Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Quelle transition démocratique pour quelle Algérie ?

par Faycal Houma

La problématique posée mérite une étude approfondie, circonspection, vu l'importance du sujet.

Toutefois, pour décoder cette problématique et avant d'analyser le mode opératoire de la transition démocratique, il est nécessaire, voire primordial, pour l'élite militante de comprendre sa fonction d'abord et de se rappeler l'essence même de la démocratie et ce qui entrave sa réussite en Algérie. Aussi, est-il toujours utile de réitérer la manière dont elle s'est construite et de décrypter les raisons qui empêchent son émergence. Il s'agirait d'une autopsie profonde, rationnelle avec un mode opérationnel pratique pour pouvoir réussir une gestion démocratique de la cité en transitant d'une gouvernance anachronique, totalitaire, clanique et centralisée à une gouvernance politique culturellement démocratique et décentralisée permettant ainsi l'émergence de l'esprit citoyen. A cet effet, une entreprise de construction démocratique menée par une élite doit voir le jour en ayant un cap horizon, une direction, avec un cahier des charges ou l'opposition et l'exécutif s'alternent, appuyés par une société civile contribuable dans tous les projets de la collectivité concomitante.

La fonction de l'élite, des civilisateurs à l'assaut de la modernité, un préalable incontournable pour une pratique démocratique. Il s'agit de l'élite sur le terrain investie du mandat de persévérer, d'instruire, d'élever, d'émanciper, d'enrichir, de secourir. La mission des civilisateurs est de mener les citoyens à un modèle de vie et de consommation conforme à leurs espérances, et connecté aux besoins et priorités de l'Etat. L'Algérie a fait sa révolution populaire guidée par une élite, elle est soumise à cette même loi pour mener sa révolution vers le changement. L'environnement va mouler ensuite le comportement de l'homme dans des modèles qu'il choisira pour la beauté, la qualité, la finesse, l'efficacité, la ressemblance avec des modèles des sociétés du monde. Son comportement se transformera à l'aura de cet univers et ses attitudes primaires empreintes de ruralité disparaîtront progressivement.

La démocratie n'est pas, contrairement à ce que décrivait l'écrivain et philosophe J.J.Rousseau, « immanente à l'ordre naturel ». La démocratie est l'émanation d'une opération de diffusion-répartition, entreprise par une élite éclairée et très ancrée dans la culture de sa population, procédant intelligemment et sans provocations inutiles en démystifiant les inerties dues à une certaine culture rétrograde, engrangée durant des siècles, en souscrivant à des étapes à suivre pour obtenir le résultat souhaité: l'acceptation de l'autocritique, l'ouverture sur le monde, et en étant convaincu que notre gagne-pain est issu du sol et de la terre que nous habitons.

Oui, le sol où nous vivons est notre espace qu'il s'agirait de rendre convivial, protecteur et prospère pour l'ensemble de nos concitoyens, rendre l'Algérien propriétaire de ces terres et de tous ces biens immobiliers. Point de propriété « bien vacant », une expression qui signifie « un bien libre et inoccupé » mais une politique permettant de créer l'attachement à la terre et par-dessus tout l'intéressement aux gestions des affaires communes. Ainsi, on affaiblit le déplacement incessant qui ne génère ni la pensée ni même des habitudes citadines au bénéfice de la cité.

L'homme qui se déplace ainsi n'a pas d'activités régulières, il ne crée pas et n'accumule pas de traditions, il ignore tout du travail organisé et assidu qu'on apprend seulement du sol qu'il exige tout au long de l'année. En effet, « le nomadisme agit sur le sol non seulement d'une façon numérique, du fait qu'une certaine partie de la population n'y est pas positivement fixée, mais il agit aussi psychologiquement : l'état du sol étant en partie le reflet d'une certaine psychologie sociale. Donc d'un point de vue technique, le problème du sol se greffe naturellement sur le problème de l'homme »*

L'errance des individus d'une même société entrave la création d'une société civile, responsable des affaires communes et orientée vers un idéal commun. Le problème des problèmes demeure bel et bien l'homme, « Allah ne change rien d'un peuple que celui-ci n'ait, au préalable, entrepris la transformation de son âme».

Ceci dit, le déplacement récurrent ou l'effet migratoire à l'intérieur comme vers l'extérieur sans idéal ni but est une sorte de nomadisme (al-badw) en costume cravate, tee-shirt, etc. C'est le subconscient des individus qui s'exprime au quotidien sous le nouvel aspect de la civilité. La culture nomadique est d'abord et par essence même un esprit de transhumance, de déplacement incessant, « Or, écrit Ibn Khaldoun, c'est là l'antithèse et la négation de la sédentarisation qui produit la civilisation ».

