![]() ![]() ![]() SNMG : entre droit et agitation politico-syndicale
par Mahammed Nasr Eddine Koriche ![]() L'actualité sociale est marquée, depuis la dernière réunion tripartite,
par l'aboutissement de la demande, réitérée par l'UGTA depuis plusieurs années,
d'une abrogation, sinon d'une modification substantielle des prescriptions
légales de l'article 87 bis de la loi n° 90-11 du 21 avril 1990 relative aux
relations de travail, déterminant le contenu du salaire national minimum
garanti (SNMG).
En droit algérien, l'exigence d'un salaire national minimum est un principe d'ordre public imposé par un texte législatif. La législation nationale est conforme à l'essentiel des normes établies en cette matière par la convention de l'OIT n° 131 concernant la fixation des salaires minima (1970), bien que l'Algérie n'ait pas ratifié cette convention, ni la convention n° 26 sur les méthodes de fixation des salaires minima (1928). Seules les conventions n° 95 sur la protection du salaire (1949) et n° 99 sur les méthodes de fixation des salaires minima dans l'agriculture (1951), ont été ratifiées dès 1962. En principe, le taux du SNMG n'est qu'un seuil de référence dans un système de fixation des salaires par la négociation collective ou par accord individuel. Mais, dans une conjoncture où le taux de chômage reste élevé et le travail précaire répandu, il constitue en pratique la norme de rémunération des travailleurs occupant des emplois peu qualifiés. L'application du SNMG obéit au principe d'universalité. L'uniformité du taux du SNMG est assurée sur l'ensemble du territoire national, sans distinction géographique ou professionnelle. Il est appliqué sans distinction des statuts juridiques des employeurs. Il bénéficie aux salariés des entreprises publiques et privées, ainsi qu'aux fonctionnaires et agents contractuels au service de l'État. Enfin, le bénéfice du SNMG s'étend à l'ensemble des travailleurs de l'un ou de l'autre sexe, quel que soit leur âge, et quel que soit le type de contrat de travail. Les travailleurs qui bénéficient du SNMG sont ceux liés à un employeur par un contrat de travail, autrement dit les salariés ; ceci exclut de cette garantie certaines personnes qui, malgré leur présence en tant que travailleurs dans l'entreprise, n'ont pas cette qualité. Ainsi, les apprentis ont droit à un présalaire qui n'est qu'un pourcentage du SNMG. De même que le bénéfice du SNMG ne s'étend pas aux jeunes primo-demandeurs d'emploi dont l'affectation à un premier emploi résulte d'un contrat d'insertion ? et non pas d'un contrat de travail - qui met leur rémunération à la charge de l'Etat. La décision périodique d'augmenter le SNMG doit prendre en considération des paramètres que le législateur lui-même énonce à l'article 87 de la loi n° 90-11 : l'évolution de la productivité moyenne nationale enregistrée, l'indice des prix à la consommation et la conjoncture économique générale. On remarquera que les paramètres mentionnés sont de nature économique. Le législateur réformateur de la fin des années 1980 et début des années 1990 marquait ainsi la volonté de se conformer, en matière de fixation des salaires, à la doctrine libérale, en rompant avec une politique salariale qui avait été dans le passé fortement influencée par l'intervention de l'Etat et essentiellement fondée sur la répartition de la rente pétrolière. Il n'existe en revanche aucune indication de source légale ou réglementaire concernant la nature des besoins que le salaire minimum est supposé satisfaire. Il n'est plus fait référence, comme dans la législation des années 1970/1980, aux ?besoins vitaux des travailleurs définis par un budget familial type fixé par voie réglementaire?. On observera également que la loi de 1990 n'institue aucun système contraignant qui obligerait le gouvernement à ajuster périodiquement le salaire minimum. Le plus souvent, l'augmentation du SNMG est décidée lorsque les conflits sociaux se multiplient pour cause d'effritement du pouvoir d'achat. Ainsi, il peut être relevé qu'au lieu de se focaliser sur l'abrogation de l'article 87 bis, il y a bien d'autres questions d'ordre méthodologique relatives à la fixation du SNMG que la loi devrait réglementer. Le SNMG est d'abord un salaire horaire. Le montant mensuel est calculé sur la base du taux horaire. Ainsi, en réalité, une rémunération mensuelle minimale n'est garantie qu'au salarié dont la durée du travail est au moins égale à la durée légale hebdomadaire de quarante heures ou à sa durée équivalente établie par une convention collective d'entreprise ; soit une durée mensuelle d'un total de 173, 33 heures, comme précisé dans le texte réglementaire. La question se pose alors de savoir comment protéger les travailleurs dont les emplois ne leur assurent