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La question palestinienne : triomphe du fait accompli-défaite du droit (Suite et fin)

par Mustapha Benchenane*

L'exil forcé des Palestiniens

Aujourd'hui encore, la propagande israélienne et le lobby israélien en Occident «reprochent» aux Palestiniens et aux Arabes en général, d'avoir refusé le plan de partage de leur pays... Ben Gourion qui ne peut être suspecté de sympathie à l'égard des Palestiniens se montre très lucide : «Si j'étais leader arabe, je ne signerai jamais un accord avec Israël. C'est normal : nous avons pris leur pays. Il est vrai que Dieu nous l'a promis, mais comment cela pourrait-il les concerner ? Notre Dieu n'est pas le leur. Il y a eu l'antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce de leur faute ? Ils ne voient qu'une seule chose : nous sommes venus et nous avons volé leurs terres. Pourquoi devraient-ils accepter cela»4. Ben Gourion reconnaît donc explicitement que Israël est un fait de puissance et que la Résolution 181 de l'Assemblée Générale de l'O.N.U était inacceptable pour les Palestiniens...

Le même Ben Gourion déclarant à propos de la Résolution 181 : « Dès que nous serons devenus puissants, une fois notre État établi, nous l'abolirons et nous nous étendrons sur tout le territoire d'Israël5. Chasser les Arabes de la Palestine a toujours été le but ultime du mouvement sioniste. C'est ce que confirme Tom Segev : «L'idée du transfert a accompagné le mouvement sioniste dès ses débuts». Il ajoute : «La disparition» des Arabes, se trouve au cœur du rêve sioniste, et elle est aussi une condition nécessaire à son existence. A de rares exceptions près, aucun sioniste ne remettait en question le caractère désirable d'un transfert par la force -ni son caractère moral»6.

On comprend pourquoi la Résolution 194 de l'Assemblée Générale de l'O.N.U. a toujours été rejetée par les Israéliens et leurs dirigeants qu'ils viennent de droite ou de gauche. Cette résolution édictait : «Il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers, le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins et que les indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tous ce qui est perdu ou endommagé»... Ces «réfugiés» dont il est question dans la Résolution 194 sont des Palestiniens - entre 750.000 à 900.000 - chassés par les Israéliens qui ont utilisé tous les moyens, provoquer la terreur et vider, en particulier, l'État juif de ses habitants arabes, musulmans et chrétiens confondus.

Il s'agit d'un plan d'épuration ethnique prémédité, préparé longtemps à l'avance et qui n'avait rien à voir avec le «refus arabe» du «Plan de partage». En effet, dès 1937, Ben Gourion, alors président de l'Agence juive, déclarait : «La puissance croissante du peuplement juif en Palestine accroîtra également notre capacité à mettre à exécution un transfert massif des populations arabes». Il explicite son projet : «Je suis pour le transfert obligatoire, je n'y vois rien d'immoral». En 1941, le Docteur Weizmann (premier président d'Israël de 1949 à 1952) disait à l'ambassadeur soviétique Ivan Maisky : « S'il est possible de transférer un demi-million d'Arabes, deux millions de juifs pourraient s'établir à leur place. Cela ne serait évidemment qu'une première étape». Dès 1947 et le vote de la Résolution de l'O.N.U relative au Plan de partage de la Palestine, les dirigeants sionistes ont mis en oeuvre le «Plan Dalet». Selon Benny Morris, «l'essence de ce plan était de nettoyer le futur État juif de toutes les forces hostiles ou partiellement hostiles». Les termes «nettoyage», «cancer», «purification», «épines», sont utilisés pour désigner les Palestiniens... La terreur est systématiquement utilisée ? par exemple, la population du village de Deir Yassine a été presque entièrement massacrée. Le délégué du Comité international de la Croix Rouge pour la Palestine a déclaré : «Il y avait 400 personnes dans ce village, une cinquantaine se sont enfuies, 3 sont encore vivantes, tout le reste a été massacré sciemment, volontairement car, je l'ai constaté, cette troupe est admirablement disciplinée et n'agit que sur ordre».

