une idée fixe.

Une source d'informations inédites et véridiques

L'ouvrage de Djanina apporte des détails inédits sur la vie de cet homme, consacrée exclusivement au combat pour la dignité des Algériens, détails qui permettent de comprendre comment il a été finalement marginalisé lors de la phase finale de la lutte de libération nationale, par les manœuvres des autorités coloniales visant à l'isoler de ses partisans, et par la haine jalouse que lui portèrent ceux mêmes qui s'étaient réveillés et formés au nationalisme sous sa coupe.

Djanina détruit, par les détails qu'elle révèle dans son ouvrage, les accusations portée contre lui de comportement despotique, de culte de la personnalité, de volonté de maintenir à tout prix son leadership, d'irréalisme politique, de tergiversation dans le passage à la lutte armée.

Beaucoup, certes, reste à révéler sur la scission dans les rangs des forces nationalistes qui a abouti à la guerre féroce entre les deux factions cristallisées respectivement autour de Messali, et du MNA, et autour du comité des 22 et du FLN.

Mais ce qui apparait clairement, à travers le récit de Djanina, écrit sans haine et sans volonté de règlement de compte avec les opposants de son illustre père, et corroboré par des historiens comme Mohammed Harbi, Benjamin Stora, Omar Carlier et Mahfoud Kaddache, c'est que cette scission, aux conséquences désastreuses et aux effets sanglants, et qui est une tâche indélébile sur l'histoire du mouvement nationaliste, n'avait rien à voir ni avec la personnalité de Messali Hadj, ni avec sa ligne politique, et qu'elle aurait pu être évitée si ce leader avait eu la liberté totale de ses mouvements.

Sans doute, la dislocation du mouvement nationaliste doit-elle beaucoup au fait que Messali fut un leader qui assuma ses lourdes et délicates fonctions alors qu'il était en état d'emprisonnement quasi total, empêché de se mouvoir et de prendre contact physiquement avec les militants de son mouvement.

Ceux qui, pour différent motifs et sous l'impulsion de diverses motivations, ont tout fait pour imploser le mouvement nationaliste algérien et ouvrir la voie à l'opportunisme et à l'aventurisme politique de certains qui ont profité des évènements pour se faire une nouvelle virginité politique, ont profité de cette captivité dans laquelle il fut maintenu pratiquement de 1938 à 1962, pour s'emparer du fruit politique de ses efforts et s'arroger totalement le bénéfice de son œuvre.

Le qualificatif de traitre ne veut, hélas, plus rien dire

Le qualificatif de traitre, auquel Daniel Guérin, un des amis fidèles de Messali a consacré tout un ouvrage, continue à être utilisé à tord et à travers un peu contre tous ceux qui ont, d'une manière ou d'une autre, marqué l'histoire contemporaine de notre pays. ce qualificatif, sous lequel ont été couverts des hommes aussi différents dans leur parcours que dans leurs convictions, que Benyoussef Benkhedda, Ferhat Abbas, Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf, Houari Boumédienne, et bien d'autres moins connus, a perdu de son pouvoir insultant et, évidemment, appliqué à Messali Hadj, il porte à rire et ridiculise ceux qui l'emploient contre cet homme dont la vie est un exemple d'engagement sans faille et sans concession pour une cause dont chaque Algérien jouit actuellement de son triomphe, malgré les problèmes que connait notre pays, comme d'ailleurs tout pays qui avance.

En conclusion

La sortie de l'ouvrage de Djanina Messali-Benkalfat intitulé «Une Vie Partagée avec Messali Hadj, Mon Père,» est un évènement historique qui n'a pas suffisamment été mis en exergue. Et, pourtant, il marque une étape cruciale dans la remise en ordre de notre histoire contemporaine et prépare la voie à la reconnaissance pleine et totale par les Algériens de la centralité historique de Messali Hadj, dont le nom n'a nullement besoin d'être réhabilité, car sa vie a été irréprochable, mais simplement d'être reconnu pour ce qu'il est : un leader politique exceptionnel qui, parti de rien, a permis eu peuple algérien de se redécouvrir et de renaitre.

S'il y a un homme auquel on peut attribuer la qualité de moujahid dans le sens le plus profond du terme c'est bien à Messali Hadj, l'une des gloires de sa ville natale, l'un des orgueils de notre peuple, mais un homme transformé-comble de l'ingratitude- en apatride par l'indépendance de son peuple à laquelle il a tant contribué! Un grand pas a été fait au cours de ces trois derniers mandats pour le remettre dans le paysage historique et toponymique du pays, mais beaucoup reste à faire pour que son nom soit lavé de toute la boue qui s'est déversée sur lui-en vain, car la vérité finira par être connue et reconnue-au cours de ces 60 dernières années. Même dans la boue le diamant ne perd pas de sa noblesse et de sa pureté!