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«Things fall apart ; the centre cannot hold [?]»1W.B. Yeats, The
Second Coming.
Les généralisations ont besoin d'illustrations. Quelque chose, (peut-être) d'important, est (peut-être) en train de changer dans le rapport étudiants/université, au moins pour ce qui concerne une des fonctions de cette dernière. C'est du moins la direction que semblerait indiquer une petite étude récente sans prétention aucune menée au Département des Lettres et Langue Anglaise, Faculté des Lettres et Langues, Université des Frères Mentouri de Constantine. 1. À QUOI SERT L'UNIVERSITÉ ? Dans le cadre d'une enquête sur le vécu universitaire des étudiants, un questionnaire de dix sept (17) items2 couvrant des domaines des développements cognitif, affectif, et interpersonnel, avait été distribué dans le courant de l'année universitaire 2007?2008 à quelques deux cent (200) étudiants de Master 1 de la première promotion LMD de licence d'Anglais, option sciences du langage, de la Faculté des Lettres et Langues de l'Université des Frères Mentouri de Constantine. Il leur y avait été demandé de classer par ordre d'importance décroissant, en termes de ce qu'ils pensaient que leur séjour de trois ans à l'université leur avait apporté, les 17 items du questionnaire. Cette étude, publiée en 2009 dans le Quotidien El Watan3, montrait les données statistiques suivantes : (voir version PDF) Classement des propositions du questionnaire 2007?2008 Par delà l'intérêt que revêtent les domaines de développement représentés par les items emportant une majorité des voix de la population interrogée ? classés de 1 à 8 ?, et ceux, relégués dans son classement, qui n'emportent pas la majorité dans son choix ? classés de 9 à 17 ?, une lecture des statistiques du tableau dans leur ensemble souligne une fonction importante de l'Université : sa fonction ?homogénéisante'. En effet, dénotant les choix d'une population au départ vraisemblablement hétérogène en termes de sa provenance ? bien que tous ses membres étaient bacheliers de l'Enseignement Secondaire, ils venaient d'horizons, de parcours, et d'options différentes ? mais qui avait suivi la même formation depuis son accession à l'Université ? tronc commun de la licence d'Anglais puis option science du langage en troisième année de licence et en Master 1 ? dans grossièrement les mêmes conditions ? le Département des Lettres et Langue Anglaise de la Faculté des Lettres et Langues de l'Université des Frères Mentouri de Constantine ? ; ces statistiques reflètent, dans la possibilité même d'un regroupement majoritaire des choix des items par les étudiants qu'elles expriment, une certaine homogénéité dans les réponses, et de là, dans la population questionnée. Ainsi, d'une population à son accueil vraisemblablement plus différenciée qu'homogène et au terme d'un séjour de trois ans dans ses murs, le Département des Lettres et Langue Anglaise (l'Université ?) produisait, dans une formation donnée ? ici la licence d'Anglais option sciences du langage ? un profil largement homogène chez les réceptacles de cette formation, définissable en termes de savoir, de savoir-faire et de savoir-être, qu'ils reconnaissaient majoritairement avoir acquis. En d'autres termes, au sortir de trois années de licence d'Anglais, option sciences du langage, il existait un profil partagé par une majorité des étudiants du Département des Lettres et Langue Anglaise évalué par eux-mêmes comme une meilleure capacité à penser et raisonner, une sociabilité, un sens de la responsabilité, une capacité à mieux travailler avec les autres, un comportement d'adulte, une capacité à mieux s'exprimer, une plus grande connaissance de soi, et la découverte de nouveaux centres d'intérêts. Ce profil, forgé par l'institution universitaire, était partagé par entre 79,7% et 58,2% des étudiants interrogés, d'où la notion et de profil commun, et d'homogénéité. Cette fonction ?homogénéisante' de l'institution universitaire serait-elle en train d'être mise à mal, du moins au Département des Lettres et Langue Anglaise de l'Université des Frères Mentouri de Constantine ? Ce dernier (l'université ?) peine-t-il déjà à la remplir ? Ne la remplit-il (elle ?) déjà plus ? 2. Ce qui est (peut-être) en train de changer Dans le courant du premier semestre de l'année universitaire 2015?2016, c'est-à-dire huit ans après cette première étude, le même questionnaire a été administré à une population de cent seize (116) étudiants sur les deux cent un (201) que compte ce même Département des Lettres et Langue Anglaise pour le même niveau de formation de Master 1, et la même option de sciences du langage que ceux de la première enquête ; c'est-à-dire à 57,71% de la population estudiantine totale dans l'option. L'idée de départ derrière ce deuxième passage était de voir si, dans une population au parcours universitaire semblable à celle précédemment testée, quelques modifications allaient apparaître dans le classement des propositions du questionnaire, et lesquelles. C'est un changement d'une autre dimension qui est apparu. Par-delà les transformations dans le classement des items du questionnaire