Les événements sont confirmés par les «nouveaux historiens» israéliens. Quant à Arieh Yitzhaqi, l'historien de la ?Hagana', il écrit : «L'opération Deir Yassine était en ligne avec des dizaines d'attaques menées à cette époque par la ?Hagana' et le ?Palmah', au cours desquelles des maisons pleines de personnes âgées, de femmes et d'enfants étaient dynamitées»7. Rien n'est dû à une «dynamique de la guerre» qui aurait échappée à ceux qui l'ont initiée. Il s'agissait bien d'un plan mûrement réfléchi et longuement préparé. Joseph Weitz (directeur du Fond National Juif) le dit explicitement le 18 avril 1948 : « J'ai dressé une liste de villages arabes dont je précise qu'ils doivent être nettoyés afin d'homogénéiser les zones juives». Il précisait qu'il fallait «transformer la fuite des Arabes du pays et l'interdiction de leur retour en fait accompli».

Durant plusieurs décennies, la propagande israélienne a soutenu que les Palestiniens avaient quitté leur terre à l'appel des radios arabes qui les auraient incités à partir afin que les armées arabes puissent intervenir plus efficacement contre Israël. Benny Morris écrit : « Il n'y a pas eu d'ordre arabe demandant aux Palestiniens de quitter la Palestine»8.

Les «nouveaux historiens» israéliens ont établi que toutes les radios arabes ont donné l'ordre de ne pas bouger, «de demeurer dans leur foyer ou s'ils étaient exilés, de retourner en Palestine»9.

Selon l'UNRWA (O.N.U), 900.000 Palestiniens furent chassés de leur pays. Un responsable israélien a déclaré à un journal libanais : « Alors nous avons frappé avec force et mis la terreur dans le cœur des Arabes ? Ainsi nous avons accompli l'expulsion de la population arabe des régions assignées à l'État juif»10.

La guerre dite des ?Six jours' (juin 1967) a été l'occasion, pour les dirigeants israéliens de poursuivre la mise à exécution de leur plan d'expansionnisme territorial au détriment des Palestiniens. C'est ainsi que Jérusalem Est est occupée militairement et colonisée. Cela consiste à recourir à tous les moyens pour «judaïser» la ville qui devait devenir la capitale du futur État palestinien. Les gouvernements israéliens qu'ils fussent de droite ou de gauche, ont tous pratiqué la même politique.

Il arrive que des voix s'élèvent pour critiquer cette politique. Nahum Goldmann, ancien président du Congrès juif mondial et l'un des pères fondateurs de l'État d'Israël a déclaré : « Les Israéliens mènent une politique provocante pour affirmer leur pouvoir». Il ajoute : « Au fur et à mesure que la situation se détériore, j'en arrive à conclure que l'erreur fondamentale du sionisme moderne a été d'avoir voulu résoudre un problème exceptionnel et quasiment unique dans l'Histoire, par les moyens ordinaires de la routine politique : la création d'un État»11.

Plus récemment, des généraux israéliens ont dénoncé la politique de leur pays à l'égard des Palestiniens. Le Brigadier-général Yaïr Golan chef d'état-major adjoint de l'armée israélienne a déclaré : «Ce qui fait frémir dans le souvenir de la Shoah, c'est de déceler avec effroi, chez nous, en 2016, les processus nauséabonds qui se sont déroulés en Europe, il y a soixante-dix, quatre-vingts ou quatre vingt dix ans. Rien n'est plus facile que de haïr l'étranger, de semer la peur, et de se transformer en bêtes»12. Le Général Moshe Yaalon, ex ministre israélien de la Défense affirme : « Il est à mes yeux inacceptable qu'en 2016, les dirigeants israéliens passent leur temps à enflammer les passions, à inciter à la haine ou à semer la peur et la division entre les Juifs et les Arabes, la gauche et la droite, ainsi qu'entre les différentes composantes de la société, dans le seul but de se maintenir au pouvoir». Il accuse le Premier ministre B. Netanyahou d'exagérer à dessein la menace pour mieux manipuler les électeurs13. Quant au Général Ammon Reshef, membre du mouvement : «Les Commandants pour la sécurité d'Israël» qui regroupe des centaines d'anciens chefs de l'armée et des services secrets israéliens, il fait une analyse, à contre courant, de la propagande habituelle : il considère que la menace existentielle est interne et «risque de nous faire perdre le pays et son caractère juif». Pour lui et ses camarades, les lois votées à la Knesset «préparent le terrain à une annexion légale de la Cisjordanie». Il ajoute : «Les conséquences seraient désastreuses pour notre pays et sa nature démocratique, elles menacent le projet sioniste de nos pères fondateurs»14.

