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Importations: Comment le gouvernement a tenu tête au lobby automobile

par Abed Charef

Ramener les importations de véhicules de sept milliards de dollars à moins d'un milliard : le gouvernement a réussi une véritable prouesse. Peut-il la rééditer ?

Sur un dossier, un seul, le gouvernement algérien a fait preuve d'une fermeté étonnante. Malgré les pressions, les coups bas, les risques de dérégler un marché déjà fragile, l'exécutif a refusé de plier sur le dossier des importations de véhicules. Pour l'année 2016, un plafond de 150.000 été fixé, avant d'être ramené à 80.000. Quitte à revoir ce chiffre plus tard, ce seuil a été décidé de manière autoritaire. « Scellé et non révocable », aurait-on dit en d'autres temps. On est loin, très loin, des 568.000 véhicules importés en 2012. Même s'il faut tenir compte des véhicules en stock, et ceux montés localement mais achetés en kits, le nombre de véhicules est divisé par sept. Un chiffre inimaginable dans d'autres pays. L'objectif est aussi de ramener les importations au-dessous du seuil du milliard de dollars, contre près de sept milliards de dollars en 2012.         Les importations de véhicules avaient dépassé les céréales et les médicaments, pour devenir le premier poste d'importation. En ajoutant la pièce détachée, le carburant et les lubrifiants, la facture dépassait allègrement les douze milliards de dollars.

Ces importations s'étaient emballées, emportées par l'euphorie d'un baril au-dessus de 100 dollars et de hausses salariales d'une ampleur inégalée. Entre 2011 et 2014, de nouvelles catégories sociales ont enfin pu accéder au marché automobile, dans un pays qui venait de dépenser une fortune pour se doter d'une autoroute.

Tenir bon

Depuis, les choses ont évolué. Dans le mauvais sens. Le baril a perdu les deux tiers de son prix. Les réserves de change ont commencé à fondre, et le gouvernement a sagement admis que la facture automobile est devenue insupportable. Il a donc lancé une sorte d'opération kamikaze, pour ramener les choses à la dimension de l'Algérie. Mieux, le gouvernement a fait preuve d'une audace incroyable. Bien sûr, il a réagi à l'ancienne, par l'interdit. Il n'a pas anticipé, pour mettre en place des mécanismes modernes, en agissant sur l'impôt, le taux de change, les taxes douanières, pour décourager progressivement les importations, et leur substituer une production locale. Cela, c'est trop compliqué pour lui, même si le gouvernement tente de se rattraper, en confiant à des bureaucrates et à des hommes discrédités le soin de relancer la production industrielle.

Mais toujours est-il que l'exécutif a tenu bon, face à des concessionnaires automobiles qui constituent un redoutable lobby. Il suffit de rappeler l'épisode des cahiers de charge, et comment les concessionnaires ont fait pression pour l'amender ou l'abolir au printemps 2015, pour mesurer leur puissance. Cela n'a toutefois pas découragé l'exécutif, qui s'est accroché à ce plan de bataille, et a réussi à imposer ses propres règles.

Transparence

La méthode utilisée est assez simple. La décision est annoncée longtemps à l'avance, pour que tout le monde ait le temps de se préparer. L'introduction des licences a été annoncée par l'ancien ministre du Commerce, M. Amara Benyounès, plus d'une année avant leur entrée en vigueur. Il faut ensuite fixer des règles, publiques et transparentes, et s'y accrocher. Sans concessions. Sans céder d'un pouce. Sans donner prise à l'adversité. Et puis, tenter de trouver, dans la phase d'exécution, des équipes compétentes, et, surtout, non impliquées dans les affaires. C'est une condition centrale pour préserver la crédibilité de la démarche. Est-ce un hasard ? Peut-être parce qu'ils étaient inattaquables sur leurs dossiers respectifs : l'ancien ministre du Commerce Amara Benyounès a été attaqué dans une affaire liée au commerce du vin, et son successeur a été accusé, à tort, d'avoir autorisé l'importation de la viande de porc. C'est dire à quel genre de coups bas on doit s'attendre quand on se lance dans de pareils défis!

Elargir la démarche

Il reste à savoir si cette démarche peut être élargie à d'autres secteurs, et si elle peut réussir. Pour l'importation des véhicules, l'opération a été possible parce que le produit en question n'est pas un produit de base. Elle serait donc impossible à concrétiser s'il s'agissait de blé, de lait ou d'huile.

En se lançant dans cette aventure, le gouvernement a aussi admis qu'il va s'aliéner un lobby, mais un seul. Il sacrifie donc, momentanément, un seul de ses appuis.

Il peut le faire, en concentrant tous ses efforts vers un seul objectif. Mais il ne peut le faire s'il s'attaquait à plusieurs fronts à la fois. Il ne peut pas laisser tomber de nombreux lobbies en même temps : il saperait sa propre base sociale. Il ne trouverait même pas les équipes nécessaires pour l'accompagner dans cette nouvelle démarche. Mais le principal handicap est ailleurs. Vouloir réguler le marché automobile, celui des médicaments, de l'électroménager, des produits alimentaires, etc., signifierait que le gouvernement décide d'adopter une véritable politique économique, qui inclurait tous les secteurs d'activité. Il n'a ni la volonté politique, ni les appuis politiques pour se lancer dans une telle aventure, ni la compétence technique et managériale pour le faire. Pour prétendre réguler toute l'économie, il faudrait qu'il y ait un vrai pouvoir, qui ait une véritable démarche politique et économique. Ce n'est pas le cas. A charge, pour le gouvernement, de prouver le contraire.