Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Christiane Taubira : Daech, la déchéance de la nationalité et l'islamophobie

par Yazid Alilat

La garde des Sceaux française Christiane Taubira a confirmé la forte relation de coopération entre l'Algérie et la France, en particulier dans le domaine de la justice. «La coopération entre la France et l'Algérie est excellente, de qualité », a-t-elle déclaré hier mardi à la radio nationale. La ministre de la Justice fran- çaise a expliqué qu'elle a dis- cuté avec les autorités algériennes, en particulier avec son homologue Tayeb Louh de plusieurs dossiers, dont celui des moines assassinés de Tibhirine, du touriste français Hervé Gourdel tué par un groupe affilié à Daech en Kabylie et d'In Amenas (attaque de Tiguentourine). Elle a ajouté que « notre coopération repose sur des textes, l'entraide pénale notamment, sur deux systèmes judiciaires, nous avons une culture commune », explique-t-elle, avant de relever que c'est « une coopération de grande qualité, comme les jumelages entre les cours des deux pays. Nous avons toutes les raisons de nous féliciter de cette relation ». En prévision de la tenue à Alger en février prochain de la haute commission mixte algéro-française, Christiane Taubira a indiqué avoir « signé avec M. Louh le renforcement de notre coopération judiciaire dans le domaine de la recherche juridique », estimant qu'il y a « nécessité de rendre plus actuels les textes de notre coopération. En février, on va acter l'avancée de notre coopération ». Sur la lutte commune contre le terrorisme, la ministre française estime que Daech, « dispose d'un territoire, de moyens considérables, de ressources naturelles et de moyens financiers importants. L'Algérie a tiré expérience en matière de lutte contre le terrorisme. Celui que nous connaissons aujourd'hui contient des résurgences que l'Algérie a connues, mais il y a une nouvelle méthode et capacité de terreur et de domination sans précédent. Nous sommes décidés à travailler ensemble, c'est pour cela qu'on se retrouve à l'ONU. La France a demandé à ne pas payer les rançons, une position que l'Algérie partage, ainsi que le gel et la confiscation des flux financiers qui appartiennent au terrorisme. Nous coopérons dans ce domaine », a confirmé la ministre française. Sur la recommandation des Nations unies de ne pas payer de rançon aux terroristes et donc de ne pas financer le terrorisme, Taubira a souligné que « les Etats qui paient les terroristes ne le font pas pour le financer. Il y a l'adoption de la résolution de l'ONU de ne pas contribuer au financement du terrorisme, mais aussi de le bloquer et cela vaut pour chaque pays de tenir ses engagements par rapport à la résolution, mais aussi par rapport aux autres pays », explique-t-elle. Et, « si les pays ne l'acceptent pas, les mécanismes de l'ONU entreront en fonction », menace-t-elle avant d'insister sur le fait que « les pays ayant adopté cette résolution sont engagés vis-à-vis d'eux mêmes et de la communauté internationale. »

Par ailleurs, la ministre française de la Justice a indiqué, après les actes islamophobes qui avaient suivi les attentats terroristes de janvier dernier que face « à la montée d'actes contre les musulmans (...) nous avons réagi très vite. J'ai demandé aux parquets et aux procureurs la plus grande réactivité, la plus grande fermeté contre ces actes-là. J'ai émis une circulaire à cet effet ». Elle a reconnu que « nous avons atteint une centaine d'actes par jour », mais les réactions des services de police et de la justice, selon elle, « ont conduit à tarir ces actes (islamophobes, Ndlr) au bout de trois semaines ». « J'ai fait une circulaire pour lutter contre la discrimination, le racisme et l'islamophobie », a-t-elle expliqué, notant la mise en place de circulaires pour « une réactivité très forte ». « Après les attentats de novembre, on a constaté à moindre échelle qu'il y avait des actes contre les lieux de culte musulmans et on a demandé à ce que ces actes soient considérés comme des délits », affirme-t-elle avant de s'attaquer directement au parti franchement anti-musulman, le Front National. « Certaines parties en font une exploitation politicienne.

Il y a des personnes qui sont racistes, anti-musulmanes, xénophobes, il y a du cynisme et un calcul électoral. La nation française est constituée de citoyens d'horizons divers, mais il y a des personnes fausses, des imbéciles », clame-t-elle. Elle ajoutera que « notre combat est pour la citoyenneté, la légalité et on doit faire en sorte que cette conviction soit une réalité, que l'éducation pour tous soit de qualité, qu'il n'y ait pas de discrimination pour l'accès à l'enseignement, à la responsabilité. Il y a à travailler contre ces exclusions, mais pour l'inclusion sociale », et « chaque citoyen français doit être considéré en tant que tel, il faut qu'il sente qu'il fait partie de la société. »

Sur la demande de déchéance de la nationalité pour actes terroristes ou appartenance à des réseaux terroristes, Christiane Taubira a relevé que « la déchéance de la nationalité est un sujet qui va s'étendre dans la législation française, le code civil en parle. Elle peut se faire, mais à un certain nombre de conditions, il faut qu'il y ait des actes graves, cela existe dans le code civil. Cela fait débat. Pour ma part, c'est une décision qui ne peut être efficace dans la lutte contre le terrorisme », estime-t-elle en ajoutant que « ce n'est pas une mesure probante pour lutter contre le terrorisme. Le sujet peut être en débat, je suis d'accord pour que ce soit un sujet très sensible. Mais, déchoir de la nationalité des personnes françaises pose un problème au droit du sol sur lequel je suis profondément attachée. Le droit du sol est un pilier fondamental », affirme la garde des Sceaux française.

Sur la déradicalisation et le fait que des « Européens rejoignent les groupes terroriste », elle estime que « c'est un problème. Le terrorisme est une monstruosité qui exploite les jeunes, donc la lutte doit être sans états d'âme, ferme et sans nuance ». « Par contre, il nous faut gagner la bataille du recrutement, il faut que Daech ne puisse pas séduire ces jeunes, et travailler sur les logiques de radicalisation ». Pour elle, « il faut faire en sorte que ces jeunes ne soient pas vulnérables et que la société leur offre des perspectives plus stimulantes que ces promesses de tueries, de mort. On ne peut déduire que la jeunesse d'Europe, du Maghreb, d'Amérique, d'Asie soit fascinée par la promesse de mort et non pas de vie. »