Ces généraux ont le mérite d'avoir acquis une lucidité qui leur avait fait défaut tout au long de leur carrière puisqu'ils ont été au plus haut niveau de la hiérarchie militaire et ont servi la politique de leur pays dans ses aspects les plus expansionnistes, en violation systématique et permanente du Droit International.

La défaite du Droit international

Transgressions sans sanctions

Le Droit International est ignoré dans la question palestinienne depuis toujours, y compris par la «Déclaration Balfour» qui promet la création d'un «Foyer national juif en Palestine» au profit des Juifs en général. La Grande-Bretagne a, donc, disposé d'un pays sans jamais consulter, ni même informer ses habitants : les Palestiniens.

Ben Gourion lui-même le reconnaît dans l'un de ses discours prononcé en 1938 : «Ne nous cachons pas la vérité... Politiquement nous sommes les agresseurs et ils se défendent. Ce pays est le leur, parce qu'ils y habitent, alors que nous venons nous y installer et de leur point de vue, nous voulons les chasser de leur propre pays. Derrière le terrorisme (des Arabes) il y a un mouvement qui bien que primitif n'est pas dénué d'idéalisme et d'autres sacrifices»15. Les Britanniques qui se sont attribué un «mandat» sur la Palestine en instrumentalisant la Société Des Nations (S.D.N) créée à la fin de la Première Guerre mondiale, ont donné un «habillage» juridique à un fait de puissance : les Arabes n'étaient pas en mesure de résister à la politique de Londres. Quant au «Plan de partage» de la Palestine (1947) voté par l'Assemblée générale de l'O.N.U, outre que l'on peut s'interroger sur sa légalité, il était inacceptable pour les Arabes pour les raisons que rappelle D. Ben Gourion, mais aussi parce que le mouvement sioniste n'a jamais eu l'intention de le respecter. C'est ainsi que profitant des circonstances créées par la guerre de 1948, Israël a entrepris d'agrandir son territoire et de pratiquer une politique d'épuration ethnique, au détriment des Palestiniens qu'ils fussent musulmans ou catholiques. D. Ben Gourion avait annoncé clairement les objectifs du sionisme : «Après la formation d'une grande armée à la suite de l'établissement de l'État, nous abolirons la partition et nous nous étendrons sur l'ensemble de la Palestine»16.

Le programme est réalisé par l'utilisation de la force et de la terreur dans le cadre d'une politique d'épuration ethnique reconnue désormais par tous les «nouveaux historiens israéliens»17. La Résolution 194 de l'Assemblée générale des Nations unies adoptée le 11 décembre 1948, puis confirmée par plusieurs autres Résolutions (394-513) déclare : «Qu'il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gouvernements ou autorités responsables». Une agence de l'O.N.U, l'UNRWA a spécialement été créée pour gérer le problème. Ceci est solennellement confirmé par l'Assemblée générale des Nations unies le 22 novembre 1974 par la Résolution 3.236.

Ces Résolutions n'ont jamais été respectées par Israël dont l'objectif était de chasser les Palestiniens. David Ben Gourion le disait clairement : « Nous devons tout faire pour nous assurer qu'ils ne reviendront jamais»18. Dès le 5 octobre 1937, il écrivait à son fils : «Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place»19.

Dans le Plan de partage de 1947, Jérusalem devait être gouvernée par un Régime international spécial. Un Conseil de tutelle était censé élaborer un statut définitif pour la ville. Suite à la guerre de 1948 elle est divisée en deux parties. Après de nombreuses propositions, l'Assemblée générale de l'O.N.U vote le 9 décembre 1949 la Résolution 303 (IV) : elle réaffirme une internationalisation complète de la ville, sans tenir compte des réalités du terrain. Avec l'accord des Israéliens, et afin que l'État palestinien ne soit pas créé, le roi Abdallah de Cisjordanie annexe la Cisjordanie et la partie de Jérusalem que les Israéliens n'étaient pas parvenus à prendre (24 janvier 1949). A la suite de la guerre de juin 1967, dite ?Guerre des six jours', l'armée israélienne occupe la partie arabe de Jérusalem.

