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Affaire du drone malien

par Ibrahim Taouti*

J'ai la conviction que tout juriste a le devoir de scruter et vérifier les faits avant de les soumettre aux règles de droit applicables. Mon sujet porte sur le drone malien abattu pour avoir transgressé la frontière Algérienne sans avis ni accord préalables. Quels sont les faits et les règles applicables ?

Une rumeur a circulé dès décembre 2023 sur les réseaux sociaux et des sites, sans confirmation officielle, qu'un drone aurait été abattu par l'Algérie sur le territoire du Mali. Elle aurait pour sources des médias proches de la junte au pouvoir au Mali pour entretenir la tension entre voisins. Le ministère de la Défense nationale d'Algérie a démenti, qualifiant l'information de «pure invention (...et) manœuvre malveillante» pour nuire aux relations entre les deux pays.

Puis une autre rumeur indique que le Mali aurait déposé une plainte devant la Cour Internationale de Justice (ci-après CIJ). Mais le Ministre des Affaires Étrangères Algérien dément l'allégation lors d'une conférence le 13 septembre. Les registres de la CIJ qui tient à jour un «Rôle général des affaires» ne mentionnent pas d'affaire «Mali c/ Algérie» ni ne fait référence à un incident de drone.

Or, le 19 septembre 2025 un communiqué de la CIJ (No 2025/40 - révisé) annonce le dépôt d'une requête, par laquelle le Mali entend fonder la compétence de la CIJ sur le paragraphe (ci-après &) 1 de l'art. 40 du Statut de la CIJ et le & 5 de l'art. 38 de son Règlement.

Mais la compétence de la CIJ exige le consentement de l'Algérie. La CIJ ne peut juger un différend que si les deux États acceptent sa compétence. L'accord ad hoc de l'Algérie, indispensable, est improbable. L'annonce de la junte est alors à situer dans le cadre d'une guerre d'intox/propagande entretenue depuis des mois déjà.

Quant au droit applicable, les litiges entre États relevant de la compétence CIJ sont définis par le texte fondateur de cette institution, notamment par deux règles énoncées à l'article 36 de son Statut :

I- La Compétence Matérielle : Les Types de Litiges (ou le «Fond» de toute affaire).

Le paragraphe (ci-après &) 1 de l'article énonce que sa compétence s'étend à tous les litiges que les États parties lui soumettront. Le & 2 précise qu'ils peuvent reconnaître sa compétence pour toute affaire portant sur:

a) l'interprétation d'un traité, la signification d'une clause d'un accord ou traité.

b) tout point de droit international ou question sur une règle coutumière ou un principe général de droit comme celui de passage en territoire étranger ou les droits sur les ressources naturelles.

c) la réalité de tout fait qui, s'il était établi, constituerait la violation d'un engagement international.

d) la nature ou l'étendue de la réparation due pour la rupture d'un engagement si sa violation est établie. La CIJ peut être chargée de fixer le montant des compensations ou leur forme (restitution, indemnisation, satisfaction).

II - La Compétence Consensuelle (Consentement des États): C'est une question de «Forme» qui est substantielle. Les États sont souverains et libres de choisir tout moyen de résolution de leurs différends. La CIJ ne peut juger qu'avec le consentement de l'État partie au-dit différend. Si l'Algérie refuse de répondre, l'affaire sera classée sans suite. Si elle y consent, son consentement peut se manifester de trois manières :

a) accord spécial (Compromis) : méthode simple et courante. Les deux États signent un accord ad hoc pour soumettre leur différend à la CIJ.

b) la clause compromissoire dans un traité : Des traités bilatéraux ou multilatéraux contiennent une clause donnant compétence à la CIJ pour tout différend sur l'interprétation/l'application du traité.

c) la déclaration facultative de juridiction obligatoire (article 36, §2). Les États peuvent faire une déclaration unilatérale reconnaissant à l'avance la compétence de la CIJ pour tout différend avec tout autre État ayant fait la même déclaration. C'est la «clause de juridiction obligatoire». Plusieurs États y apposent des réserves (excluant par exemple les différends sur la sécurité nationale). Seuls quelques États (74 États sur 193) ont fait une telle déclaration. Mais pas l'Algérie ni le Mali.

d) La prorogation de compétence (Forum prorogatum) La CIJ n'est compétente que si un État la saisit unilatéralement et que l'État défendeur accepte a posteriori sa compétence (explicitement ou implicitement en plaidant au fond). Or, l'Algérie n'acceptera pas d'être complice de la manœuvre !

