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Jijel: Zones d'ombre: le cas du douar d'Ouled Boufaha

par Rabah Toubal*

Le 1er novembre 2017, des natifs, descendants de natifs et amis de la dechra d'Ouled Amor, douar d'Ouled Boufaha-Ledjbala, commune et daïra d'El Ancer, wilaya de Jijel, se sont réunis sur la place publique dite «Dardara» de cette dechra, pour annoncer leur désir de constituer une association qui s'assigne comme objectifs majeurs d'impulser un second souffle à la dechra des Ouled Amor, qui a été abandonnée, à deux reprises, par la quasi-totalité de ses habitants.

Le premier exode forcé eut lieu en 1956, lorsque l'administration coloniale avait déclaré ce village et les principaux villages environnants «zone interdite», en raison des activités de guérilla que l'ALN y menait. Sa population a été contrainte de s'exiler massivement dans différentes wilayas du pays.

Le second a vu fuir, dans les années 1990, les centaines de personnes qui y étaient retournées, après l'indépendance de notre pays, le 5 juillet 1962, à cause des groupes terroristes islamistes qui avaient trouvé refuge dans les montagnes et collines fortement boisées de la région.

Aujourd'hui que la paix et la sécurité sont rétablies sur la totalité du vaste territoire national, ces habitants, ou leurs descendants, veulent s'installer de manière permanente ou semi-permanente sur la terre de leurs aïeux, en la re-peuplant et en mettant en valeur son riche potentiel agricole, économique, touristique et culturel.

Cette association vise, entre autres objectifs, la restauration de la mechta des Ouled Amor, conformément à un plan d'action visant, à court terme, à :

- Enlever la broussaille et autres herbes sauvages qui ont envahi la plupart des places, chemins et sentiers publics qui existaient du temps de leurs grands-parents et parents, ainsi que les sources, arbres (chêne-liège, oliviers et arbres fruitiers notamment), les lopins de terre cultivés et les maisons en ruines, afin de rendre faciles le déplacement et la communication d'un point à un autre du douar fantôme, dans l'une des régions les plus boisées et les plus humides de notre immense pays.

- Réhabiliter les infrastructures, telles les routes, pistes, sentiers, tunnels, ponts et chaussées. En réparant ceux qui sont défectueux, en consolidant et en élargissant les autres et en restaurant les sources et les fontaines fraîches existantes.

- Reconstruire les maisons détruites, en respectant le style traditionnel, au moins pour leur aspect extérieur, afin de préserver le cachet propre à la région.

- Rétablir l'électricité en utilisant les nombreux anciens poteaux électriques et compléter le réseau par les extensions et les installations nécessaires pour couvrir la douzaine de mechtas composant le douar des Ouled Boufaha.

- Favoriser les micro-entreprises, l'artisanat, le tourisme et la pêche en mer et en eau douce du oued El Kébir notamment (la côte est à moins d'un kilomètre des limites Nord-Ouest du douar) pour créer des emplois. Ainsi que l'agriculture, les cultures vivrières, l'arboriculture, l'apiculture, la production d'huile et la culture des plantes médicinales, dont la région regorge.

- Restaurer les lieux de mémoire communs : écoles, mosquées, marchés, cafés, cimetières, etc.

Depuis notre départ précipité de notre village natal, fin 1955, j'y suis retourné à deux reprises.

En hiver 1966, à l'âge de 13 ans, avec mes grands-parents maternels, pour la cueillette des olives. Et, le 1er novembre 2017, avec le groupe qui y a lancé le processus qui a abouti, deux ans après, à la création de l'association pour le repeuplement, la réhabilitation et le développement du douar des Ouled Amor.

A l'instar des autres habitations vides de notre village, quelques mois après notre départ, notre maison avait été dynamitée par l'armée française afin d'empêcher les anciens locataires d'y retourner ou que ces maisons soient utilisées de nouveau par les moudjahidine, nombreux dans la région.

Ironie du sort, en 2010, les pans des murs, qui restaient encore debout de la maison de mes ancêtres, avaient été démolis par des engins de l'ANP qui perçaient dans la broussaille dense, qui les avait recouverts, une voie afin de faciliter le déplacement de ses troupes, dans le cadre de la lutte héroïque contre le terrorisme, dont quelques éléments étaient encore présents dans cette région difficile d'accès.

Aujourd'hui, ce lieu-dit, ce pays plus boisé que cultivé, dixit Hosni Kitouni, La Kabylie orientale, Casbah Editions, 2016, est pratiquement vide de toute vie et activité humaines.

Avec un groupe de volontaires, originaires ou descendants de ce beau douar, qui essaie, tant bien que mal, avec de maigres ressources, de lui redonner vie et réhabiliter les nombreux douars désertés par leurs habitants du fait du terrorisme.

Cette initiative s'inscrit dans le cadre du plan de réhabilitation des douars abandonnés par leurs habitants et de la multitude de zones d'ombre éparpillées à travers l'Algérie, qui vise à doter avec les infrastructures nécessaires ces zones, où la vie est bien en deçà du seuil de pauvreté et de bien-être social. Ceci, en vue de réduire l'exode massif émanant de ces douars.

*Diplomate à la retraire-écrivain