Dans le contexte de la ?Guerre des six jours', le Conseil de Sécurité de l'O.N.U a voté le 22 novembre 1967, la résolution 242 qui affirme l'inadmissibilité de l'acquisition de territoires par la force et exige le «retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés au cours du récent conflit». La version anglaise dit : «de territoires»... Les versions officielles en espagnol, arabe, chinois adoptent la même terminologie que la version française qui exige l'évacuation de tous les territoires arabes occupés.

A la suite de la guerre de 1973, le Conseil de Sécurité de l'O.N.U a adopté la Résolution 338, le 22 octobre 1973. Elle exige l'application de la Résolution 242, dans sa totalité. Elle demande que les parties engagées dans cette guerre engagent des négociations en vue d'instaurer une paix juste et durable au Moyen-Orient.

Aucune de ces Résolutions n'a été appliquée par Tel-Aviv. La situation devient politiquement inédite lorsque le président égyptien Anouar El-Sadate prend l'initiative de se rendre en Israël. Sa démarche était contraire aux engagements pris dans le cadre de la Ligue des Etats arabes qui interdisaient tout accord de paix séparé avec Israël. Il a signé avec le Premier ministre Begin un accord cadre dit de «Camp David» le 17 septembre 1978 et un traité de paix à Washington le 26 mars 1979 sous les auspices des Etats-Unis. Des négociations sur le principe de l'autonomie de la Cisjordanie et de Gaza ont donné lieu à des sessions entre mars 1979 et mars 1980. Elles n'ont pas abouti. Or le terme fixé par l'accord cadre de Camp David pour organiser l'autonomie de la Cisjordanie était le 26 mai 1980. A. Sadate a obtenu la restitution du Sinaï occupé depuis 1967 mais avec une limitation de la souveraineté égyptienne sur ce territoire puisque le Caire n'avait pas le droit d'y envoyer son armée. En neutralisant par un traité de paix le pays arabe le plus important à tous égards, Israël se renforçait considérablement, ce qui lui a permis, entre autres, d'envahir le Liban et d'avoir une liberté totale pour poursuivre sa politique de colonisation à Jérusalem Est et en Cisjordanie... Le roi Hussein de Jordanie suivra la même voie que le président égyptien en signant à Washington un traité de paix avec Israël le 26 octobre 1994.

Cet événement survient dans un contexte particulier : les accords d'Oslo entre Israéliens et Palestiniens et la poignée de mains sur la pelouse de Maison Blanche, en septembre 1993 entre Yasser Arafat le Président de l'Organisation de Libération de la Palestine (O.L.P) et de l'autre coté, le Premier ministre d'Israël Itzhak Rabin et Shimon Perez, en présence du Président des Etats-Unis d'Amérique Bill Clinton. La reconnaissance d'Israël par les Palestiniens et des Palestiniens par Israël était porteuse de promesses de paix définitive. Celle-ci signifiait aux yeux du peuple palestinien, la création d'un Etat souverain sur l'ensemble des territoires occupés militairement par Israël. Mais Itzhak Rabin a été assassiné par un fanatique juif, le 4 novembre 1995. La droite et l'extrême droite israéliennes, opposées aux Accord d'Oslo, avaient orchestré une campagne de haine contre lui, le présentant comme un traître. De septembre 1993, au déclenchement de la première «Intifadah» fin septembre 2000, le nombre de colonies et de colons a doublé dans les territoires occupés.

Le recours au terrorisme par des organisations palestiniennes qui n'ont jamais cru au «processus de paix» d'Oslo a contribué à justifier l'intransigeance de la droite et de l'extrême droite israéliennes, en même temps qu'il affaiblissait le «camp de la paix» dans ce pays.

