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La crise, la Bourse? et le Pentagone affaiblissent Obama

par Pierre Morville

Mardi, sous pression des Banques centrales,les bourses affolées se calmaient un peu. Pour combien de temps ?

Barack Obama est catégorique : « Les Etats-Unis mériteront toujours le AAA ! ». Le chef de l'exécutif américain pouvait difficilement déclarer autre chose lundi dernier. Il s'est exprimé environ deux heures avant la clôture de Wall Street qui a chuté de 5,5% dans la foulée de la décision de Standard & Poor's de déclasser les Etats-Unis. Le président américain a dit avoir bon espoir que cette décision de l'agence allait au moins rappeler aux élus « l'urgence qu'il y avait à régler le problème des déficits. »

Il n'a en revanche pas commenté la dégradation de notation faite par l'agence (d'état) chinoise Dagong qui fut la première agence à réviser définitivement à la baisse l'appréciation de la dette publique américaine.      Selon Dagong, la décision américaine sur le relèvement du plafond de l'endettement public permettra aux États-Unis de régler d'anciennes dettes grâce à de nouveaux emprunts, mais elle ne pourra ni bloquer le grossissement rapide des dettes publiques ni améliorer la rentrée des revenus fiscaux du pays.

Enfin, Dagong a indiqué que «les disputes entre les deux partis politiques américains sur ce problème ont démontré l'influence négative que le système politique américain pouvait exercer sur les fondements économiques du pays », et que ceci remettrait en cause la confiance des investisseurs et n'améliorait aucunement la capacité des États-Unis à honorer leurs dettes. « La solvabilité des États-Unis continuera de s'affaiblir. Une nouvelle crise de la dette souveraine est donc probable en raison de la contradiction entre affaiblissement de la solvabilité et croissance des dettes souveraines », menace Dagong. Bref, « l'affaiblissement de la solvabilité américaine est irréversible (?) la politique monétaire laxiste amènera l'économie globale dans une crise générale (?) la position dominante des USA dans l'économie globale sera également remise en cause.» conclut l'agence chinoise, qui reflète largement la colère de l'état chinois. Celui-ci, inquiet, possède 12% de l'énorme dette américaine mais la Chine voit également ici l'occasion d'assoir son rôle de grande puissance internationale.

L'invraisemblable attitude des élus américains

En début de semaine, l'ensemble des places boursières partageaient un réel sentiment de panique. Les cours affichaient 20% de baisse en un mois, on flirtait avec les chutes de cours lors des effondrements boursiers de 1987 et 2008. Une correction s'est effectuée en milieu de semaine. La dette américaine était au centre de toutes les interrogations, pourtant les obligations américaines restent, malgré la baisse de la notation, un placement attractif et sûr en raison d'un dollar qui conserve son rôle de monnaie?pivot internationale. La correction sur les marchés financiers reflète davantage l'inquiétude quant à la croissance mondiale qui montre de plus en plus de signes d'essoufflement. L'OCDE note ainsi que « des signaux plus forts d'inversion des cycles de croissance ont fait leur apparition aux Etats-Unis, au Japon et en Russie » en juin par rapport à mai, « les indicateurs pour le Canada, la France, l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni, le Brésil, la Chine et l'Inde continuent à souligner un ralentissement de l'activité économique », poursuit l'organisation internationale. Dans ses prévisions publiées en juin, le Fonds monétaire international (FMI) avait déjà révisé à la baisse ses prévisions de croissance des Etats-Unis et des pays développés, tablant respectivement sur une croissance de 2,5 % et de 2,2 % en 2011. Ce dernier chiffre pourrait être encore plus mauvais que prévu, Washington ayant fait état fin juillet d'une croissance nettement ralentie en 2011, à 1,3 % en rythme annuel au deuxième trimestre, réalité qui avait fort déçu les attentes des marchés.

