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Sale temps paysan !

par Slemnia Bendaoud

En milieu rural, l'âne, le coq et le chien occupent une place de choix et des fonctions plutôt stratégiques au sein de la ferme. Le premier

trime dur, le second se trouve affecté à cette très difficile charge de réguler le temps tandis que le troisième garde la maison.

Celui-ci travaille pour tout le monde, celui-là réveille très tôt son monde pour aller travailler dans les champs et cet autre surveille bien le patelin, guettant au loin le moindre bruit ou visiteur suspect. Tous les trois travaillent dur pour le compte de leur maitre, lui assurant paix, dignité et pérennité. L'amour qu'ils vouent au maitre des céans ne provient pas du néant : il y a, à la base, ce sentiment de fidélité et de convivialité entre l'être humain et l'animal, entre la vie de l'un et la survie des autres. Cependant, l'âne travaille en silence, le coq ne lance ses longs cocoricos que pour réveiller très tôt la ferme et le chien n'aboie que pour prévenir son monde d'un imminent danger.

Ils sont tous très conscients de leur devoir de «citoyenneté animale» envers la ferme et de leur intérêt à renforcer l'union de nature à bien conforter le groupe, occupant chacun un rôle dans cette difficile équation de la vie en société, faite ?il est vrai- d'êtres humains, de choses et d'animaux.

Ainsi donc , l'âne si doux est destiné à ces travaux d'hercules, très durs et en pleine nature, le coq à la mesure infaillible du temps avec toute la précision voulue ou accordée à une montre suisse, et le chien à longtemps surveiller l'imminence du danger tournoyant autour de la masure, émanant du moindre mouvement, fut-il celui d'un très discret reptile à l'intérieur même de son trou !

Les trois sont plutôt allergiques au bruit. Ainsi l'âne ne braille que pour demander à manger, sinon en poursuivant avec envie et hardiesse une ânesse en période de rut, le coq que pour annoncer à l'heure indiquée le lever du jour paysan, long et besogneux, et le chien que lorsque la paix du groupe est en réel danger. Ceci étant dit, côté naturel de ces domestiques animaux de la ferme, fermement décidés à jouer à fond le rôle qui leur est dévolu en milieu sociétal.

Mais que dire de cette politique du socialisme socialisant des années soixante-dix du siècle dernier, importée de l'ex- URSS et de l'ex Yougoslavie dans la formule de cette potion magique et «très spécifique», laquelle a non seulement imposé à l'algérien le silence mais contraint l'âne à ne plus ouvrir sa gueule pour brailler, le coq à ne plus le faire, lui aussi, dans l'intention de nous réveiller à l'aube, et le chien à ne pouvoir facilement dégager sa langue pour justement aboyer ?

Pourquoi voulait-on imposer le silence comme comportement général et attitude infernale à tout son monde, y compris aux animaux ? Leur franc-parler, très naturel soufflant son lot de vérités, braillées, chantées ou même aboyées, dérangerait-il ce monde-là haut placé, habitant en plus la ville et bien loin de la campagne au point de vouloir à tout prix fermer la gueule au premier, clouer le bec au second et taire les aboiements de ce dernier ?

Pourquoi donc imposer manu militari le silence à ces animaux ? Et qui les remplacera après dans leurs fonctions respectives et très dures besognes propres à la ferme ?

Ainsi donc, à l'âne on opposa ou imposa le tracteur et l'assourdissant bruit de son moteur, au coq le réveille-matin et son machin relatif à cette méticuleuse ou mystérieuse mécanique de précision, ajouté au changement continu de l'horaire du jour, et au chien la sonnette-maison et son chantonnant son de musique ou bruit strident et très aigu à couper le verre, faisant d'eux de potentiels citadins.

La formule alors choisie consistait donc à se séparer ?se débarrasser serait le terme exact !- de l'animal afin de lui substituer la machine, l'appareil ou le gadget. Et dans le flux de l'action, on n'aura fait qu'improviser un autre bruit, plutôt insupportable celui-là : machinal et infernal !

Abandonnant à jamais celui plutôt naturel et bien animal !

Toute la différence est là : profondément enfouie dans cette voix de consistance mécanique qui remplaça au pied levé celle d'essence organique !