L' «Autorité palestinienne» instituée dans le cadre du processus d'Oslo» en est réduite à co-administrer l'occupation militaire de son propre pays par l'armée israélienne. Des accords de sécurité font obligation à cette «Autorité» de garantir la sécurité des colons et de l'armée d'occupation... L'ensemble des données de cette situation a provoqué la division et la fragmentation des Palestiniens, en particulier par rapport à Gaza qui est «gouvernée» par le Hamas, mouvement islamiste. Cette terre peuplée de près de 2 millions d'habitants, subit un blocus de la part d'Israël, avec la participation de l'Egypte. Aucune disposition du Droit International n'autorise ce blocus qui se poursuit sans susciter quelque réaction que ce soit de la «Communauté Internationale». Tout cela fait dire à Avraham Burg (président de la Knesset de 1999 à 2003, président de l'Agence juive et de l'Organisation sioniste mondiale) « La politique de la droite au pouvoir n'a qu'un seul objectif : justifier l'idée selon laquelle il n'y a pas d'interlocuteur palestinien pacifique. Benjamin Netanyaou a tout intérêt à ce que le Hamas reste au pouvoir car cela lui évite d'avoir un interlocuteur -tel le président Mahmoud Abbas- avec des droits et des obligations identiques aux siens»20.

Compte tenu de l'aggravation de la situation en Palestine occupée, la «Communauté Internationale au lieu d'avoir recours à la Résolution de l'O.N.U sur le «devoir de protéger», préfère regarder ailleurs.

Persistance de la politique des faits accomplis :

Sous prétexte de lutter contre le terrorisme palestinien, Israël a entrepris de construire un mur. Il n'y aurait pas lieu de dénoncer cet édifice s'il avait été réalisé exclusivement en territoire israélien. Mais ce mur empiète très largement sur le territoire palestinien et son tracé englobe les principales colonies juives en Cisjordanie et à Jérusalem, en même temps qu'il rend insupportables les conditions de vie de dizaines de milliers de Palestiniens, et empêche la création d'un Etat palestinien21.

La Cour Internationale de Justice (CIJ) a été saisie pour un avis consultatif par une Résolution de l'O.N.U. (ES ? 10/14) le 8 décembre 2003 lors de la dixième session extraordinaire d'urgence. Elle a rendu son avis consultatif, le 9 juillet 2004. Dans ce document, la CIJ souligne qu'elle est compétente sur la base de la Résolution 377 A(V) qui stipule que lorsque le Conseil de Sécurité ne s'acquitte pas de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale, l'Assemblée Générale peut se saisir d'un problème afin de faire des recommandations aux Etats membres.

La Cour fait observer que le tracé du mur incorpore 80% des colons installés dans les territoires palestiniens occupés. Elle rappelle que les colonies ont été installées en méconnaissance du Droit International et qu'elles constituent un «fait accompli» pouvant devenir une annexion de facto. Elle ajoute que ce tracé consacre sur le terrain les mesures illégales prises par Israël concernant Jérusalem et les colonies de peuplement. Le mur, selon la CIJ, est un «obstacle grave à l'exercice par le peuple palestinien de son droit à l'autodétermination». La Cour conclut que la construction du mur ainsi que le régime qui lui est associé, sont contraires au Droit International et rappelle à tous les Etats leur obligation à faire le nécessaire pour interrompre l'illégalité de la situation.

En visite à Bethléem le 14 mai 2009, le Pape Benoit XVI a déclaré : «J'ai vu le mur qui fait intrusion dans vos territoires, séparant les voisins et divisant les familles».

Dans la droite ligne de cette politique d'expansionnisme territorial qui a été conçue, dès les années 1930, le gouvernement israélien exige des Palestiniens qu'ils reconnaissent Israël comme l' «Etat-nation du peuple juif». Or, l'Organisation de Libération de la Palestine (O.L.P) a déjà reconnu l'État d'Israël en 1988. Cela a été confirmé, à plusieurs reprises, dans le cadre du «processus de paix» d'Oslo, à partir de 1993. En Droit International, la reconnaissance d'un Etat ne se préoccupe pas de considérations ethniques, religieuses, idéologiques etc. mais le Premier ministre de droite Benjamin Netanyahou a fait voter par la Knesset (Parlement) une «Loi fondamentale» (19 juillet 2018) qui définit Israël comme l' «Etat-nation du peuple juif, où celui-ci applique son droit naturel, culturel, religieux, historique», ainsi que son «droit exclusif à l'autodétermination». Visant la minorité arabe «israélienne», le Premier ministre a précisé : «C'est notre Etat, l'État des juifs»22. Israël, Etat exclusivement juif, tel était l'objectif clairement exprimé, en décembre 1940, dans son journal, par Joseph Weitz qui a joué un rôle déterminant, quelques années plus tard, dans le «transfert» des Palestiniens par une politique de terreur : «Il doit être clair qu'il n'y a pas d'espace dans le pays pour deux peuples»23.

