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Une philosophie économique algérienne

par Kamel Kacher *

Celui qui contrôle la rente en Algérie contrôle le pouvoir. L'endiguement des pertes conjoncturelles, en valeurs, des revenus tirés de l'exportation des hydrocarbures ne peut cacher, ce qui est plus grave pour le pouvoir actuel, pour sa pérennité, mais surtout pour la sécurité nationale et pour la paix sociale en Algérie : la chute drastique, depuis 2009, des volumes extraits et exportés d'hydrocarbures.

Sachant pertinemment que la demande intérieure, incompressible, augmente exponentiellement d'année en année avec la percée démographique. L'autre problème est la perte de parts de marché et de clients, en premier lieu les Etats-Unis. La perte de la rente d'exportation des hydrocarbures équivaudrait à la perte de pouvoir. Le régime le sait, d'où le «choix », même aux conséquences catastrophiques pour les populations du Sud, de l'exploitation d'hydrocarbures non conventionnels. Pour le régime, le plus important est d'avoir la main basse sur une rente confortable, pour ne pas être à la merci des «masses » des contribuables.

Pour compenser ces pertes, en volumes et en valeurs, les tenants du pouvoir, pour leur survie, n'envisagent, dans le cours terme, que de maintenir, coûte que coûte, un revenu minimum, équivalent d'avant la chute des prix du brut. Donc, le choix pour l'exploitation d'hydrocarbures non conventionnels pour le régime n'est pas vraiment un choix, mais une nécessité absolue pour se maintenir, au risque de perdre le pouvoir.

Ce pouvoir n'ira jamais vers un moratoire sur l'exploitation de l'énergie non conventionnelle, même s'il y a risque environnemental avéré, pollution et tarissement hydrique pour la population des régions concernées. Un moratoire pour le pouvoir veut dire qu'il se fait «hara-kiri ». Le régime est absolument conscient de la situation, il joue sa survie. Rien ni personne ne l'arrêtera.

Pour changer de philosophie économique algérienne, il faut changer la philosophie rentière de l'économie algérienne. A l'heure actuelle, ce n'est pas réaliste, ni envisageable. Vu le niveau intellectuel de la population, la méfiance des masses envers les politicards-opposants, la corruption morale et matérielle de personnalités politiques, complices du statut quo, pouvant imposer la réorientation économique de l'Algérie. Aujourd'hui, on assiste à un pourrissement vertical, horizontalement imbriqué, dans toutes les couches populaires et à tous les niveaux. Ce qui fait l'affaire du régime.

Maintenant, parlons austérité. Il faut tout d'abord nous mettre d'accord pour dire que l'Etat a péché par manque d'anticipation et a montré une prédisposition flagrante de mauvaise gestion des deniers publics pendant les années prospères et de vaches grasses. A tout problème, il y a une solution, surtout en économie. Pourvu qu'il y ait une volonté politique réelle d'y remédier. C'est ce qu'on appelle la «real » économie politique.

Venons aux faits. Selon les statistiques officielles entrecoupées, groupées et consolidées de l'ONS, de la Direction générale des impôts, de la Douane algérienne, de la Banque d'Algérie et du CNRC, en Algérie, à fin 2014, au registre du commerce sont inscrits plus de 40.000 (quarante mille) importateurs, parmi lesquels le groupe Cevital et ses filiales, le groupe Sonatrach et ses filiales, le groupe Sonelgaz et ses filiales, presque la totalité des membres du FCE et des autres organisations patronales, tous les concessionnaires automobiles et engins, toutes les sociétés pharmaceutiques, tous les groupes agroalimentaires, jusqu'à la plus petite Eurl au chiffre d'affaires d'un million d'euros d'importation par année fiscale.