 Des bourses très instables, une croissance américaine plombée par la dette, des inquiétudes continues sur les finances publiques en Europe : beaucoup d'acteurs économiques craignent qu'une éventuelle récession des Etats-Unis, 1ère économie mondiale, n'entraine dans sa chute le reste de la planète, en enrayant la dynamique croissance des pays émergents. Perspective d'autant plus redoutable que les Etats des pays développés, USA en tête, ne disposent plus des réserves budgétaires qui leur avait permis d'amortir la crise banco-financière de 2008? Dans un tel contexte, on peut partager le jugement très sévère de l'agence chinoise Dagong sur « les disputes entre les deux partis politiques américains » et « l'influence négative du système politique américain ».

Depuis plusieurs semaines, le spectacle des négociations de marchands de tapis entre parlementaires républicains et démocrates parait en effet largement irresponsable. Les deux partis ont campé caricaturalement sur leurs positions traditionnelles, les démocrates hostiles à toutes coupes budgétaires, les républicains farouchement opposés à toute augmentation d'impôts. Après avoir beaucoup ergoté devant une planète consternée, leur laborieux compromis a explosé après la seule décision de Standard & Poor's.       Aujourd'hui, ces deux partis se rejettent la faute de la baisse de notation et de la tempête boursière. Pas nous ! Pas nous ! Dans ce climat délétère, le mouvement républicain « ultra », « Tea Party » triomphe, sa seule orientation en matière économique est mue par une obsession dévastatrice : tout faire pour réduire l'état fédéral et démolir Washington. Le « système antisystème » objectivement institué par Tea Party fonctionne à toute vapeur. » note le site Dedefensa. Pour le reste, les républicains ont largement pesé sur les termes du laborieux compromis final : pas d'augmentation de la fiscalité mais les chefs des deux partis se sont entendus sur un relèvement du plafond de la dette, conjugué à une baisse des dépenses publiques de 1100 milliards de dollars.

Une commission spéciale bipartite sera, en outre, chargée de dégager 2000 milliards de dollars d?économies supplémentaires.

Au soir de la signature de cet accord, Barack Obama s'était félicité, tout en regrettant l'absence de hausses d'impôts. « Cet accord est-il celui que j'aurais souhaité? Non. J'estime que nous aurions pu faire des choix difficiles et nécessaires sur la réforme des impôts. Mais cet accord permet de réduire le déficit et d?éviter un défaut de paiement. Et il incite chaque parti à obtenir un budget à l?équilibre avant la fin de l'année ». Quelques jours plus tard, l'affaire s'annonce beaucoup plus difficile.

USA : L'atout militaire ?

Les différents épisodes remettent en cause en tous cas, l'autorité du président des Etats-Unis, sans d'ailleurs compromettre les chances du candidat Obama l'an prochain, tant la décrépitude des deux grands partis est manifeste et l'usure du système, évidente. Ainsi, les élus étant incapables de choisir, les deux tiers des coupes budgétaires devront être fixés d'ici la fin de l'année et la responsabilité en incombera, non pas à l'exécutif américain mais à cette curieuse « commission spéciale bipartite » composée de six élus démocrates et six élus républicains. Leurs débats s'annoncent chauds.

Plus compliqué encore, l'accord prévoit qu'en cas de divergences, les coupes budgétaires pour les dix ans à venir interviendrait automatiquement tant dans les dépenses civiles que dans les dépenses militaires?

Une clause qui a semé la panique au Pentagone et dans le « lobby industrialo-militaire ». Et qui a entrainé la réaction quasi insolente du tout nouveau secrétaire américain à la Défense. Leon Panetta, nommé depuis un mois, a déclaré tout net qu'il « n'accepterait pas » les coupes budgétaires envisagés invoquant même le Seigneur dans ce débat d'épicier :« S'il plaît à Dieu, le processus ne déclencherait pas de coupes par lesquelles le Pentagone pourrait perdre quelques 600 milliards de $ ». Le subordonné de Barack Obama, et qui a oublié qui est son chef, s'inquiète particulièrement du cas où la commission spéciale bipartite du Congrès ne parvienne pas à un accord. Le dispositif actuel prévoit 350 milliards de dollars de coupes budgétaires dans la Défense, étalées sur 10 ans. Faute d'accord, ce sont près de 600 milliards supplémentaires qui pourraient s'y ajouter, une solution « inacceptable » selon lui. Les grands chefs militaires et l'industrie de défense partagent cet avis, avec le soutien de beaucoup de parlementaires, notamment chez les élus républicains favorables à toutes les réductions budgétaires sauf dans la défense.

