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El quinqui de ma grand-mère et l'antonomase

par Sid Lakhdar Boumédiene

Répondant à un post sur un réseau social publiant une photo de la place de la mairie de Saïda, illuminée de mille feux, j'avais réagi en disant : «Le quinqui de ma grand-mère n'est plus». Et c'est comme cela que ce mot de notre prime enfance m'est revenu à l'esprit. Il y en avait un, superbe, un «quinqui», chez ma grand-mère originaire de Saïda.

Et lorsque j'ai été rechercher son origine, un réflexe de prof, je suis tombé sur notre fameux mot antonomase. Je ne le connaissais pas, on s'instruit jusqu'à la tombe. On me précise que c'est une figure de style attribuant à un objet le nom d'une personne.

Invention d'Antoine Quinquet, pharmacien à Paris au XVIIIe siècle. C'est d'ailleurs assez conforme à ce siècle des «Lumières».

Le fameux «quinqui», prononcé avec l'accent de nos anciens, a illuminé notre petite enfance et, comme la madeleine de Proust, nous en avons encore à l'oreille le doux bruit, dans les narines, l'odeur pénétrante du pétrole, et dans les yeux, la mémoire de la petite flamme à la lumière timide et vacillante. Le souvenir de nos grands-mères, c'est la bibliothèque de la sémantique d'antan. Et gare à celui qui brisait le couvercle en verre, la flamme du quinqui se transformait immédiatement en promesse de retrouver celle de l'enfer promis par une violente engueulade de la grand-mère. Ce quinqui, il faut le reconnaître, a été connu par ma génération sans toutefois en être un concurrent quotidien à la lumière électrique qui était, en dehors de certains lieux, un progrès assez généralisé. Ils sont nombreux, ces intellectuels algériens de la génération précédente à la mienne, qui avaient à lire et écrire devant le quinqui, avec une lumière qui ferait bondir n'importe quel ophtalmologiste de nos jours. Ils avaient prouvé que la première des lumières était celle de la volonté acharnée de s'instruire. Le quinqui leur avait donné de l'aide et du courage avec ce qu'il pouvait faire. Et il en a fait beaucoup plus que toutes les écoles d'aujourd'hui qui sont en panne de cette fantastique lumière feutrée du quinqui de ma grand-mère.