Tom Segev rappelle que, dès le début, les sionistes visèrent à expulser les Arabes : «La disparition des Arabes se trouve, au cœur, du rêve sioniste et elle est aussi une condition nécessaire à son existence». Il ajoute : «Ben Gourion réfléchissait à cette option à la fin des années 30»24.

A la lumière des événements qui constituent la nature du problème palestinien: un peuple qui vit sous occupation et à qui l'occupant confisque ses terres par la force, le recours à la légalité internationale devrait être une priorité. L'oppression que subit le peuple palestinien est reconnue par des personnalités israéliennes telle Avraham Burg : «Israël continue à se vanter d'être la seule démocratie au Moyen-Orient, mais, de fait, c'est un Etat qui englobe deux peuples, l'un opprimé, l'autre privilégié»25. Toutes les conditions exigées par la Résolution de l'O.N.U. de la «Responsabilité de protéger» ou «R2P», sont réunies.

Au sommet mondial de 2005, tous les chefs d'État et de gouvernement ont affirmé la responsabilité de protéger les populations du génocide, crimes de guerre, nettoyage ethnique, crimes contre l'Humanité. Les Etats souverains ont l'obligation de protéger leurs propres populations contre les catastrophes de grande ampleur. Lorsque des Etats ont failli à leurs obligations, le «devoir de protéger» doit entrer en vigueur y compris lorsque c'est l'État lui-même qui menace sa propre population.

Le Conseil de Sécurité de l'O.N.U, en avril 2006 a, pour la première fois, fait officiellement référence à la responsabilité de protéger, dans la Résolution 1674 sur la protection des civils en période de conflit armé. L' O.N.U. s'est fondée sur le «devoir de protéger» s'agissant de la Libye par la Résolution 1970 du 26 février 2011, et surtout, la Résolution 1973 du 17 mars 2011... En effet, le Conseil de Sécurité a pris au sérieux les menaces proférées par M. Kadhafi contre la population de Benghazi qui s'était révoltée contre sa dictature. La Résolution 1973 traçait un cadre très précis à l'intervention armée : une zone d'exclusion aérienne et le gel des avoirs de personnalités liées au régime de Tripoli. Mais l'OTAN, intervenant comme «bras armé» de l'O.N.U, est très largement sortie de ce cadre, et a bombardé durant plus de six mois la Libye jusqu'au renversement et au lynchage de Kadhafi... Sur d'autres bases juridiques, l'OTAN est intervenue militairement en Bosnie, en Afghanistan et sans support juridique au Kosovo.

En Palestine, alors que toutes les conditions requises pour une intervention, ou à tout le moins pour des sanctions, sont réunies, la «Communauté internationale» reste inerte. La situation à Gaza, à elle seule, justifierait le recours au «devoir de protéger».

La raison essentielle de cette passivité est le soutien inconditionnel des Etat-Unis au profit d'Israël. Mais ce n'est pas la seule.

Se référant à l'impunité dont bénéficie Israël, Alain Gresh s'interroge : «Quel autre exemple connaît-on d'une occupation condamnée depuis plus de 40 ans par les Nations-Unies sans résultat ni sanctions ? Quel autre cas existe-t-il de puissance conquérante pouvant installer plus de 500.000 colons dans les territoires qu'elle occupe (politique qui, en droit international, constitue un «crime de guerre) sans que la Communauté internationale émette autre chose que des condamnations verbales, sans effort ni suite?»26 Ari Shavit, éditionaliste au journal israélien Haaretz, avance une explication : «Israël peut agir en toute impunité, parce que nous avons l'anti-Defamation League (...) Yad Vashem et le musée de l'Holocauste»27.

