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A propos de l'accord d'association: passé, présent et avenir - Genèse d'un accord pour une «perte de temps»

par Halim Benattallah *

Halim Benattallah a été le négociateur en chef de l'Accord d'association entre l'Algérie et l'Union européenne et ambassadeur à Bruxelles pendant plusieurs années. Cette contribution sur « l'Accord euro-méditerranéen, établissant une association entre l'Algérie et les Communautés européennes et leurs Etats membres », écrit-il, est présentée sur le mode « questions les plus fréquemment posées ». Huit questions récurrentes reviennent dans le débat public.

L'ouverture de négociations sur un Accord d'Association (AA) est une demande de l'Algérie. La décision a été prise suite à une visite de la Troïka de l'UE, à Alger, en juin 1993. Le gouvernement algérien a introduit la demande auprès de la Commission, en octobre 1993. Pour rénover les trois accords de coopération de 1976 liant l'Algérie, le Maroc et la Tunisie, l'UE avait proposé aux trois pays maghrébins de conclure un accord d'association, afin de passer à une vitesse supérieure de la coopération. Ce type d'accord dit de « nouvelle génération » intègre un volet politique et introduit le principe de la réciprocité dans les échanges commerciaux. D'autres chapitres de coopération comme celui portant sur la lutte contre le terrorisme, marque la séparation avec les anciens accords. Ce nouveau type d'accord se distingue, aussi par un changement de philosophie concernant la notion d'« aide » qui devient plus conditionnelle. Cette approche a, ensuite, été étendue aux autres pays de la rive sud de la Méditerranée, en 1995, dans la Déclaration de Barcelone, au lendemain des Accords de paix de Madrid sur le Moyen-Orient. La Tunisie a conclu l'Accord en 1995 et a anticipé la mise en oeuvre du volet commercial par la loi de finances. Le Maroc a conclu les négociations l'année suivante. Ces deux pays sont en ce moment en zone de libre échange avec l'UE. L'Egypte a, également, anticipé la mise en œuvre du volet commercial de l'Accord, sans même attendre que soient complétées les procédures de ratification par le Parlement national et par les Parlements européens.

En ce qui concerne l'Algérie, les négociations ont démarré en mars 1997. Elles ont été interrompues, quelques mois plus tard, mais les échanges de vue se sont poursuivis. Début 2001, décision est prise de reprendre et d'achever la négociation vers la fin de la même année. L'Accord rentre en vigueur le 1er septembre 2005. Au total, il y aura eu 25 rounds de négociations étalés sur 5 ans.

Dans sa démarche invoquant les «spécificités » de l'Economie nationale, l'Algérie a joué sur le temps. Elle a différé la reprise des négociations de près de 5 ans et a joué sur le délai de la mise en œuvre.                  La ratification de l'Accord est intervenue après que les parties européennes aient achevé leurs procédures parlementaires, soit un gain de temps de 4 ans environ. Elle a, aussi, fait reculer de 2 ans, la mise en application du désarmement tarifaire sur les produits industriels de la 2ème liste, fixée à 2007. Les dernières négociations techniques ont différé le délai de l'entrée en zone de libre échange, de 3 ans, à 2020 au lieu de 2017.

L'AA, UN DOSSIER AUX IMPLICATIONS COMPLEXES

Depuis la demande adressée, en octobre 1993 par le gouvernement algérien à la Commission européenne d'engager des discussions, jusqu'à l'aboutissement de l'Accord en 2020, c'est-à-dire la fin du démantèlement tarifaire, la période de transition-préparation aura pris presque 30 ans. La négociation pour l'adhésion à l'OMC dure, de son côté, depuis 30 ans, malgré des perspectives d'aboutissement, allant en s'amenuisant avec le temps. Précisons que les entreprises publiques et privées consultées ont demandé un délai de 5 ans de préparation, tout en insistant, sur l'amélioration de l'environnement de l'entreprise par l'Etat. La tactique « temps » a donc été poussée jusqu'à ces dernières limites.