pas une occupation suffisante (travailleurs en CDD qui alternent période de travail et de chômage ; travailleurs à temps partiel non choisi) pour percevoir la totalité du montant du SNMG et qui vivent au dessous du seuil de pauvreté. Au-delà de la revalorisation du revenu salarial, l'intérêt de l'institution du SNMG apparaît également dans le champ plus large de la protection sociale. Diverses prestations en espèce servies au salarié ou à ses ayants droit au titre de l'assurance sociale sont indexées sur le SNMG et donc automatiquement améliorées par son augmentation ; ainsi, par exemple, le montant annuel de la pension d'invalidité ne peut être inférieur à 75% du SNMG, le montant du capital décès versé aux ayants droit d'un salarié ne peut être inférieur à douze fois le SNMG, etc. Le SNMG est également la référence en cas de saisie partiel du salaire. Lors de sa promulgation en avril 1990, la loi n'apportait aucune précision concernant les éléments de rémunération à prendre en considération dans la détermination du contenu du SNMG. La question avait alors fait débat entre la représentation syndicale des travailleurs et les employeurs pour savoir si le SNMG devait être confondu avec le salaire de base auquel viendraient s'ajouter, le cas échéant, des éléments de rémunération complémentaires. La réponse est apportée en 1994 par le législateur dans un sens favorable à la thèse des employeurs. La loi est, en effet, complétée par l'article 87 bis à l'effet de préciser que le SNMG « comprend le salaire de base, les indemnités et primes de toute nature, à l'exclusion des indemnités versée au titre de remboursement de frais engagés par le travailleur ». Cet énoncé permet de relever que les compléments au salaire de base, qui se décomptent du SNMG, ne se limitent pas aux seules primes et indemnités dont la nature est légalement établie. Il pourrait donc s'agir de toutes autres primes ou indemnités versées au salarié, quelle que soit leur nature, en application d'un contrat de travail ou d'une convention collective. Il convient à ce sujet de relever que contrairement à ce que prétendent différents intervenants, et même des experts, la détermination du contenu du SNMG par l'article 87 bis en 1994 ne résulte pas d'une intervention diabolique du FMI. D'abord, avec ou sans l'intervention de cette institution internationale, une intervention du législateur algérien était nécessaire, non pas comme on le dit pour brider les salaires dans une situation de crise financière, mais pour arbitrer les divergences relatives à l'interprétation de l'article 87 ; et l'interprétation que le législateur a fait prévaloir en complétant la loi n°90-11 par l'article 87 bis peut être défendue encore aujourd'hui, même dans une conjoncture favorable. Ensuite, il faut faire un peu d'histoire de la législation sociale de l'Algérie pour noter que déjà en 1975, l'ordonnance n° 75-31 du 29 avril 1975 n'excluait pas du SNMG les éventuelles primes et indemnités servies aux travailleurs, et de plus précisait que même les éventuels avantages en nature s'ajoutent au SNMG. Ainsi une définition du SNMG qui inclut dans son calcul tout élément de rémunération n'est pas une nouveauté des années 1990. Aujourd'hui les termes de la discussion portant sur l'abrogation de l'article 87 bis ne paraissent pas sérieux pour le juriste travailliste. Sur le fonds : la discussion est brouillée, comme souvent, par le verbiage propre à l'agitation politico-syndicale, alors qu'il s'agit beaucoup plus sérieusement d'un débat de politique juridique. Dans ce débat, il y a lieu d'abord de savoir si l'intervention de l'Etat dans la détermination d'un salaire minimum national, sans prendre en considération ni la taille de l'entreprise ni sa richesse, est opportune ou non. La protection sociale par la législation du travail devant être un tout cohérent, on pourrait s'interroger alors sur l'incohérence de la démarche des pouvoirs publics : pourquoi la flexibilité mise en avant par l'ex-ministre chargé du travail, pour annoncer un probable renoncement au CDI, comme norme d'emploi au profit du CDD, ne servirait-elle pas aussi ?d'argument? (fort discutable et contestable d'ailleurs !) pour un désengagement de l'Etat ? Etat qui renoncerait dès lors, à toute intervention dans la détermination du salaire minima dans la forme réglementaire actuelle. Si l'annonce du ministre est codifiée, alors nous obtiendrons à terme, avec la modification de l'article 87 bis, une augmentation du salaire minimum, et avec l'abrogation de la règle légale qui érige le CDI en principe d'emploi, une augmentation de la précarité de l'emploi. Quel magnifique résultat ! Il est à craindre que l'UGTA, si elle lâche sur le CDI, devienne victime d'un marché de dupe ! Ensuite, si on