Reste que l'énorme budget de défense US garde quelques avantages comparatifs inégalés. Avec en 2010, un budget de 698 milliards de dollars, le budget militaire américain représente 42,8% des dépenses mondiales dans le domaine, suivi par la Chine (7,3%), la France (4%), la Grande Bretagne (3,7%), la Russie (3,6%), le Japon (3,3%). Cette énorme enveloppe permet aux Etats-Unis de disposer, outre du 1er arsenal nucléaire, de 800 bases dans plus de 20 pays, de la flotte de guerre de loin la plus importante du monde présente sur l'ensemble des océans et mers extérieures. Les Etats-Unis mènent également deux conflits majeurs simultanément, en Irak et au Pakistan.

Tout cela est ruineux mais dans l'hypothèse un accident économique majeur, défaut de paiement et/ou récession, cette supériorité militaire incontestable pèsera lourdement dans toutes les négociations imaginables dans une phase de grave crise internationale.

«Libye, la première intervention militaire post-américaine »

« Politique étrangère américaine : Rompre avec le tout-militaire et le nation-building » : dans un étude, Alexandra de Hoop Scheffer fait remarquer que pour répondre au printemps arabe, le président Barack Obama a privilégié lors d'un discours prononcé le 19 mai 2009, la diplomatie américaine et l'aide au développement, au détriment de la force militaire en récusant la théorie de Bush du « nation building »: « Cette approche coïncide avec une volonté plus large de l'administration américaine de redéfinir la posture stratégique des Etats-Unis dans la région du Moyen-Orient et dans le reste du monde où les Etats-Unis ne seraient plus l'acteur principal : désengagement militaire d'Irak ; diplomatie d'accompagnement des mouvements populaires, au détriment de l'ingérence; phase de « transition » en Afghanistan ; recours croissant aux forces spéciales et aux drones armés au détriment du déploiement de forces militaires de grande envergure. Le contexte post-Ben Laden et les révoltes arabes sont ainsi considérés par le président Obama comme une occasion historique pour la région, mais aussi pour infléchir la politique des Etats-Unis dans le sens d'une démilitarisation». Bref, moins de GI'S, plus de coopération.

Dans les faits, le décalage entre le budget du seul Pentagone (750 milliards de dollars) et celui du département d'Etat et de l'USAID (50 milliards de dollars), qui porte l'aide civile, continue de contredire cette démarche. « Cette tendance est d'autant plus renforcée que le Congrès a traditionnellement peu confiance dans le département d'État et l'USAID, leur conférant un budget et un rôle limités en opérations extérieures et qui continuera à attribuer des ressources démesurément plus élevées au Pentagone qu'au département d'Etat» note la spécialiste des USA.           Pis, la moitié des « assistances civiles» sont aujourd'hui gérées sur le terrain par les militaires, parfois sous-traitées à des sociétés privées de sécurité.

Autre ambiguïté américaine, la stratégie en Libye. « Obama a placé les USA se dans une posture d'accompagnement et non de leadership qu'il délègue à une coalition de pays » remarque la politologue. Suivant l'ONU, les USA ne veulent pas d'escalade ni de présence militaire au sol, au grand dam des alliés de l'Otan et du Conseil national de transition libyen. Mais Obama sait bien que sa position serait beaucoup plus difficile à tenir dans le cas de la chute du régime Kadhafi. Le débat à Washington porterait très rapidement sur les enjeux pétroliers et donc du degré de l'implication concrète des Etats-Unis dans la Libye de l'après-Kadhafi.