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8 Mars : la femme est-elle l'avenir de l'homme ?

par Abdellatif Bousenane

Une brève lecture sémiotique de l'image officielle de l'accueil présidentiel consacré aux quelques femmes algériennes le huit mars dernier donne effectivement beaucoup de signes, de significations et donc beaucoup de symboles.

Elle nous renseigne, en effet, non seulement sur la condition de la femme algérienne et son avenir mais aussi sur le rapport entre l'élite gouvernante et le peuple.

Tout le monde a, certainement, bien observé l'importance que donne, à juste titre, le président de la République à la question de la femme depuis son arrivée au pouvoir en 1999. Donc il faut reconnaître, tout de même, qu'il a une conviction assez soutenue et respectable, par ailleurs, qui s'est transformée avec le temps en une posture coriace. Et qui a été très payante sur le plan politique, car dans toutes les élections de ses quatre mandats, les femmes ont voté pour Bouteflika. Cette image très positive et rayonnante d'une Algérie qui se modernise, envoyée au monde et surtout à la démocratie occidentale, n'a pas été vue, en revanche, du même œil par beaucoup d'Algériens !

Au-delà de la réforme des lois concernant la protection de la femme qui va dans le bon sens, malgré les réserves soulevées par les uns et les autres, il y a néanmoins des questionnements liés notamment à la représentativité des femmes qui posaient à El-Mouradia. Quoique l'habit ne fasse pas forcément le moine, toutefois, les signes sont assez clairs.

Dans un contexte marqué par ces changements de lois qui renforcent davantage les droits de la femme et qui sont instrumentalisés par des forces religieuses et politiques en évoquant un éventuel complot mené par « l'Occident mécréant » et appliqué par les gouverneurs en place contre les principes de notre religion. Dans le même temps, la direction de la douane décide l'interdiction du foulard dans sa corporation. Et au moment où les démocraties occidentales durcissent leurs lois et discours politiques sur le voile islamique d'une manière stigmatisante, très défavorables aux pratiquants musulmans, cette image de l'APS ne vas pas être forcément comprise avec beaucoup de recul et de philosophie par une bonne partie de musulmans dans une terre de l'islam.

La République a-t-elle choisi ses femmes ?

Dès lors, dans ce contexte bien défini on a choisi pour la photo 21 femmes, élégantes et souriantes, dont deux femmes qui se distinguaient par des habits différents des 19 autres ! Une avec un foulard ordinaire et la seconde avec un voile traditionnel bien de « chez nous ». Or, si au sortir du palais présidentiel on remarque aussitôt que cette image redevient beaucoup plus contrastée, la femme voilée étant très présente dans les rues ainsi qu'à travers toute l'Algérie, des universités, à In Salah.

Par conséquent on est là devant une représentation assez biaisée qui est perçue par une bonne partie d'Algériens, à tort ou à raison, car il s'agit ici de la description d'une réalité et non pas d'une analyse idéologique, comme étant une doctrine imposée par une élite très minoritaire et très occidentalisée qui détient le pouvoir politique.

En tout cas, nombreux Algériens et Algériennes ont été vexés ce jour-là ! Cela entache ces reformes très courageuses d'un brin de soupçon et de méfiance.

AU NOM DU PEUPLE, DU FIS ET DES SIMPLES D'ESPRITS !

On se souvient tous, de la thèse centrale de l'ex-parti dissous, le FIS, qui a fait de cet argument son cheval de bataille pour conquérir les esprits du peuple où la question de la femme et donc de la famille était au centre de ses stratagèmes politiques. Cette thèse qui stipule grosso modo que le pouvoir algérien est dominé par une élite qui « déteste » le petit peuple et qui ignore et méprise ses traditions, sa religion. Ce discours plus au moins simpliste a réussi à convaincre beaucoup de gens y compris les femmes et le vote a été sans appel. Décidément, depuis ce choc électoral de 1991, apparemment on n'a pas fait des efforts substantiels afin de combattre ces idées extrêmes. De ce fait, cette fracture entre les gens « ordinaires » et les gens qui gouvernent n'est pas encore réparée au moins sur cette question-là!

Alors que dans la civilisation dominante même, dans les sociétés occidentales très développées, on commence à remettre en question la doctrine soixante-huitarde sur la problématique de la famille et donc sur la femme. Il y a effectivement des voix d'intellectuels qui s'élèvent pour sonner l'alarme du danger des crises démographiques et morales que vit l'Occident actuellement et qui composent avec le retour en force de l'extrême droite dans plusieurs pays européens les principales conséquences de la modernisation démesurée de la conception de la famille et le rôle de la femme.

COMMUNICATION PARADOXALE DANS UNE SOCIETE PATRIARCALE :

Dans une lettre adressée aux femmes à l'occasion de cette fête mondiale, le président de la République a appelé au « renforcement du front intérieur » contre des risques venants de l'étranger ! Mais, paradoxalement, cette image officielle fait appel au « front extérieur » en négligeant une grande partie de ce front tant convoité, pire encore, elle suscite tout le contraire du rassemblement et de l'unité puisque elle a préféré un style vestimentaire contre un autre, un groupe contre la masse, une manière d'être contre la colère d'une conscience collective toujours patriarcale.

Malgré le grand chamboulement, après la sortie de la femme aux études puis au travail, il ne faut pas oublier qu'on est toujours dans une société conservatrice. Ainsi, le progrès et l'évolution qui sont inéluctables, bien évidement, ne doivent pas se faire, si on veut vraiment leur réussite, au détriment de la cohésion sociale, contre une partie de la société ou en méprisant les convictions ancestrales d'un peuple. Ce mépris renforce certainement l'extrémisme et la radicalisation surtout chez les générations futures. Par conséquent, toutes ces réformes et ces efforts pour la bonne cause seront, bêtement, contre-productifs.

Pour ne pas accorder raison aux extrêmes, il ne faut pas donner une touche idéologique élitiste à ces reformes très délicates. Il faut convaincre en revanche par l'inclusion, par une très judicieuse communication avec « le front intérieur » et éviter ainsi de brutaliser les consciences, de choquer les esprits pour justement empêcher « le clash de civilisations » dans notre propre pays, le choc de mœurs et des idéaux.

Si la maxime de Louis Aragon « la femme est l'avenir de l'homme » veut dire dans les rêves du poète une dominance de la féminité sur la virilité, la tendresse sur la brutalité, la paix sur la guerre, le bien absolu pour la race humaine, bref, la poésie sur la réalité solide. L'image officielle du 8 Mars 2015 chez nous, quant à elle, renvoie en fait des signaux pas très encourageants, des symboles d'une élite toujours en rupture avec la rue, avec la masse et la femme reste juste un enjeu de combats de coqs organisés par le mal dominant.