tranche le débat en faveur d'une intervention dans la détermination du SNMG par voie réglementaire (comme c'est le cas aujourd'hui), il y a lieu de poser la question de l'objectif à définir : est-ce que le SNMG doit permettre l'accès à des besoins personnels et familiaux (lesquels) ? Si oui, il faudra admettre que malgré ce que suggère l'utilisation de la notion de ?salaire minimum?, le SNMG n'est pas, à strictement parler au sens du droit, un salaire mais un ?revenu minimum? que le législateur entend garantir au salarié pour des considérations sociales. Mais alors, est-il bien raisonnable de faire supporter aux employeurs, de façon indifférenciée, la satisfaction des besoins sociaux des travailleurs, sans prendre en considération la productivité du travail de chaque entreprise ? Est-ce que le SNMG doit être un salaire au sens du droit des contrats, c'est-à-dire la contre partie (le prix convenu) d'un travail, et non pas un revenu social ? Si oui, il doit être fixé seulement en fonction de ce que peut supporter chaque entreprise (et non pas l'entreprise moyenne) ; alors, il n'est pas destiné à prendre en considération les besoins d'un ménage. C'est là que les politiques publiques sociales ont des défis à relever. A travers le monde, les exemples ne manquent pas de mécanismes juridiques pour concilier ces deux définitions du salaire dans sa dimension économique et sociale. Ce n'est pas le lieu dans cette courte contribution de les évoquer. Mais c'est bien sur cette approche que la discussion doit être menée. Celle portant seulement sur l'abrogation de l'article 87 bis, n'ouvre aucune perspective sérieuse ! Sur la forme : la question en discussion est de savoir si la décision à prendre est celle d'une abrogation ou d'une modification de l'article 87 bis. Au gré des déclarations des uns et des autres, c'est la confusion qui domine. Le juriste travailliste pour sa part, n'a aucune difficulté à relever que l'abrogation de l'article 87 bis à elle seule, ne règlera absolument rien ! Elle aura pour seul effet de nous faire revenir à la discussion antérieure à l'introduction de cet article en 1994. Par elle-même, elle n'aura pas pour effet de faire coïncider le SNMG au salaire de base auquel viendraient s'ajouter d'éventuelles primes et indemnités. Sur le fondement de l'article 87, les employeurs seront fondés en droit à soutenir qu'ils se sont acquitté du paiement du SNMG dès lors que le travailleur aura perçu l'équivalent monétaire du SNMG, primes et indemnités comprises. En conséquence, seule une modification de l'article 87 bis pour définir le contenu du SNMG apporterait du nouveau en droit. Sur la forme toujours, il convient de relever que les annonces faites par l'ex ministre du travail et par le secrétaire général de l'UGTA, aussi bien à propos de l'abrogation de l'article 87 bis que celui de la revalorisation des pensions de retraite, n'ont aucune consistance juridique. Selon les termes de ces annonces, ces deux mesures ont été prises « sur instruction de son Excellence le Président de la République ». Ce n'est pas avec de la propagande politique que l'on construit un Etat de droit ! En effet, s'agissant de l'abrogation d'un article de loi, il faut savoir qu'elle obéit, en droit algérien, à des règles d'ordre public qui ne font aucune place aux « instructions » de quiconque, fusse-t-il le Président de la République. Seul le parlement peut décider d'une abrogation portée par un projet ou une proposition de loi. S'agissant de la revalorisation des pensions de retraite, elle intervient tout simplement en application de la loi. La loi en question est celle de 1983 relative à la retraite (signée par le président Chadli Bendjedid). Et en droit algérien, la loi s'applique conformément à des dispositions fixées par le Code civil. Nulle « instruction » de quiconque n'est nécessaire. Au-delà de la discussion chaotique portant sur l'article 87 bis, il reste à espérer que l'élaboration du Code du travail, en cours depuis plusieurs années, soit l'objet de vrais débats qui associent les universitaires travaillant dans les laboratoires de Droit social des Facultés de droit et de Sciences Politiques à travers le pays. Peut-on aussi espérer qu'un jour prochain un Ministre du travail prend enfin l'initiative de la création au sein de l'Institut national du travail, sous sa tutelle, d'un grand laboratoire de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale. Les travaux qui seront produits dans ce cadre fourniront aux pouvoirs publics la matière scientifique essentielle pour l'élaboration progressive d'une législation du travail et de la Sécurité sociale moderne adaptée aux grands défis de notre temps en matière de protection sociale. |
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