A la fin du second mandat de B. Obama, son Secrétaire d'État John Kerry a prononcé un discours, le 28 décembre 2016 : «Si le choix est celui d'un seul État, Israël peut être soit juif, soit démocratique -il ne peut pas être les deux- et il ne sera jamais vraiment en paix. Quiconque réfléchit sérieusement à la paix ne peut ignorer la réalité de la menace des colonies sur la paix». John Kerry a attendu le dernier moment avant son départ pour faire preuve d'«audace», ce qui a déclenché en Israël des propos très violents contre lui. Pourtant, le ministre israélien de la Défense Ehud Barak disait la même chose, en février 2010 : «Aussi longtemps qu'entre le Jourdain et la Méditerranée il n'existe qu'une seule entité politique appelée Israël, elle aura le choix entre être non juive et être démocratique. Si les Palestiniens votent, ce sera un Etat binational ; s'ils ne votent pas, ce sera un Etat d'apartheid»28.

Cette lucidité n'empêche pas Israël de poursuivre sa colonisation politique, certes à courte vue, mais que rien ne semble pouvoir arrêter... Mais ce faisant, et à moyen terme, la menace qui pèse sur Israël en tant qu'Etat juif, ne vient pas des Palestiniens, de l'Iran, des musulmans trop empêtrés dans leurs problèmes intérieurs, mais de la politique menée par les gouvernements qui se sont succédés à Tel-Aviv. Quant aux Palestiniens, ils vivent l'amère et désespérante vérité, la seule qu'il faut retenir : malheur aux faibles.

* Docteur d'Etat en science politique

Conférencier au Collège de Défense de l'OTAN et à l'Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice. (I.N.H.E.S.J). Editorialiste à l'Institut F.M.E.S

Annuaire : « Enjeux Diplomatiques et Stratégiques »

Publié par le Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques (C.E.D.S). Parution : Eté 2019.

Notes :

4- Site : The International Solidatity Movment, Israël 27 septembre 2005, cité par Nahum Goldmann dans « Le paradoxe juif », p 121.

5- Emmanuel Navon (politologue israélien), «Y a t-il une vie après Oslo ?», Revue Outre-Terre, n°1, janvier-mars 2001.

6- Tom Segev, cité par Norman G. Finkelstein, «Tuer l'espoir», Éditions Aden, Bruxelles, 2003, p27.

7- Arieh Yitzhaqi, cité par Simha Flapan, The birth of Israël, Myths and realities.

8- In Tom Segev, 1949 : The first Israelis.

9- Ibid

10- Journal libanais «El Hayat», 20 décembre 1948.

11- Le Nouvel Observateur, n° 2228-872, 25-31 juillet 1981.

12- «Libération», 10 mai 2016 et «Le Figaro», 11 mai 2016.

13- «Le Figaro», 18-19, juin 2016.

14- Journal du Dimanche, 25 novembre 2018.

15- In : Simah Flapan, «Le sionisme et le Palestiniens», p 141,142.

16- In : Simah Flapan, «La naissance d'Israël» , 1987, p22.

17- Dominique Vidal, Joseph Algazy, «Le péché originel d'Israël», «L'expulsion des Palestiniens revisitée par les «nouveaux historiens israéliens», Éditions de l'Atelier, Paris, 1998.

18- David Ben Gourion, «Journal», 18 juillet 1948, cité par Michael Ben Zohar, «Ben Gourion, le prophète armé», Prentice Hall, 1967, p157.

19- David Ben Gourion, op cit.

20- Avraham Burg, «Le Monde», 11 novembre 2014

21- L'ONG israélienne B'Tselem signale que 9,4 % du territoire palestinien ont été confisqués. 85 % de cette «barrière» passent à l'intérieur de la Cisjordanie et de Jérusalem Est et englobe 82 colonies juives établies illégalement.

22- «Le figaro», 20 juillet 2018.

23- Dominique Vidal, Joseph Algazy, «Le péché originel d'Israël», Éditions de l'Atelier, Paris 1998.

24- In : Norman G. Finkelstein, «Tuer l'espoir», Éditions Aden, Bruxelles, 2003, p27.

25- Avraham Burg, op cit...

26- Alain Gresh, «En quoi la Palestine est-elle le nom?», Éditions, les liens qui libèrent, Paris, 2020, p16.

27- Norman G. Finkelstein, «L'industrie de l'Holocauste», op cit, p78.

28- In : Alain Gresh, op cit, p168.