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L'expectative, ce désespérant mouroir

par Farouk Zahi

L'attente, est cette posture mortifère qui ronge peu à peu, le tissu social patiemment élaboré. Constitué en dépit de la longue nuit coloniale, il a su vaincre la désalphabétisation et l'acculturation par l'honneur et la dignité. Solidaire, il a résisté à la désintégration ethnique, convictionnelle et morale. Il fit du «gueux», un homme libre en cette mémorable nuit de la Toussaint. Reconsidéré après avoir été traité de félon, de terroriste et enfin de résistant, on le faisait asseoir à la même table des négociations que celui qui l'a, hier, spolié de tout. Jouissant des bienfaits de la liberté chèrement acquise, il ne sut pas la bonifier pour s'élever dans la hiérarchie des valeurs, aussi bien morales que spirituelles. Allez questionner un responsable de quelque niveau qu'il fut, s'il a en main une quelconque prospective de son institution ou un père de famille sur l'idée qu'il a sur le devenir proche ou lointain de sa progéniture. Au jour le jour, notre quotidien s'égrène comme celui d'une horloge approximative qui fait dans le plus ou moins. Une pulsion de burette à huile, de temps à autre, pour faire accroire que «la chose» est étroitement surveillée. Lors des années fastes post coloniales, on se surprenait à croire que nous sommes arrivés au sommet de la pyramide de l'évolution socio économique à coup de 1ère usine et 1ère université d'Afrique et parfois même du Tiers monde. On frimait les voisins par les acquis révolutionnaires irréversibles. On se moquait des Chouyoukh en «galabia» de la Haute Egypte, des Soviétiques en «Lada». On n'a pas tellement changé, on se moque encore de la «Maruti» hindie. Le Chinois était ce petit homme pâle qui trimait à longueur de journée pour un bol de riz, et dont la fécondité relevait de l'autorité de l'Etat. Dorlotés jusqu'à la gâterie, couverts socialement en se permettant des voyages à l'étranger avec un pécule équivalent à 300 DA, justifiant des absences irrégulières sous couvert de raison médicale et partageant des bénéfices virtuels, nous n'arrivons pas à nous faire à l'acte du labeur. Nous sommes la réplique de ce peuple d'un conte arabe dont l'émir, pour prévenir une proche famine, recommandait à ses sujets de verser, nuitamment et individuellement, un bol de lait dans une immense marmite collective. Au soulèvement du couvercle et à la surprise générale : point de lait, mais de l'eau à la place. Chaque sujet pensait qu'en versant de l'eau, personne ne soupçonnera sa présence, dans la masse laiteuse. Une véritable mystification collective dont le réveil cauchemardesque ne sera qu'individuel et c'est le cas aujourd'hui.

Après, presque quatre décennies de gargarismes, qu'est il observé aujourd'hui ? On continue à «importer l'échec» selon le juste mot de A. Hadj Nacer. Le meilleur exemple en est donné par cette mystérieuse équipe nationale de football dont les éléments brillent de mille feux ailleurs, mais qui pétaradent dès qu'ils foulent le sol national. Le fin mot étant la discipline. Nulle action, fut elle consentie comme la prière, ne peut se passer de discipline. Dirigée par un imam modestement formé, elle ne peut être remise en cause, ni par El Karadhoui, ni El Bouti, prédicateurs mondialement connus. Ils s'aligneront, comme tous les autres fidèles, derrière le maitre de cérémonie local. Ce sont, présentement, les galeries qu'elles soient sportives ou religieuses qui imposent leur diktat par le choix, souvent étriqué, de leurs dirigeants. Et là, la messe est vite dite. Amen ! Le dépit frustrant atteint des cimes inégalées, quand votre serviteur à la recherche d'un programme télévisuel, zappe et tombe nez à nez avec une émission de vulgarisation religieuse et non pas de causerie religieuse comme on aime à les dénommer chez nous, du voisin de l'Est et dont a toujours dit que l'attachement à la religion n'était pas, forcément, le premier de ses soucis. Oh que non ! L'animateur de l'émission en costume de ville, assis au milieu d'un décor «cool», s'adresse au téléspectateur, à l'instar du conteur, dans un langage imagé et simple pour raconter l'histoire d'Ibrahim, le père des prophètes. On ne se lasse pas de l'écouter, et dire que cette production n'est pas celle de la télévision d'Etat mais d'une chaine privée : Nessma pour ne pas la nommer. Cet effluve spirituel renvoyait, indubitablement, a nos jeunes chouyoukh qui se croient obligés de prendre barbe et de s'enturbanner et à se donner du «doctor» à longueur de rébarbatives émissions. Dans le registre de la citoyenneté, le spot qui suivait, présentait une dame en tailleur, en avant plan de l'emblème national, invitant ses concitoyens à aller s'inscrire sur les listes électorales sans fanfare ni tambour. Qui a dit que le privé était antinational ?

