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Charge pénale des réseaux sociaux ?

par Abdelkrim Zerzouri

Les entreprises qui pilotent les réseaux sociaux ont-elles agi de leur propre chef ou sous une pression extérieure en procédant à la suspension des comptes du président américain sortant ? Ce n'est pas une mince affaire pour les patrons de Twitter et Facebook de proscrire des réseaux sociaux un président encore en exercice, même si c'est pour quelques jours, d'une façon permanente ou indéfiniment depuis vendredi dernier pour le premier et pour une durée indéterminée pour le second depuis jeudi. Il faut croire qu'en agissant de la sorte, les deux puissantes entreprises sont les premières à condamner le président américain sortant pour des faits graves, sans précédent dans l'histoire.

«Après examen approfondi des tweets récents de @realDonaldTrump et du contexte actuel - notamment comment ils sont interprétés (...) - nous avons suspendu le compte indéfiniment à cause du risque de nouvelles incitations à la violence» de la part du président américain sortant, a expliqué l'entreprise dans un communiqué. En termes claires, l'entreprise lui reproche d'utiliser son compte sur Twitter, qui totalise 88 millions d'abonnés, pour exciter les foules et les pousser à commettre des actes de violence. Facebook a, pour les mêmes motifs, pris la décision de suspendre le profil du locataire de la Maison Blanche de tous ses services (Facebook, Snapchat et Twitch) une journée avant Twitter. S'agit-il d'un pré-acte pour l'application de l'article 5 de la Constitution américaine ?

Il a été question de la procédure de destitution de Trump depuis l'assaut de ses partisans contre le Capitole. On est allé jusqu'à demander son éloignement des codes nucléaires. Chose qui laisse croire que les patrons des réseaux sociaux ont été encouragés et soutenus dans leur action. Reste maintenant à savoir si ses adversaires peuvent utiliser cet argument et le charger d'incitation à la violence, par le biais des réseaux sociaux, pour l'attaquer devant les tribunaux, d'autant qu'il y a eu mort d'hommes lors des incidents du Capitole. Le président élu, Joe Biden, a menacé en termes à peine voilés en lançant dans le sillage de ces troubles que «les présidents américains ne sont pas au-dessus de la loi». Probablement qu'on n'irait pas jusque-là, mais pour faire pression sur Trump et le pousser à démissionner il est possible d'utiliser cette carte.

Un point noir dans l'histoire que représente l'assaut contre le Capitole par les partisans de Trump, est déjà de trop pour les Américains qui ont toujours évité d'entacher l'histoire en traînant un président devant les tribunaux ou devant une commission parlementaire. Dans des cas pareils, on préfère que le président dépose une démission, comme l'a fait Richard Nixon après l'éclatement du scandale du Watergate. D'ailleurs, les avertisseurs sont nombreux, dont le quotidien américain The Wall Street Journal, qui a appelé Donald Trump à «prendre sa responsabilité personnelle et à démissionner» car «c'est mieux pour tout le monde, y compris lui-même, s'il s'en va tranquillement». Le concerné entendra-t-il cet appel ? Ses dernières sorties laissent croire le contraire, car il considère que les réseaux sociaux ont «interdit la liberté d'expression», et compte lancer sa propre plateforme dans un futur proche et refuse de participer à la cérémonie d'investiture du nouveau président le 20 janvier prochain. L'Amérique n'a pas encore clos ce sombre chapitre de son histoire, car on craint de nouvelles émeutes avant le 20 janvier selon des plans de manifestations armées que font circuler les partisans de Trump sur Twitter.