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Blanchiment d'argent : Les banques sommées de corriger le tir

par Abdelkrim Zerzouri

Aveux d'échec dans la lutte contre le blanchiment d'argent ? Cela en a tout l'air si l'on se réfère au ton sévère de la Banque d'Algérie (BA) qui a demandé, dans une note adressée aux banques et établissements financiers de la place ainsi qu'aux services financiers d'Algérie poste, «d'améliorer leurs actions de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme».

Estimant clairement et sèchement à ce propos que les mesures de vigilance prises pour lutter contre ces deux crimes sont jusqu'ici «inadaptées». Selon les appréciations ou le diagnostique de la Banque d'Algérie, c'est «la mauvaise compréhension des obligations de vigilance qui a conduit à la mise en œuvre de mesures de vigilance inadaptées et donc au risque de non-détection d'anomalies dans les opérations avec la clientèle». L'inspection générale de la BA indique encore que cet état de fait «affecte au final la transmission éventuelle des déclarations de soupçon à la cellule de traitement du renseignement financier (CTRF), relevant du ministère des Finances». Autant dire que c'est tout l'édifice bâti dans ce cadre qui s'écroule dans cette atmosphère «d'incompréhension et d'inadaptation» des mesures initiées par les pouvoirs publics pour renforcer la lutte contre le blanchiment d'argent. Un rappel à l'ordre de la BA qui intègre les lignes directrices sur les mesures de vigilance que doivent prendre les banques en application de l'article 27 du règlement 12-03 du 28 novembre 2012 relatif à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d'argent. Ainsi, la Banque d'Algérie rejoint quelque part les critiques qui ont accompagné la promulgation de ce dernier règlement, prévoyant même ses effets limités, en raison d'une mauvaise adaptation de l'arsenal juridique initié dans son ensemble dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d'argent. Comment lutter d'une manière efficace contre le blanchiment d'argent ou toute autre opération financière douteuse, estimaient des spécialistes, «lorsqu'on est confronté à l'incapacité d'instaurer la facture obligatoire dans les transactions commerciales, ou de rendre le chèque obligatoire, au moins dans l'immobilier par où glissent à l'abri de tout contrôle des sommes d'argent assez importantes, ou encore l'incapacité d'éradiquer le change parallèle, principale source de fuite de capitaux vers l'étranger ?» Trop d'aléas en amont entravent sérieusement la lutte contre le blanchiment d'argent. Mais, la note de l'inspection générale de la BA occulte les problèmes de fonds, s'attaquant en quelque sorte, et dans l'urgence, au rodage des circuits financiers dans ce créneau. Un créneau dans lequel on ne semble pas trop exceller, nos banquiers n'étant en rien préparés pour mener des enquêtes sur leurs clients et sur les sommes d'argent manipulées. D'où le risque de verser dans les mauvais écarts, porter atteinte au sacro-saint secret bancaire, et faire fuir bons et mauvais clients. La Banque Centrale rappelle à ces banques et aux institutions financières gérant des moyens de paiement que «les procédures et contrôles appropriés permettent de connaître et d'appréhender avec satisfaction leur clientèle qui constitue la clé de voûte du dispositif de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme». La mise en place de mesures de vigilance adaptées «conduisent non seulement à lutter efficacement contre ce fléau, mais mettent également ces institutions à l'abri de toute utilisation abusive de leurs circuits», relève la BA. Cependant, met en garde la BA, «la mise en œuvre des nouvelles lignes directrices sur la vigilance ne doit pas empêcher les personnes en situation financière ou sociale précaire, d'accéder aux services bancaires». La Banque Centrale presse par ailleurs les banques d'élaborer un profil/risque du client en se basant sur les éléments de connaissance obtenus au moment de l'entrée en relation d'affaires avec lui ou ultérieurement. Elle exige également des banques d'actualiser chaque profil/risque afin de pouvoir détecter les anomalies qui pourraient faire objet d'un examen renforcé. La note de la Banque d'Algérie comprend à cet effet des lignes directrices qui permettent de faire la distinction entre un client habituel et un client occasionnel. Elle définit également la politique d'acceptation des nouveaux clients, qui doit être appliquée par les banques. Enfin, trop de facteurs à prendre en considération dans cet esprit de la lutte contre le blanchiment d'argent, parfois inutilement quand on sait pertinemment que d'autres sources permettent de grosses transactions sans que l'on soit inquiété ni par le fisc ni trop se rapprocher de la «curiosité» des banquiers, à l'enseigne de ce qui se fait dans l'immobilier ou le marché parallèle de la devise. Il est de bonne guerre de se former sur le plan technique dans la lutte contre le blanchiment, mais tant que l'ère de la Ch'kara est toujours de vigueur, rien de sérieux ne peut se faire en la matière.