Le nomade sous l'ancienne image ou sous sa nouvelle forme comme aujourd'hui, les allures et les habits ont certainement plus ou moins changé mais le fond est resté le même, croient naïvement et sans se rendre compte à l'image de leurs aïeux qui n'ont pas à l'origine demandé leurs nourritures au sol mais à la bête. Une population atomisée en individus, ignorant l'entraide, ne croit pas aux espaces communs, comme elle ignore l'efficacité et la rigueur du travail bien fait. Néanmoins, elle pratique l'hospitalité, honore la générosité, aime la vanité, la poésie et le cheval (aujourd'hui, la voiture) et épouse la paresse sociale.

Cependant, en poussant l'analyse plus loin, le remède qu'on voudrait concevoir malgré les entraves sociales pour résoudre le problème de la transition démocratique est de définir le modèle de société accepté par les Algériens. Une mission incombant à cette élite civilisatrice. Par qui elle doit parvenir à créer des milliers d'espace où il fait bon vivre ? Des espaces qu'on appelle jardins publics, agrémentés de fleurs, d'herbes folles, de plantes grasses, de jardins zoologiques, de cinémas de plein air, de théâtres, de terrasses et esplanades au sein desquels des enfants côtoient leurs pères et mères dans une ambiance festive et familiale chaude, généreuse. Une ambiance très conviviale marquée par les conversations autour du quotidien scolaire, universitaire, professionnel, domestique, sportif, culturel, de débats critiques sur notre quotidien, sur le film vu hier à la salle de cinéma ou sur la dernière pièce théâtrale?etc.

Tout cet environnement imprime l'individu algérien dès sa naissance et forme le cadre socioculturel dans lequel il évoluera. « La culture, note Bennabi, est le produit de cette ambiance ».

Ainsi, la vie ambiante culturelle qui doit s'extérioriser et s'exprimer pour la régénération de l'homme, est l'équation qu'il s'agirait de résoudre. Son but est l'organisation puis la naissance d'une société où le vouloir vivre ensemble est essentiel, « milieu ou chaque détail est un indice d'une société qui marche vers un même destin : l'infirmier, le cultivateur, l'éboueur, le forgeron, l'artiste, le savant, le politique, (?) mêlant leurs efforts » et « où toute faute de comportement tombe sous la contrainte sociale », mais aussi de ce que Bennabi appelle « l'élément de permanence ». C'est l'entité morale traduisant « le réseau des relation sociales », représentant le mur-rempart, assurant la stabilité à une société en lui permettant de perdurer et s'adapter aux situations les plus rocambolesques à travers l'histoire.

Une sorte de préalable d'un cadre programme politique qui ne peut se dissocier de la culture, sous peine de perdre à la fois sa fonction nationale et sa dimension universelle. Ajouté à cela, l'exigence de davantage d'efforts pour bâtir une nation, il s'agirait d'un cadre programme mené par une direction où tous les plans et projets soutenus par l'exécutif ou l'opposition s'alternent dans une symbiose sociale créant l'accumulation, le savoir?C'est-à-dire des traditions dans le mode de gouvernance et un orgueil pour les gouvernants et gouvernés à faire valoir la culture de leur propre peuple.

C'est alors qu'une deuxième étape interviendra et concernera le choix des modèles institutionnels. C'est dans la préférence des constructions des structures qu'il va s'intégrer selon des normes de modernité. Il n'existera plus pour lui un homme providence, mais des programmes politiques sur lesquels il votera et qui se concurrencent dans un cadre politique bien défini. Il n'attendra plus vainement que « viendront des hommes qui gouverneront » mais lui-même et ses pairs, pétris de qualité multiples, prendront leurs destins en mains. Des institutions dont la modernité leur permettra de traverser le temps sans encombre, résolument tournées vers l'avenir, qui traversera le siècle sans encombre et demeureront un exemple à suivre.

Au cœur d'un système éminemment démocratique piloté par des Conseils citoyens, une institution arbitre dans le pourtour de l'exécutif gouvernemental, un pouvoir judiciaire libre de pesanteurs et interférences de l'administration, le citoyen sera délivré des affres d'une politique suicidaire qui ne le représente pas.

A voir et à calculer les erreurs stratégiques de gestion par le pouvoir de la chute du prix baril d'or noir et ses répercussions internes, ou les inquiétants silences constatés lors des conflits nés du printemps arabe, il est impérieux de voir se réaliser rapidement le règne des civilisateurs. Qui contribuent brillamment à l'avancement des arts, qui font bonne science de l'enseignement scientifique et technologique. Il faut considérer l'Elite sur le terrain comme investie du mandat d'instruire, d'élever, d'émanciper, d'enrichir et de secourir les citoyens qui ont besoin de cette collaboration.