En partant du principe que chaque importateur est une Eurl au CA d'un million d'euros d'importation par an, cela donne une somme faramineuse d'importation annuelle de 40 milliards d'euros, soit presque 50 milliards de $ US/an, sans compter l'évasion fiscale due aux services externalisés confiés aux bureaux d'études étrangers et facturés annuellement pour plus de 12 milliards de dollars US.

Pour mettre le holà à cette situation dramatique pour l'Algérie, qui, rappelons-le, n'est pas membre de l'OMC, à notre sens, la solution est toute simple, que même l'enfant du roi connaît, pourvu qu'il y ait volonté politique. Instaurer une licence d'importation des biens et des services, pour toutes les entreprises, publiques et privées, sans exception et avec effet rétroactif pour les cinq dernières années, c'est-à-dire depuis 2009. Le coût de cette licence unique sera de 20% du CA/an par entreprise, établi forfaitairement par la DGI et les Douanes, payable obligatoirement et pour la période quinquennale précitée. Les entreprises et groupes récalcitrants ou/et en fuite fiscale seront redressés, mis en faillite puis radiés des RC. Au bas mot, cela rapportera plus de 50 milliards de $ US «cash » au Trésor public annuellement et pendant cinq années. L'austérité est dans les esprits des gouvernants, imbriqués tacitement et docilement dans les combines de ces «biznessman » métastasés, comme un cancer, dans l'économie algérienne.

Sur un autre volet, et concernant les subventions étatiques et les sommes grandissantes, avec la démographie, des transferts sociaux, pour endiguer, soi- disant la crise sociale, le remède proposé est aussi d'une simplicité loufoque.

D'abord, supprimant, tout simplement, toutes les subventions et tous les transferts sociaux, la subvention des carburants, de l'énergie, de l'eau, de l'électricité et du gaz pour la population et les entreprises, des produits et des services de première nécessité et de tous produits ou services subventionnés. Dès cette année 2015.

Instituant ensuite, parallèlement, en un même temps, une sorte de carte «Chifa » de la subvention, avec exécution immédiate et rapide, comme projet pilote d'abord, dans les six mois à venir, pour les retraités, au nombre de 2,6 millions de personnes, selon la CNR et le ministère concerné, ayant moins de 2,5 SNMG (soit 45.000 DA) de revenu de retraite par mois. Le versement de cette subvention individuelle et nominative, à la place et au lieu de la subvention collective étatique, se fera mensuellement et en numéraire sur le compte personnel du retraité et des ayants droit. En plus, il faut supprimer définitivement et immédiatement l'IRG sur les retraites et les pensions, quelle que soit la valeur du revenu, puisque par définition, ce ne sont pas des revenus d'activité, mais de solidarité sociale et de dette, rendue après une longue période de dur labeur. Ce mécanisme se généralisera au fur et à mesure, dès l'année 2016, après que les enquêtes des services sociaux du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales éplucheront le fichier, en leur possession, des nécessiteux et des ayants droit. D'autre part, ça diminuera la contrebande, vu que les prix du marché seront réels, les abus administratifs et bureaucratiques liés, moindres, la corruption liée aux subventions de produits et services de première nécessité endiguée.

Nécessairement, il faut instituer le principe financier, selon lequel un instrument d'indexation des salaires sera obligatoire pour toutes les entreprises, publiques et privées. Payable et ajustable trimestriellement, juste après l'annonce, chaque fin trimestrielle, par l'ONS du taux d'inflation. Cette norme doit être obligatoire et inscrite dans le code du travail. Voilà, à notre sens, sur quoi doivent se battre nos syndicalistes, les gérants de l'Ugta et les partis populistes. Voilà comment la philosophie économique algérienne, sur ces quelques points précis et non exhaustifs, peut être reflétée et votée dans une probable loi de finances complémentaire 2015.

