Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Saint Augustin, l'Algérien (1ère partie)

par Omar Merzoug

L'Occident, chrétien ou non, doit tant à Augustin, l'Algérien, qu'il est impensable sans lui. Philosophe, théologien, bibliste, évêque, commentateur et exégète des « saintes Ecritures », Augustin marqua d'une trace indélébile la culture et la civilisation occidentale.

Codificateur du «péché originel», on l'affubla du sobriquet de «Docteur de la Grâce» si bien qu'il fut le porte-parole du catholicisme. A ce titre, il soutint de furieuses polémiques contre donatistes1 et pélagiens2. Il est de surcroît l'initiateur d'une tradition littéraire dont Jean-Jacques Rousseau est le plus beau fleuron. Augustin connut une renaissance éclatante au XVIIe siècle: la publication du livre de Jansénius3, l'Augustinus soulèvera de retentissantes controverses. D'illustres représentants de la littérature et de la pensée françaises, Pascal, Malebranche, Antoine Arnauld, et d'autres se sont réclamés de lui. Les traités d'Augustin posent de redoutables problèmes au philosophe, mais aussi au théologien. C'est seulement en se fondant sur les événements de sa vie que l'on peut comprendre sa pensée, tant son œuvre et sa vie paraissent inextricablement liées. Il mourut, le 28 août 430, à l'âge de soixante-seize ans, dans une Hippone (Annaba) assiégée par les Vandales, après avoir produit une œuvre considérable dont les Confessions et la Cité de Dieu sont les titres les plus connus.

Depuis la disparition de l'Afrique chrétienne, au VIIe siècle, l'intérêt pour ce qu'elle fut, pour ses productions culturelles, au sens large du terme, s'est déplacé du sud vers la rive nord de la Méditerranée. Ce sont les études occidentales, surtout, qui couvrent ce champ et ce, dans tous les domaines du savoir, philosophie, religion, archéologie, histoire. C'est en Occident, non en Orient, qu'on se préoccupe de l'augustinisme et que l'augustinisme a eu une postérité considérable. Même si un récent colloque a été, récemment, consacré à Augustin, en Algérie, colloque qui donna lieu à la publication, en langue arabe, des contributions des sommités des études augustiniennes, rassemblées en deux volumes, il y a peu d'Algériens musulmans qui se sentent interpellés par le passé préislamique de l'Afrique du Nord. La figure d'Augustin, né à Souk-Ahras (alors, Thagaste), brillant sujet au demeurant, puisqu'il fut le Père le plus célèbre de l'Eglise et l'une des voix les plus singulières de l'Occident, ne semble pas retenir leur attention. Il n'empêche qu'il appartient au patrimoine culturel algérien et c'est à ce titre que nous partons, en quelque sorte, sur ses traces.

Théologiens et philosophes exceptés, nul ne consulte, aujourd'hui, ses textes, à part peut-être les Confessions, son livre le plus célèbre et le plus accessible. Quant aux traités théologiques, aux œuvres polémiques, ceux qui ont le courage d'en pénétrer le maquis sont de plus en plus rares dans un Occident fortement sécularisé.

C'est dans une Afrique, en grande partie latinisée, à une époque troublée que commence l'itinéraire d'Augustin. En effet, au IVe et Ve siècles, l'empire romain affaibli, se décompose sous le poids de ses dissensions internes et des invasions des Barbares. En 395, à la mort de Théodose 1er dit le Grand4, la scission de l'Empire est presque inscrite dans les faits. Malgré toutes ses victoires, Théodose n'a pu l'enrayer, il n'a fait qu'en retarder l'échéance. Cette décomposition s'opère sur fond d'intrigues, de brigues, d'assassinats, de querelles intestines, de soulèvements et de révoltes. Ce sont les deux fils de Théodose qui, après sa mort, sont aux manettes: Arcadius gouverne l'empire romain d'Orient et Honorius la partie occidentale de l'empire. En 410, un événement considérable a lieu: le 24 août de cette année-là, les Wisigoths, menés par Alaric, s'emparent de Rome et la pillent, au milieu de l'anarchie générale. La «Ville éternelle», mise à sac, par les Barbares, ce fut un traumatisme considérable dont nous retrouvons l'écho dans les sermons d'Augustin: «Des choses horribles, dit-il, nous ont été racontées : il y a eu des ruines, des incendies, des rapines, des meurtres, des tortures. Cela est vrai, nous l'avons entendu maintes fois, nous avons gémi sur tous ces malheurs, nous avons pleuré souvent et c'est à peine si nous avons pu nous en consoler»