Moralité de la chose évoquée : ces trois animaux n'avaient alors qu'à quitter la ferme et ses nouveaux bruits pour une autre contrée ! Et c'est sur le chemin frontalier de «Zoudj Bghal» (deux mulets) qu'ils arrivèrent enfin, de nuit et au bout de toutes leur peine, n'ayant jamais rien à déclarer, à la douane algérienne en faction à la porte d'Oujda.

Au pourquoi de leur départ évoqué par le préposé au guichet, ils invoquèrent ce bruit insupportable de la machine qui venait de tout détruire dans la vie bien paisible de campagnards qu'ils menaient et dont le silence religieux imposé à ces êtres humains qui les hébergeraient chez eux, en milieu rural, les rendait eux aussi bien muets tels des animaux !

Ne pouvant contrevenir à la volonté de l'animal, les douaniers algériens les laissèrent passer de l'autre côté de la frontière, rejoignant les autres domestiques et les leurs, cousins germains et autres belles-familles marocaines.

Depuis, la machine ayant investi les champs de blé algériens ne faisaient que coincer, que tout le temps grincer, parfois longtemps grimacer, balançant ses insupportables cris et douloureux mugissements à tort et travers, puisque n'atteignant jamais ni ces sommets de collines à laborieusement labourer ni ces enclaves escarpées à bien moissonner.

L'intérêt de recourir au service de l'animal se faisait de plus en plus sentir et le sentiment pur animalier de le chasser de son propre territoire devenait en ce moment-là une vraie hantise de nos politicards, tous unanimement résignés à battre de nouveau son rappel.

Un appel à la patrie pour animal fut donc aussitôt rapidement lancé par les hommes de l'ombre du vrai pouvoir algérien, et ce n'est qu'à la faveur de la promulgation de la constitution de 1989, instaurant alors le multipartisme et le droit à la parole du peuple, que ces animaux, accompagnés de leur très nombreuse progéniture, née hors frontières nationales, décidèrent, un beau jour, de regagner la campagne, leur ancienne demeure. Coup de théâtre à leur arrivée au douar ! Ils trouvèrent leur territoire abandonné cette fois-ci même par ses hommes d'autrefois, tous partis se réfugier en ville contre ces nombreux actes terroristes et squats en règle dont ils ont été la vraie cible, la seule victime et l'alibi fort d'un jeu politique sournois et très confus auquel, eux, en véritables animaux, n'en croyaient même plus deux décennies plus tôt déjà !

A vrai dire, au bruit de ces animaux avait depuis bien longtemps succédé celui de la machine, laissant plus tard le terrain vide et beaucoup de place et d'espace à celui des bottes des soldats et trouffions en faction, parcourant dans tous les sens et directions ces champs de trésor vivant, abandonnés à jamais par les leurs et un monde campagnard, poussé à l'exil et allant se réfugier en ville à cause d'un problème de sécurité récurent en milieu rural.

L'espoir les faisant alors revenir au pays s'est alors volatilisé, s'estompant contre cette volonté humaine de tout détruire de ce beau paysage de la nature et son côté environnemental, à cause tout juste d'un problème de leadership ou d'hégémonie politique à instaurer dans la région par un clan déterminé de la sphère du pouvoir ou par ses très farouches opposants.

Avec ce silence de cathédrale autrefois imposé, ils ne pouvaient donc sincèrement composer à défaut de s'y opposer. Et à la guerre de clans que vivait le pays, ils ne pouvaient y participer. Ne voulant jamais la cautionner, au plus profond d'eux-mêmes !

Le retour au Maroc leur est donc impossible, la frontière terrestre avec l'Algérie étant toujours fermée. Même aux humains?!

Ils sont donc repartis vers cet ailleurs convoité par tous les algériens, du côté de la mer cette fois-ci. A la manière des vrais «Harraga(s)», décidés à ne plus jamais revenir au pays? !

Par dépit, ils abandonnèrent leur ferme à ces «vrais-faux agriculteurs de Hydra» et compagnie du moment, lesquels substituèrent au travail de la terre cette «politique du conteneur», forts de ces grands dividendes soutirés du «brut» de notre très généreux sous-sol, surexploité et en voie de complètement tarir.

Autrefois, on achevait bien les héros. A présent, c'est tout le monde qui est concerné? !