Certains mécanismes, mais surtout, certaines actions gouvernementales claires et justes donneront toute la plénitude du sérieux et de la bonne approche dans l'attitude réelle de nos gouvernants quant à la sincérité de leur pensée, et la réponse idoine à la conjoncture actuelle de crise, qui devient dans la réalité algérienne, structurelle, traduite par des actes forts et acceptables, démontrant le début d'un changement, plus humble et moins arrogant, mais radical et clairvoyant de ceux parmi nos dirigeants, qui ont mis nos concitoyens dans les «sales » draps de la non- gouvernance.

A eux, maintenant, de laver ce linge, mieux, d'apporter de nouveaux vêtements, c'est-à-dire préconiser de vrais remèdes, réalisables dans l'immédiat, pour les citoyens, mais en famille.

L'équipe exécutive, représentative d'un sérail prônant l'esprit de terre brûlée, n'a qu'à imiter, par manque d'idées et de volonté politique d'anticipation d'abord, puis par absence absolue de pensée et de créativité et de sclérose caractérisée, mais surtout par mimétisme, les remèdes préconisés, depuis plus de 3.000 années, par le prophète Yusuf. La recette est connue par les élèves du préscolaire algérien.

La fameuse épopée des sept années de vaches grasses et de sept années de vaches maigres, des fameux silos de blé avec leurs réserves de 20% annuelles des récoltes des années fastes, pour pouvoir résister pendant les années de vaches maigres, de non-récolte et de sècheresse.

Nos dirigeants pensent peut-être qu'ils sont plus intelligents que le pharaon Akhnaton, la reine Néfertiti et le prophète Yusuf, réunis, qu'à Dieu n'en déplaise ? En tous les cas, c'est ce que le citoyen algérien constate et voit.

Le signal fort qu'attendent les citoyens de ce pays, comme premier pas vers le retour de la confiance citoyenne envers ses dirigeants, est de faire payer et fortement, tous les indus profiteurs de la manne pétrolière et de la rente, en commençant par les 40.000 importateurs et dès 2015. Ça rapportera aux caisses de l'Etat, au bas mot, au moins 50 milliards de dollars US annuellement et pendant cinq années et dès cette année.

Qui sait donner, comme la fait l'exécutif pendant plus de quinze années, doit savoir prendre et avec force, mais surtout rendre. La clientèle rentière est bien connue par ceux qui étaient les aiguilleurs de ce qui s'est passé comme sommes astronomiques des deniers publics. Le reste dépendra de ce que fera l'exécutif. Il n'a qu'à les redresser fiscalement, en les forçant par des instruments financiers, fiscaux et parafiscaux, à rendre le tiers des revenus rentiers, engrangés ces quinze dernières.

Les autres chantiers, de gagne temps, ou plus justement de perte de temps précieux, préconisés par l'exécutif peuvent attendre. La moralisation de la vie politique doit passer d'abord l'examen de la crédibilité de l'exécutif ou pas. Le sérail doit payer sa légitimation, en se débarrassant des lèches-fesses rentiers. Même la refonte institutionnelle, aussi importante soit-elle, peut attendre. D'abord, l'exécutif doit proposer des projets structurants aux citoyens. Il faut proposer aux citoyens, drogués par l'assistanat étatique, une contrepartie financière conséquente, valorisante de l'effort fourni et du savoir acquis, du mérite obtenu et de la compétence avérée.

L'estime, la reconnaissance, le respect et la dignité retrouvés ne peuvent être seulement que des slogans affichés par le régime. Le temps est venu pour que le pouvoir admette, définitivement, que le contribuable est décideur, est roi de ses biens et de son pays, donnés en gestion temporaire à l'exécutif, quel qu'il soit.

Voilà le ressentiment du citoyen algérien depuis l'indépendance. Finis la cooptation, le copinage et le tribalisme byzantin des charlatans-sorciers. Finis les compromis de complices de tous poils et de tous horizons, mal masqués. Le temps, maintenant, est à la réalisation d'une philosophie et d'une politique économique algérienne efficace et sans tabous.

* Expert en risk management Phd es-aéronautiques