proposées ? cinq items du questionnaire n'apparaissent pas dans ce classement alors que d'autres items sont cités plus d'une fois ; certains d'entre eux prenant la valeur d'ex-æquo ?, le dépouillement des réponses des étudiants affiche en termes de valeurs statistiques globales une différence essentielle d'avec celui proposé par ceux qui les ont précédés dans cette même formation. Il est résumé dans le tableau suivant : (voir version PDF) Classement des propositions du questionnaire 2015?2016 Aucun choix n'emporte l'adhésion d'une quelconque majorité parmi la population testée. Ainsi, par exemple, pour 14,6% de cette population qui dit que son séjour universitaire lui aura d'abord appris à mieux penser et raisonner, 85,3% déclare que cela n'aura, pour elle, pas été le cas. Pour 11,2% qui dit que son séjour universitaire lui aura ensuite appris à se comporter en véritable adulte, 88,7% déclare que cela n'aura, pour elle, pas été le cas ; ainsi de suite jusqu'à épuisement du classement des items du questionnaire. En d'autres termes, à chaque faible pourcentage de la population testée qui se réclame d'une caractéristique pouvant entrer dans l'élaboration d'un profil pour cette population, s'oppose un large pourcentage de cette même population qui dit n'en être pas ; ce qui empêche toute élaboration de profil. Ainsi, et au contraire de la période du premier passage du questionnaire, chez une population à son accueil tout aussi différenciée, mais vraisemblablement pas plus, que celle de ce premier passage et au terme d'un séjour égal de trois ans dans ses murs, le Département des Lettres et Langue Anglaise (l'Université ?) semble à présent ne produire, dans la même formation et option que celle du premier passage du questionnaire, que des caractéristiques largement hétérogènes qu'atteste la dispersion des réponses dans la colonne des ?Pour' chez les réceptacles de cette formation. Plus d'homogénéité donc, rendant la notion même de profil difficile à soutenir, mais des caractéristiques disparates, encore ? on serait presque tenté d'écrire ?tout juste' ? partagées par quelques étudiants. Sans plus. Cette dispersion n'est de toute évidence pas attribuable au hasard ou à quelque équiprobabilité dans le choix des réponses proposé par les étudiants. En effet, les réponses des étudiants atteignent toutes des valeurs statistiques supérieures à 5,8% qui les distinguent de l'aléatoire. Elle est donc porteuse de sens. Cette dispersion n'est peut être pas non plus une donnée conjoncturelle : Dans le courant de l'année universitaire 2014?2015, cette même étude a été menée auprès d'une population certes plus réduite de quarante-cinq (45) étudiants du même département, même année de master, même option. Par-delà le classement différent de tel ou tel autre item, ce passage du questionnaire pointe vers une même donnée statistique : la même dispersion dans la colonne des ?Pour', et donc l'impossibilité, déjà, de tracer un quelconque profil de la population testée. C'est ce qu'atteste le tableau suivant : (voir version PDF) Classement des propositions du questionnaire 2014?2015 D'où le constat de perte de la notion même de profil pour la population de l'étude et, de là, l'hypothèse proposée plus haut de la perte de la fonction ?homogénéisante' que remplissait, au moins pour cette population, le Département des Lettres et Langue Anglaise (l'Université ?) ; le Département (l'Université ?) ne la remplissant, du moins au vu des données statistiques présentées, peut-être déjà plus. 3. En guise de conclusion: du rôle et de l'importance de cette fonction «homogénéisante». Force est de constater l'impression de chaos que suggèrent les deux derniers tableaux statistiques contrastés avec l'ordre des données du premier tableau. Ainsi, la tendance à assumer que les étudiants d'une même option constituent un groupe plutôt homogène avec quelques cas différents, quelques individualités, serait peut-être en train d'être dépassée ; les étudiants sur un même diplôme ayant, comme le suggèrent les deux derniers tableaux statistiques, des expériences différentes de leur formation. D'où, peut-être, la perte de la notion même de groupe, de profil commun, et de là de celle d'homogénéité ; de la fonction ?homogénéisante' de l'institution universitaire. Il est bien évidemment possible de se perdre en conjectures sur le rôle de cette fonction ?homogénéisante', sur ce que l'hypothèse de son effacement suggérée par la présente étude signifie, et sur ce qui pourrait en être la cause. Expression du rôle fédérateur de l'Université algérienne, cette fonction ?homogénéisante' pourrait être présentée comme une composante importante du principe de démocratisation de l'Enseignement Supérieur institué par la Réforme de 1971 en cela qu'elle œuvrerait pour l'acquisition, par la majorité d'une population au départ différenciée parce que venant d'horizons, de milieux, et d'expériences diverses, de certains dénominateurs communs en fait de savoir, de savoir-faire et de savoir-être. De plus, et par-delà ce que cette fonction ?homogénéisante' apporterait à tous, elle pourrait être présentée comme bénéficiant surtout à ceux, en