C'est donc à une époque de décadence qu'est destiné à vivre Augustin. De là à prétendre qu'il y a entre ces troubles sociaux et politiques et l'itinéraire tourmenté des rapports, c'est possible, mais on ne saurait l'affirmer sans examen préalable. Quoiqu'il en soit, Augustin n'a jamais renié son appartenance à la Numidie5, quoique toute sa culture soit latine. Il reçut de la terre algérienne deux caractères qui se retrouvent, à des degrés divers chez nombre d'Algériens, la vivacité de l'esprit, l'enthousiasme et la hargne mais aussi un tempérament impétueux, porté aux excès. Il fut un enfant plein d'alacrité qui subit l'épreuve de la scolarité comme une souffrance. Il n'aimait pas, en effet, l'école à laquelle il préférait de loin le jeu (delectabat ludere). « Je fus envoyé à l'école pour y apprendre à lire. Je ne comprenais pas l'utilité de ce travail pour mon malheur et cependant si j'étais paresseux à apprendre, j'étais châtié. Les personnes d'expérience approuvaient cette sévérité» (Confessions, 1). A l'époque d'Augustin, le magister primus, le maître de l'école primaire, véritable épouvantail, sévissait, armé de la fameuse baguette dont les écoliers dissipés subissaient les coups. Augustin en était qui abhorrait l'école, surtout l'étude de la langue grecque. «Je ne pouvais me résoudre à aimer l'étude et j'étais indigné qu'on m'y forçât [?] Quelle était donc la répugnance que j'avais alors pour les lettres grecques où j'avais été exercé dès ma plus tendre enfance, c'est ce qu'aujourd'hui même encore il m'est difficile de comprendre» Il était, comme le sont beaucoup d'Algériens, épris de liberté, n'aimant rien moins que les servitudes et les corvées. Espiègle et astucieux, Augustin avait l'intelligence déliée et l'esprit pénétrant.

Il était venu au monde le 13 novembre 354 à Thagaste, d'un père païen, Patricius, et d'une mère chrétienne, Monique. Thagaste était alors un bourg enseveli dans ses montagnes et ses forêts d'yeuses. Située sur la Medjerba, (Bagradas), Thagaste avait été élevée au rang de municipe (c'est-à-dire de commune de plein exercice) sous le règne de Septime Sévère6. Les habitants de Thagaste étaient fiers de leurs thermes, de leurs basiliques, de leur curie. Bien que ce bourg ait été commercialement actif, il subissait la victorieuse concurrence de la ville de Madaure, située à environ 30 km, plus au nord. Petit propriétaire terrien, Patricius, le père d'Augustin, était un notable de Thagaste. Il possédait des vignes et des vergers et entretenait une certaine domesticité, les fils de Patricius avaient un précepteur, un esclave chargé de veiller à leur surveillance comme les enfants de bonne famille ont une nourrice.

De surcroît Patricius appartenait à l'ordre des décurions (magistrats municipaux) au très splendide conseil municipal de Thagaste (splendidissimus ordo Thagastensis) comme le révèle une inscription qui existait encore au début du XXe siècle.

Le paganisme de Patricius était une croyance manifestement attiédie. Païen par conformisme social, il l'était aussi par prudence. A cette époque, on ne savait qui, du christianisme ou du paganisme, sortirait vainqueur de ce conflit des religions, même si depuis la conversion de Constantin au christianisme, le paganisme perdait progressivement du terrain. Patricius se convertira peu avant sa mort au christianisme sous l'influence de Monique sa femme que l'Eglise canonisera plus tard pour sa dévotion exacerbée et son rigoureux ascétisme. Augustin ne reçut pas le baptême à la naissance. Par tradition, l'Eglise chrétienne d'Afrique préférait reculer ce sacrement le plus longtemps possible, car on croyait alors que les péchés postérieurs au baptême étaient d'une plus profonde gravité que ceux qui étaient commis avant.

A suivre

Notes:

1 Nom donné aux partisans de Donat, évêque des Cases-Noires, en Numidie, qui s'était élevé contre le fait qu'on acceptât, à la communion, les «traditeurs», c'est-à-dire les chrétiens qui avaient accepté, pendant la persécution de Dioclétien, empereur romain, mort en 313, de livrer leurs livres et leurs vases sacrés pour être détruits par les païens.

2 Pélagiens, sectateurs de Pélage, hérésiarque (chef d'une secte hérétique), né en Angleterre dans la seconde moitié du IVe siècle, son véritable nom étant Morgan (dont le sens est « maritime» en langue celtique). Il commença vers 405 à répandre ses thèses sur la liberté et la dignité de l'homme ainsi que sur son refus du «péché originel».

3 Jansénius, évêque d'Ypres (Belgique), il produisit une doctrine théologique réputée nommée Jansénisme dont les principes figurent dans son livre imprimé en 1640 intitulé l'Augustinus et qui voulait substituer Augustin à Aristote, alors très prisé par les scholiastes.

4 Théodose 1er Flavius dit le Grand, empereur romain né en Espagne en 346, mort non loin de Milan le 16 janvier 395. Il divisa l'empire entre ses deux héritiers, Arcadius (383-408) à qui il confia la gouvernance de la partie orientale de l'empire tandis qu'échut à son frère Honorius (384-423) la partie occidentale de l'empire.

5 La Numidie fut un royaume indépendant puis province romaine de l'Afrique. Elle correspondait grosso modo aux dimensions de l'actuelle Algérie.

6 Septime Sévère (Lucius Septimus Severus), empereur romain (146-211)