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J'ai mis la politique dans les thermes de Flavius

par El Yazid Dib

On doit aux romains la captation de la résurgence d'eau chaude (76°) à la base du versant Nord du Ras Serdoun à Khenchela et l'établissement de bains avec deux grandes piscines et la découverte sur le flan Krouma d'un puits naturel d'où sortait un air chaud et sec de plus de 50°, que les Berbères nommèrent Hammam-Khif, puis Hammam Essalihine.

Je suppose que ce n'est pas grave. Un lombago ou quelque chose me tortille l'endroit dorsolombaire, ce qui m'empêche de me relever aisément une fois assis, ou de m'asseoir difficilement une fois relevé. Une drôle problématique corporelle. C'est pourquoi j'avais de la peine pour terminer ma chronique, différée à une prochaine ablution généralisée et qui aurait été dédiée au rôle de l'opposition, son infécondité ou parfois sa complicité. Bref, mon corps ne m'indispose pas plus que me l'avait fait l'indisponibilité de parution jeudi dernier de mon papier.

Conseillé par ma moitié, je me suis rendu et en sa compagnie à une station thermale que je n'ai jamais auparavant vue, sise à Khenchela. Là, peut être m'étais-je dis j'aurais un peu plus de manœuvres tant sur mes articulations que sur mon inspiration, sortant le temps d'un bain itératif du monde pourri de la politique et de ses avatars.

J'avais pris l'une des routes nationales et commençais à scruter l'horizon pour le confondre à mes illusions et ma pathologie. Les logos du cinquantenaire sont toujours accrochés aux différents supports dans les artères des villages traversés. L'emblème national est encore aléatoirement arboré au fronton des maisons individuelles plus d'une semaine après le fameux match Algérie contre tous les autres. Mais aussi les fragrances en voie de disparition démontrent bien le passage du premier ministre dans la région. Wilaya où le patriotisme n'a d'égal que l'immensité territoriale, où le développement n'a d'allure qu'une vitesse villageoise, Khenchela est vite perçue comme un hameau oublié, laissé pour compte. Pourtant, la légende stipule qu'étymologiquement « khen » exprime un accueil berçant et « chla » paix et sérénité. Malgré l'effort de l'Etat qui s'affiche par les projets que tentent de dessiner ces grues, ces chantiers ouverts, ces engins de terrassements routiers, l'effort demeure encore exigible à plus d'un titre. Niché au fond d'une vallée que dominent de belles montagnes boisées dont l'imposant ?Djebel Ras Serdoune? ; le complexe thermal semble avoir élu domicile dans ce site depuis des millénaires. Ce sont seulement quelques indices hôteliers quasiment hors d'usage qui vous indiquent que cette simple nuance infrastructurelle mêlée à une végétation touffue en est la station thermale. Vous y êtes.

En ce début de décembre en pleine confusion politique au plan national ; les chiches baraques ouvertes au sein de l'esplanade faisant fonction de place publique semblent rouler au ralenti. Pas de touristes, pas trop de curistes. Tout le panorama était à conquérir. Seuls quelques menues familles arrivant sous les bras ; bassines et sceaux ne semblent pas elles aussi trop se soucier ce qui se passe à des centaines de kilomètres dans les officines algéroises. Ce ne sera pas la senteur vertueuse de ce paysage naturel féerique associée aux décombres antiques où se situe le Hammam qui saura leur faire oublier, le devenir incertain qui les guette. L'opposition n'est perçue ici, en ce temps de baignade qu'en un simple comportement contre la rudesse de l'hiver. Le pouvoir qu'une idée nécessaire pour vivre. Moi je ne pouvais réfléchir à Louisa Hanoune qui vient d'être pour la septième fois réélue à la tête de son parti ni à Yasmina Khadra et son programme plutôt qu'à son prochain roman. Je tressaillais dans ma baignoire pour voir partir dans cette eau si chaude toutes les malpropretés que mon être supporte et assister à la dissipation temporaire de tous les déraisonnements que ma tête suppute. Je faisais le ménage sur une peau insoumise.

