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L'exil en guise de linceul

par Moncef Wafi

Deux événements. Deux destins. Tragique pour l'un, politique pour l'autre mais qui convergent pour dénoncer la mal-vie et le désespoir des jeunes d'Algérie. Les harraga disparus au large de la Sardaigne et les assurances de Hamel sur la coopération de la police algérienne pour le rapatriement de nos sans-papiers teutons reflètent outrageusement la situation d'une jeunesse écartelée entre envie de réussite et horizons bouchés. Au centre de ces deux informations, des destins brisés, des familles décomposées, des espoirs trahis et au bout l'exil amer et dangereux ou le retour dans un cercueil, pour les plus chanceux.

Aborder le sujet des sans-papiers, les boat-people qui partent des plages de Annaba, Témouchent ou Oran équivaut à un exercice d'introspection de tout un peuple appelé à des réflexions sur les raisons qui poussent des milliers d'Algériens à risquer leur peau pour un ailleurs moins oppressant. Si l'Eldorado était hypothétique, un certain temps, les candidats à l'exil savent que là-bas il fait très froid dans les rues et les cœurs. Pourtant, ils tentent leur chance quitte à rencontrer leur Créateur en cours de mer. Malgré l'arsenal répressif ou les primes à l'Ansej, les jeunes préfèrent plutôt jouer à la roulette russe, misant toute une vie sur une traversée où il n'est nulle part mentionné «satisfait ou remboursé».

Un pari avec la vie. La mort. Pour fuir un pays vorace, mangeur de ses propres enfants. Au bout du bout et comme seul trophée un exil forcé, une vie de clandestin, une peau de paria et un statut d'apatride. L'Europe n'est plus bienveillante, la France encore moins avec des caricatures comme Ménard ou Zemmour. Non, il ne fait plus bon vivre nulle part si on est Algérien, sans-papiers, ne possédant ni bien immobilier à Paris ni compte offshore. Si on n'est pas fils de diplomate ou fille de ministre. En Algérie, on reste conditionné par son lieu de naissance, son nom sans connotation au pouvoir, ses origines rurales sans attaches avec Alger et on devient une statistique dans un quelconque ministère.

Les opportunités d'affaires et de carrière, c'est pour les autres : les privilégiés du système. Sinon le choix est simple : essayer de survivre, s'acheter un litre d'essence, rejoindre Daech et compagnie ou payer sa place sur le radeau de la dernière chance. Une fois débarqués en territoire ami, les rafles policières, les centres de rétention et un pied dans le derrière. On rappelle que le nombre des Algériens expulsés d'Europe a atteint un seuil effrayant avec 7.835 personnes en 2015. Houari Kaddour, le secrétaire national chargé des dossiers spécialisés de la LADDH, avait condamné la façon «inhumaine» de la déportation et des mauvais traitements subis par les Algériens, encouragée par le silence des autorités algériennes.