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Sommet européen: L'impasse irlandaise

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

Aucune des deux parties du «divorce» ne veut céder sur ses intérêts économiques et financiers. L'UE comme la Grande-Bretagne se son quittées, jeudi à Bruxelles, dos à dos. Un «no-deal» n'est plus exclu.

Angela Merkel d'Allemagne, Emmanuel Macron de France, Louis Michel de Belgique et bien d'autres chefs d'Etats et de gouvernements européens déclaraient à la fin du Sommet de l'Union européenne de mercredi et jeudi derniers qu'ils croyaient encore à un accord pour le «Brexit» tout en craignant le spectre d'un «No deal», soit pas d'accord. Les mêmes répétaient par ailleurs, chacun pour son pays, qu'ils ont une sorte de plan «B» en cas de No deal. Autrement dit, la résistance de la Grande-Bretagne face au reste de l'Europe demeure inébranlable comme l'avait annoncé la Première ministre britannique au lendemain du référendum sur le Brexit le 23 juin 2016. Hormis les questions techniques et juridiques, comme dans le divorce dans un couple, les deux parties s'étripent depuis sur qui héritera de plus de biens et qui paiera à l'autre une confortable «pension alimentaire». La Belgique estime, selon la déclaration de son 1er ministre, ses pertes en cas de non-accord à la date butoir du prononcé du divorce à quelque deux milliards d'euros/an et la perte d'environ 22.000 emplois. La France perdra cinq fois plus, l'Allemagne autant, etc. Ainsi va la négociation entre la Grande-Bretagne et le reste de l'Europe depuis plus de 2 ans.

Et la Grande-Bretagne ? Après avoir évalué ses pertes en termes financiers d'environ 10 milliards d'euros, hors frais de divorce, elle estime rattraper ces pertes très vite dans les années qui suivent la séparation avec le reste de l'Europe.

Du coup, dans cette histoire de Brexit tout le monde laissera des plumes à des degrés divers. Cependant, dans la stratégie de négociation les deux parties jouent gros politiquement parlant sur la délimitation de la frontière qui les séparera : l'Irlande du Nord. L'Union européenne estime que l'Irlande du Nord devrait continuer à faire partie du marché commun de l'UE, alors que la Grande-Bretagne oppose un niet, considérant cette option comme un «viol» de son territoire national. Theresa May, la Première ministre craint que si elle lâche sur la question irlandaise, elle se retrouverait de nouveau face à une revendication d'indépendance de l'Ecosse, l'autre territoire constituant la Grande-Bretagne. L'UE comme la Grande-Bretagne se cabrent sur la question irlandaise et toute possibilité d'un accord consensuel sur le Brexit semble vouée à l'échec.

Devant cette impasse d'ordre stratégique pour la Grande-Bretagne, les techniciens des négociations de l'UE laissent entendre qu'il faut une prolongation au-delà du 23 mars prochain, date butoir du prononcé du divorce. Une période transitoire qui pourrait durer une ou deux années encore pour permettre une séparation à moindre frais pour tous. Malheureusement, période transitoire ou pas, l'Irlande du Nord ne changera ni de continent ni de frontières à l'intérieur de la Grande-Bretagne. Les gouvernants européens le savent et se préparent à encaisser, autant que la Grande-Bretagne, les contrecoups de la séparation.

Et voilà chaque pays de l'UE calculant de son côté les pertes et profits du Brexit et déployant depuis le lendemain du référendum britannique du 16 mars 2016 des stratégies en termes d'offres aux futurs «exilés» du Brexit, entreprises, banques, laboratoires de recherches etc. A qui offre les meilleurs conditions fiscales, de mobilité et sites d'accueil. Beaucoup d'entreprises en tout genre ont déjà quitté la Grande-Bretagne pour s'installer dans le reste de l'Europe, principalement en Belgique, France et Allemagne. Mais le plus gros des «transferts» de sièges et fortunes d'entreprises examinent les offres, comparent, évaluent avant de décider du lieu de leur installation.

Cette situation crée une autre zizanie au sein de l'UE par la surenchère entre les Etat membres. Autrement dit, le Brexit n'est pas qu'une épreuve entre l'UE et la Grande-Bretagne, mais aussi une autre épreuve concurrentielle entre le reste des Européens. Dans les conditions actuelles, la proposition anglaise de préserver un «marché commun» après le divorce semble être la perspective logique, compte tenu de l'imbrication des économies libérales européennes et de l'évolution du marché mondial de manière générale (mondialisation). Le reste des conséquences du Brexit sur les autres questions, telles la circulation des personnes, la défense commune européenne ou la diplomatie commune, sont réglables ou en voie de l'être.

A la fin des débats de ce Sommet, UE comme la Grande-Bretagne se sont quittées comme au lendemain du référendum sur le Brexit : avec la conviction que ce divorce laissera des regrets aux deux parties et aussi beaucoup de rêves brisés en raison de questions financières et de confort de biens. Comme dans un divorce classique qui tourne mal.