A cette complexité de construction de l'individu et par là, de la société ; des institutions fortes représentant l'Etat où aucune distinction majeure ne divise exécutif gouvernemental et opposition et faisant de la terre Algérie la propriété des Algériens.

LE CHOIX DES MODELES INSTITUTIONNELS

L'institution morale : une assemblée d'experts indépendants.

C'est ce choix qui va donner naissance aux Citoyens. L'institution morale ou arbitrage est le regard d'expert porté par l'intermédiaire d'une assemblée arbitrale composée de plusieurs personnes expertes désignées pour cette mission. L'arbitre est un véritable magistrat dont la décision éclaire les parties. L'arbitrage permet donc d'apporter des réponses scientifiques, technologiques, économiques, commerciales, sociologiques, sportives grâce aux experts qui composent dans toutes les institutions étatiques.

Cette culture de recourir à l'arbitrage présente certaines caractéristiques :

? il fait abstraction de toute considération subjective,

? il est discret, puisque la procédure d'arbitrage n'est pas publique, ce qui est un atout dans un certain nombre de domaines,

? il est rapide dans ses conclusions, puisqu'il est libre des lourdeurs de la bureaucratie d'État,

A quoi sert ce tribunal ? Un rôle consultatif. Les grands projets socio-économiques et politiques sont bien pensés et leur mise en œuvre sont réfléchis au sein des institutions.

Il faut savoir que l'Algérie a perdu des sommes colossales, du temps, sa crédibilité, à cause de projets économiques immatures, exécutés sans feuille de route, sans aucune expertise avant mise en œuvre? Les récents scandales du projet de l'autoroute Est-Ouest, des contrats d'armement, des pièces de rechange de la flotte aérienne et navale, des logements expliquent pourquoi il est nécessaire et indispensable de mettre en place cette structure indépendante.

LE CONSEIL CITOYEN NATIONAL

Allons plus loin dans la profondeur des transformations structurelles pour chercher quel est le meilleur modèle de Légitimation. Il nous semble que le schéma qui suit soit un prototype performant et représentatif de la majorité. C'est l'Assemblée citoyenne nationale qui remplace l'actuelle Assemblée populaire nationale et nommée le Conseil citoyen national.

L'ensemble des wilaya-régions procède au scrutin des membres qui vont être élus à l'Assemblée citoyenne nationale. Le mode de scrutin consiste en l'élection d'élus issus des Assemblées citoyennes de wilaya, dont le nombre est proportionnel au nombre d'habitants. C'est le calcul arithmétique qui va déterminer les quotas dégagés pour chaque wilaya-région.

Les populations seront ainsi représentées géographiquement parce que les élus en sont leur émanation.

Finis alors ces élus préfabriqués qui sont élus sur la liste truquée de la wilaya et de la commune et dont ils ne sont pas résidents.

On élira en conséquence la plus efficace et la plus méritante des associations, celle qui a donné le plus de satisfaction à la collectivité. Ses membres pourront ainsi s'élever au stade de l'Assemblée de wilaya et poursuivre leur ascension jusqu'au Conseil citoyen national.

Ainsi, en face de chaque appareil exécutif, il est institué un appareil de contrôle et de vérification, en l'occurrence l'Assemblée citoyenne.

Président de la méga-commune

Assemblée citoyenne communale

Président de wilaya-région    

Assemblée citoyenne de wilaya

Président de la République

Conseil national citoyen

Mode de scrutin

Qui est éligible? Les associations, les syndicats de la méga commune.

Ce nouveau cadre organisationnel aura un effet d'entraînement sur les citoyens qui vont soit adhérer à des partis de leur choix ou opter pour le mouvement associatif représenté à travers diverses professions et activités : pharmaciens, enseignants, commerçants, fonctionnaires, agriculteurs, propriétaires?.

Qui est éligible pour l'exécutif des communes? Les partis politiques avec leur programme.

Au total, ce sont seulement quatre scrutins qui sont proposés au citoyen pour donner naissance à cette superstructure institutionnelle garante de la participation des citoyens à la gestion de leur cité.

LE CONSEIL SCIENTIFIQUE

C'est une instance indépendante dans son fonctionnement, ses choix, ses délibérations et ses conclusions. C'est une structure qui regroupe un ensemble de compétences scientifiques nationales avérées, et dont la mission consiste en l'évaluation scientifique d'un projet. Cette mission est essentielle pour impliquer l'action et la méthode scientifique dans les opérations de développement. C'est sur ces hommes, issus de spécialités diverses et hautement élevées dans la connaissance que vont se décider les grands projets nationaux. De ce choix dépendront les niveaux de développement atteint par le pays, de la croissance attendue, des performances chiffrées.