fait une majorité, qui auraient le plus besoin de l'institution universitaire pour se structurer ; d'où son inscription dans le principe démocratisant, et son rôle fédérateur. L'hypothèse de sa mise à mal que suggèrent les statistiques proposées dans la présente étude signifierait alors peut-être que les savoir, savoir-faire, et savoir-être partagés par cette majorité d'étudiants en 2007?2008 ne seraient déjà plus, en 2015?2016, que l'apanage d'une minorité, c'est-à-dire avant même leur accession à l'Université, mieux préparés à les acquérir. Ceux qui, paradoxalement, n'avaient pas ou très peu besoin de l'institution universitaire pour se structurer. Qu'en serait-il alors des autres, de la majorité des ?Contre' des tableaux statistiques des années 2014?2015 et 2015?2016 ? Alors, exit, avec la fonction ?homogénéisante', un aspect de la démocratisation ? Supputations, pour intéressantes qu'elles pourraient être, dans l'attente d'études plus représentatives. Vaines supputations ! Supputations aussi quant à ce qui pourrait expliquer cet effacement. Serait-ce quelque chose que le Département des Lettres et Langue Anglaise (l'Université ?) faisait qu'il (elle) ne ferait plus, ou qu'il (elle) ferait moins bien, ou qu'il (elle) ferait mieux, et qui se serait soldé par le remplacement d'expériences de parcours plus homogènes débouchant sur la création d'un profil commun, par des expériences de parcours diversement appréciées sinon diverses, plus individuelles ; d'où ce recul de l'homogénéité ? Serait-ce la sélection ayant un pouvoir homogénéisant, un effet de quelques changements dans le processus de sélection à l'entrée à l'Université puis d'années en années depuis le premier passage du questionnaire qui influerait déjà sur l'homogénéité du groupe, voire sur sa notion même ? Serait-ce enfin, à une toute autre échelle, effet collatéral de la mondialisation, le résultat d'étudiants devenant plus individualisés ? sinon plus individualistes ? ; un effet peut être plus sensible dans une formation à contenu ?Anglo-américain', chantre de l'individualisme, et qui paradoxalement, pour ce qu'il impliquerait comme intériorisation des valeurs que véhicule cette formation, pourrait alors être lu comme un succès de cette formation? Vaines supputations ! Deux aspects demeurent pourtant: - Du point de vue de l'institution formatrice, la politique de formation du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique semblerait plus pencher pour un encouragement de l'homogénéité que de la diversité. Il n'est qu'à prendre comme mesure probable de cela le mouvement plus prononcé vers les parcours de formation types que suggèrent les contenus nationaux des offres de formation, plutôt que vers ceux des formations propres à chaque université, offerts aux étudiants de premier cycle dans le cadre du LMD. C'est aussi ce que confirmerait un récent article publié dans le quotidien An-Nahar sous le titre « Hadjar met fin au système de spécialisation dans la licence LMD »4qui annonce l'abandon des spécialités dans le cycle de licence et leur introduction pour le seul Master dès l'année universitaire prochaine. Une confirmation ?anticipée' de cela, touchant de plus près la population de la présente étude, pourrait se voir, dans le contenu de la formation proposée aux étudiants du Département des Lettres et Langue Anglaise, dans le récent abandon de la formule tronc commun de deux ans et choix d'une option de spécialité dès la troisième année, pour un choix d'option de spécialité qui n'intervient qu'en première année de Master. Les expériences diverses de leur formation qu'auraient les étudiants dès le sortir du cycle de licence que suggèrent les deux derniers tableaux statistiques de la présente étude n'iraient-elles donc pas à contre-courant de ce choix de l'institution formatrice ? - Du point de vue de l'employeur prospectif, l'Université étant censée former pour le monde du travail, il est peut être important qu'à défaut de pouvoir contribuer à définir un profil général de la force de travail qui lui est proposée, il puisse au moins avoir une idée de ce profil. La dilution de ce profil que semble indiquer la présente étude au moins pour la population qu'elle couvre, n'œuvrerait-elle pas à son tour à contre-sens de cela ? A un moment où le MESRS initie une vaste réflexion sur le système LMD et sa mise en application, peut-être trouvera-t-on quelque pertinence, dans cette réflexion, aux lignes qui précèdent. C'est dans cette optique que la présente contribution sur un aspect de ce qui est (peut-être) en train de changer à l'Université, pourra s'avérer utile. NOTES: 1- «Tout s'effondre ; le centre ne rassemble plus [?]». Notre traduction. 2- Ce questionnaire a été emprunté à S. Contrell, The Study Skills Handbook, Macmillan Press Ltd, London, 1999, p.6. Notre traduction. 3- Cf. El Watan, mercredi 20 mai 2009, pp.22 et 23. 4- Cf. Le quotidien en langue Arabe An-Nahar, du mercredi 24 février 2016, p.4. Notre traduction. *Professeur, Département des Lettres et Langue anglaise, Faculté des Lettres et Langues, Université des Frères Mentouri, Constantine. |
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