La vapeur qui se dégage est semblable à ce brouillard qui surplombe les crêtes au sommet hiérarchique de la république. Pas de vision claire pour un lendemain que l'on souhaite limpide et bienséant. Heureusement que la source, dont je ne connais ni l'origine en amont ni la destination en aval et qui abreuve à flots mes membres traumatisés est très riche en minéraux. Cette eau est si pure qu'elle n'a besoin d'aucune épuration, comme celle que me recommandent mes égarements politiques. A 1068 d'altitude, l'on ne peut réfléchir à la base qui dans sa majorité ne s'inspire guère de la morosité plantée dans chaque citoyen. Le bain est l'une des meilleures thérapies pour exorciser le mal qui se goure dans l'ensemble du corps social. Qui serait capable en étant subjugué sous une exhalaison aquatique de se permettre de penser à ce qui se passe dehors ?

Oser raisonner ou réfléchir sur la potentialité d'un candidat consensuel ou sur la candidature d'un autre qui ne fait des remous que dans son ustensile local ou par le biais de l'émergence des comités de soutien là et ailleurs n ?est en fait qu'une vaine action, car rapidement vos méninges sont happées par l'eau remuante de la baignade. Pourtant moi qui croyais me noyer juste à voir quelqu'un se baigner. Moi qui prenais froid au simple regard d'un paysage glacial et enneigé.

 Mais les segments particulaires de mon ADN ne pouvaient laisser tranquille ma muse pourtant mise en quarantaine. Même dans ma salle d'eau, en même temps que l'eau naturellement chaude agaçait mes ossements et engourdissait ma réflexion ; le monde politique de demain et ses acteurs se profilaient au-dessus de mes yeux et s'installaient en diagramme sur le plafond vaporeux de mon bain. Qu'en sera ?il de la liberté d'expression ? Sa défense est une affaire d'ensemble, indissociable des autres batailles démocratiques. La liberté d'expression n'est pas uniquement la faculté de pouvoir dire, écrire, chanter, mais c'est surtout d'accepter que l'autre aussi le fasse à sa façon et selon sa culture. En étant dans cette station thermale, j'étais incapable de différencier entre les stations. Naftal, sur l'autoroute fait dans l'insupportable monopole des surfaces de repos et du choix de se prélasser.

La propreté des endroits exclusivement squattés par elle n'est pas le label de l'entreprise. Vendeuse de carburant, elle se soucie peu de la qualité de vie instantanée à subir dans ses aires. Idem pour le discours politique. L'on tente de nous faire croire que l'étape est cruciale, à chaque station chronologique du pays. . Qu'on devait agir...mais dans quel sens ? Alors sommes-nous face à une station changeable ou une fatalité à subir en silence ? Le murmure de l'eau faisait suspendre mes élucubrations. Il n'y a pas de citoyen à l'unité, un citoyen comme individualité isolée, le citoyen ne peut s'affirmer que dans un ensemble, un conglomérat, une idée globale, un élan dynamique national. Moi dans mon bain personnel je ne pouvais rien faire, que d'écouter ma propre voix. Une panne du chauffage qui allait m'attiédir, dans une demeure pourtant offerte en guise d'hospitalité thermale me pressait d'écourter ma cure et repartir vite vers mes croyances quotidiennes et usuelles. Dehors, dans les deux grandes piscines romaines des concitoyens en foulée, unis par le brouhaha des voix et de la masse aquatique qui les enveloppent, sont tous heureux d'y être dans le bain. Comme je semblais l'être moi aussi. Je voyais la société civile dans la piscine circulaire. Elle se marrait tant l'eau y était supportable et accueillante. Je ne saurais rien d'un devenir probable si dans un acte providentiel, cette eau allait subitement se refroidir. Le sauve-qui peut pourrait engendrer le tohubohu, la désarticulation des priorités et partant celle des corps et de leurs membres supérieurs et inferieurs. La révolution dans les thermes de Flavius.