LE CONSEIL SCIENTIFIQUE NATIONAL

Il donne un avis sur les grands projets nationaux présentés par le Gouvernement au plan de la faisabilité et de l'impact de ces projets sur les populations à court, moyen et long terme. Le Conseil scientifique existe également à l'échelle de la wilaya-région et à celle de la méga-commune.

a/ Au plan régional : la mission du conseil, à ce niveau de la hiérarchie institutionnelle, consiste à dire si oui ou non tel ou tel projet est propice à la région au plan de la rentabilité et des aspects liés à l'économie, au sport, à la culture? le diagnostic collectif de ses membres est nécessaire pour évaluer le projet avant son financement et sa réalisation en tant qu'opérations inscrites. Ce type de projet peut tendre par exemple à des impacts positifs entre les régions. Il peut s'agir d'une infrastructure qui profite à deux, trois ou quatre régions à la fois, comme une université, un stade olympique, un hôpital spécialisé, un port sec, une autoroute?

b/ Au plan communal :

Au niveau de la commune et connaissant les anomalies qui président à l'attribution des marchés, le conseil communal citoyen, saisit le Conseil scientifique communal pour que ce dernier donne son avis scientifique sur toute opération et ce qui l'intéresse au premier chef c'est de répondre à cette question :-est-ce que ce marché est bénéfique pour la commune ?

CRITERES DE CHOIX DES MEMBRES DES CONSEILS SCIENTIFIQUES

Etant donné les spécialités multidisciplinaires offertes et enseignées dans nos universités et pôles de compétence, les hommes et les femmes désireux faire parti de ces Conseils (National, régional et communal) s'organisent en association à vocation de Savoir et de Connaissance. Les opérations de vote pour désigner les membres de ces Conseils s'effectuent intra muros, c'est à dire entre spécialistes au niveau des :

Universités nationales,

Instituts supérieurs spécialisés,

Grandes écoles

Centres et organismes scientifiques

Bureaux d'études

Personnalités scientifiques avérées et reconnues comme telles au plan international

Au niveau de ces trois paliers, le Conseil scientifique apporte des réponses scientifiques, justes, cohérentes sans céder à l'influence ni à la passion d'une quelconque partie qui souhaite bénéficier du projet.

Pour aller au-devant de ses responsabilités historiques dans ses choix, le Conseil scientifique rend public ses délibérations .Ainsi, l'histoire jugera sur pièce les actes des uns et des autres quant à la qualité de gestion des bien publics.

Blocage des projets

Par exemple, il arrive que l'assemblée citoyenne communale et l'assemblée citoyenne de wilaya ne tombent pas d'accord sur l'avis émis par le Conseil scientifique concernant un projet de :

? réalisation d'une ligne électrifiée à haute tension,

? un barrage,

? une route communale traversant une forêt?

Regardons autour de nous et observons le désastre commis sur l'environnement, le tissu urbain, l'urbanisme, les terres agricoles quand les projets sont réalisés sans consultation d'aucune instance compétente. Le résultat est catastrophique à cause de la très mauvaise utilisation du territoire par la réalisation de:

? ces îlots de béton qu'on appelle logements et qui sont en fait des cités dortoirs,

? ces terres agricoles liquidées pour servir d'assiettes foncières à des projets industriels,

? ces éternels chantiers qui défigurent nos villes ?

Quand un scientifique n'est pas consulté ou saisi pour émettre un avis, le résultat est que le territoire subit un crime contre son équilibre.

Dans notre méthode, nous disons donc que l'avis scientifique sur un projet peut ne pas être pris en considération par l'exécutif communal ou de wilaya, ainsi que par les assemblées citoyennes. Il peut également ne pas être conforme avec les conclusions d'un programme du gouvernement.

Dans ce cas de figure, intervient alors en dernière instance le Conseil constitutionnel qui vérifie qu'au terme de deux séances plénières tenues et les raisons du refus évoquées sur procès-verbaux soit entre le :

- Le président de la commune et l'Assemblée citoyenne communale

- Le président de wilaya et l'Assemblée citoyenne de wilaya

- Le Premier ministre et le Conseil citoyen national,

Il n'y a pas de consensus autour du projet « untel », il va donner son quitus.

Le quitus est un document par lequel le Conseil constitutionnel valide ou ne valide pas tel ou tel autre projet.

Dans tous les cas de figure, le projet, l'avis du Conseil scientifique et la délibération du Conseil constitutionnel sont rendus publics, transcrits sur des registres officiels de la République.

Ces résultats doivent également être publiés sur la presse locale et le site web des méga-communes, des wilaya-régions et du Conseil national citoyen. Des cas de blocage peuvent faire l'objet de jurisprudence dans d'autres parties du territoire et les conclusions sont rapidement élaborées.

Conclusion :

La commune sera une plateforme d'émancipation politique et économique aux mains des citoyens dont ils impriment les modèles de développement acceptés de tous dans un espace transparent qu'ils auront façonnés.