Allons faire un tour dans nos tours d'ivoire que sont les départements ministériels, où le devenir de la nation se joue au quotidien. A part les cabinets feutrés où un semblant de rigueur règne sur l'ensemble des collaborateurs immédiats, le reste du contingent est livré au bon vouloir des agents subalternes. Dans l'attente du probable départ du chef hiérarchique, on fait comme on peut pour grignoter sur le temps de présence dû au service public. Galvaudé, ce qualificatif ne veut plus rien dire, tant l'expropriation est patente. On peut toujours, couvrir une distance astronomique pour le dépôt ou le retrait d'un document pour s'entendre dire que le préposé est absent ce jour là. On pourra toujours vous diriger sur le chef qui est, lui-même, non disponible pour ne serait-ce que prendre acte de votre doléance. L'omerta fera tout pour vous dissuader d'entreprendre une quelconque démarche pour vous rétablir dans vos droits. Le meilleur appui que pouvez avoir, ne dépassera guère la compassion ou la promesse de vous régler le problème très prochainement. Il ne sera tenu compte d'aucun des désagréments causés, matériels ou psychologiques. Les explications fournies ne feront que vous conforter dans la conviction du déni du droit et de l'impunité. Djamila Bouhired, dont nul ne mettra en doute son rêve d'une Algérie radieuse, s'est faite, récemment, «rabrouer» silencieusement dans un tribunal de la capitale de «la Bataille d'Alger».

A-t-on, seulement, un jour tenté d'interviewer ces masses silencieuses qui visitent les lieux les jours de réception décrétés par une administration impersonnelle et placide ? Il ne faut surtout pas croire que ces « bunkers » sont hermétiques, ils peuvent soudainement devenir poreux par l'entremise d'une secrétaire, d'un appariteur ou d'un chauffeur. Il nous vient à l'esprit et parmi une foultitude d'exemples, le cas de ce malade justiciable de la pose d'un dispositif électronique cardiaque qui s'est vu fixer un rendez- vous, relativement lointain. Son cas fut, contre toute attente, traité immédiatement par l'intervention d'une connaissance dont le métier d'électricien la mettait en contact avec les praticiens du service. Les voies du Seigneur sont impénétrables? sinon comment expliquer cette démarche paradoxalement démocratique, découlant d'un particularisme national, qui fait que pour certains, l'exaucement du vœu est aléatoire, alors que pour d'autres c'est le conte de fée. A-t-on fait un jour, par simple curiosité intellectuelle, auditer une administration centrale ou même déconcentrée pour mesurer le degré d'efficience des prestations rendues aux usagers ? Possède-t-on un simple registre où, il peut être consigné l'identité du solliciteur du service, la date de l'entrevue et l'ébauche de solution apportée à sa doléance ? Peu probable, car l'opacité est nourrie, essentiellement, par l'anonymat. Maâlich ! Les documents officiels foisonnent de gribouillis en guise de signature sur les quels sont apposés des cachets ronds illisibles. Il n'est plus étonnant de se faire questionner dans le même service administratif, sur l'identité du signataire par absence de griffe. Maâlich ! Quant à l'illisibilité des ordonnances médicales confiées à des préposés aux pharmacies de modeste formation, les dégâts doivent être incommensurables. Maâlich ! La cerise sur le gâteau est, encore, cette prescription médicale anonyme qui «adresse» le patient au lieu de le confier au confrère spécialisé. Maâlich ! Les inondations dévastatrices sont souvent le fait de petits rus insignifiants, fédérés cependant, ils créent la catastrophe.

Un enseignant hospitalo universitaire, chirurgien orthopédiste de son état et quinquagénaire, que nous avons connu il y a une vingtaine d'années déjà, nous posait récemment, une question à laquelle nous ne trouvions pas réponse. «Que nous faut-il faire pour sortir de ce marasme ?». Nous étions tenté de lui relater cette réplique d'un jeune qui se plaignait de son mal vivre à son congénère et qui était la suivante : «Que chacun se débrouille pour grimper la côte raide que son père lui a léguée !». Envolée philosophique du terroir, cette réplique induit sans détour, la quête de survie par le seul travail. Ceci nous renvoie au même questionnement posé par les premières assises nationales sur le système de santé, qui se tenaient au début des années 80 à Biskra auquel répondait un psychiatre de la place de Blida par ceci : «Monsieur le ministre? le secret de la réussite se trouve au niveau de l'huile de coude !». Ce ne seront pas les réformes annoncées, ni le remaniement gouvernemental attendu, ni les mouvements dans les différents corps qui changeront le profil d'une société rendue amorphe, par l'expectative de sa seule composante socio politique. Le simple transporteur clandestin, fait de la prospective pour aller d'un point connu à l'autre inconnu. Pour ce faire, il s'inquiétera de la distance du trajet, des points de ravitaillement et du temps qu'il mettra pour rallier les deux points. Et pourtant, il est supposé n'avoir jamais fréquenté les hautes sphères du savoir.