La CIJ n'est PAS compétente pour les affaires dont elle est saisie sans consentement préalable de toutes les parties au différend.

Les litiges internationaux impliquant des entreprises, ONG, particuliers, acteurs non-étatiques sont de la compétence des tribunaux nationaux ou des juridictions internationales (CPI pour les individus, le CIRDI pour les investisseurs, etc.). La CIJ est un organe judiciaire entre États.

La CIJ ne rend pas d'avis politiques, se limitant aux questions juridiques ; et ne relèvent de sa compétence que les questions de droit (interprétation de traité, point de droit, etc.) à condition du consentement des États de lui soumettre leur différend (accord spécial, clause d'un traité, déclaration facultative).

Quant à la saisine du Conseil de Sécurité de l'ONU (ci-après CS), dont le rôle est politique, le Mali pourrait le saisir en théorie. Mais la démarche, les motifs et les résultats seraient différents d'une saisine de la CIJ et n'auraient aucune chance de succès dans ce cas hypothétique de saisine du CS.

Comme organe politique, son rôle est de maintenir/rétablir paix et la sécurité internationales (Chap. VII de sa Charte). Ses résolutions/décisions sont influencées par l'intérêt des membres permanents.

Si le Mali le saisit, il aura à prouver la menace à la paix et à la sécurité internationales ; disant par exemple que l'incident est un acte d'agression ; une menace contre son intégrité territoriale ; qu'il y a risque d'escalade militaire de la région du Sahel, etc. La barre serait haute pour un incident isolé !

Le Mali comme tout État membre de l'ONU peut arguer que, selon lui, la situation met en péril la paix et la sécurité internationales (art. 35 de la Charte de l'ONU). La saisine se fait par une lettre formelle au Président du CS. Mais la démarche sera très difficile même si le CS l'examinait. Le Mali devra prouver sur un fait que l'Algérie dément. Ce sera donc aussi un échec malien. De plus, il y a un obstacle politique important : l'Algérie est membre non-permanent pour 2024-2025.

Elle siégerait donc à la table où sa propre affaire serait discutée. Or, comme membre participant aux débats, elle défendra sa position avec une influence significative. Après son mandat (2026), si un membre du CS envisagerait une résolution déplaisante, l'Algérie a des alliés parmi les membres permanents (Chine, États-Unis, Royaume-Uni, Russie) et l'un quelconque d'entre-eux peut utiliser son droit de veto. L'Algérie est crédible, sa diplomatie compétente et ses principes universels.

Donc, dans le cas hypothétique d'une saisine basée sur une rumeur, le plus probable est que le CS, en constatant l'absence de preuves en plus des dénégations de l'Algérie, classerait l'affaire sans suite. Il n'y a aucune menace contre la paix internationale.

Un scénario (improbable?) serait l'appel au dialogue par une déclaration du président du CS encourageant au dialogue, au règlement pacifique du différend.

Concluons que la CIJ est incompétente pour statuer en raison du défaut de consentement Algérien. Si le Mali se tournait vers le CS (en théorie), un chemin politique et non judiciaire, les embûches seront quasi-infranchissables. Pour la junte malienne Le CS ne prendra aucune mesure significative.

La voie réaliste de résolution du litige est la négociation diplomatique entre les deux pays, mais elle exige de la junte au Mali qu'elle mette fin aux tensions créées pour résoudre ses problèmes internes.

*Juriste