Faisons remarquer qu'en moins de temps, des pays dits sous-développés ont fait un bond en avant en faisant l'effort de s'adapter à la globalisation. Tous sont membres de l'OMC. Ils pratiquent une autre perception du patriotisme économique. En général, ils prennent des options et ils s'y tiennent sur le long terme. Ils engrangent réussites et déboires, mais ne cumulent pas les échecs. Un pays comme le Vietnam a été décharné par 3 décennies de guerres contre la France et contre les Etats-Unis. Il s'est, néanmoins, relevé de ses cendres en peu de temps. Même Cuba, écrasé par l'embargo, exporte des produits et des services. L'Iran revient par la grande porte après avoir subi 2 guerres dévastatrices et un embargo occidental dur.

Notre « tactique » de perte (et non de gain) de temps s'est vue rattraper par? le temps. Notre justification de « décennie noire » a vécu. Nos tactiques temporelles qui prennent appui sur nos « spécificités » négatives, à savoir : les distorsions internes, auraient, plutôt, dû être converties en 3 valeurs positives: i) valeur travail, ii) cap de navigation fixe et discipline économique, iii) gouvernance économique stable, en accord avec ce cap sur le long terme.

C'est un dossier aux implications complexes. Il ne peut être réduit à des sentences sommaires. Sur le volet commercial de l'Accord, un bilan exhaustif est nécessaire. Des études économétriques poussées sont indispensables pour établir un bilan complet après 10 années de mise en œuvre. L'affichage de données brutes du commerce extérieur avec l'UE ne renvoie pas une image complète de la situation économique générale.

AIDES DE L'ETAT, CORRUPTION ET IMPRODUCTIVITE

Un véritable état des lieux de la mise en œuvre appelle un diagnostic de l'Economie nationale ainsi que des diagnostics, par branche industrielle. Il faut pouvoir mesurer l'exposition de l'entreprise à la concurrence étrangère ; élaborer des indicateurs permettant d'avoir une analyse fine des impacts, au niveau macroéconomique puis au niveau sectoriel, évaluer si l'entreprise algérienne bénéficie ou non d'une deuxième barrière de protection non tarifaire, mesurer l'impact des obstacles posés à nos entreprises par la réglementation ainsi que les effets de la corruption qui se répercutent sur le niveau de compétitivité de l'entreprise. Il faut évaluer l'impact des aides de l'Etat qui maintiennent nombre d'entreprises publiques dans une bulle et en accentue l'improductivité, évaluer l'impact de l'arrêt des réformes sur le climat des affaires ainsi que les méfaits de l'informel sur la pénétration des produits qui empruntent le couloir des préférences accordées dans le cadre de l'AA. Il s'agit, aussi, d'évaluer notre système de traçage des produits originaires, savoir si nous avons mis en place les procédures de contrôle, en application du protocole annexé à l'Accord sur les « méthodes de coopération administrative » et mesurer le degré de coopération effective avec les services douaniers européens. Savoir si le désarment tarifaire sur les matières premières et les demi-produits ont produit leurs effets, au bénéfice des producteurs nationaux. Savoir si les contingents sur les produits agroalimentaires n'ont pas été détournés de leur finalité pour créer des niches de rente, au détriment de la production nationale. Déterminer si l'Etat a «fait ses devoirs» et s'il a pris les mesures préalables nécessaires à une mise en application contrôlée de l'Accord. Et surtout savoir si le volet commercial n'est pas déconnecté de toute politique économique et s'il ne serait pas en train de tourner en roue libre?

LE DEVOIR DE GOUVERNANCE ECONOMIQUE

La complexité d'une évaluation globale est apparue lorsqu'une étude a été commandée à des experts européens : un modèle économétrique («modèle d'équilibre général calculable») décomposé en 13 branches industrielles a, alors, été fourni afin qu'il soit appliqué à l'analyse du démantèlement, à partir des données brutes des douanes (CNIS). C'était une première approche qui devait être, périodiquement, affinée. Cette mise à jour n'a pas été faite.

Un bilan de l'AA par des experts professionnels et étrangers serait un complément utile à un bilan administratif exhaustif à faire. Enfin, il faut un vrai dialogue social au quotidien sur la base de dossiers et propositions, loin de notre rituel « Tripartite ». En 2015, l'entreprise algérienne n'est, toujours, pas pleinement « dans le coup ». Pourtant, des consultations (certes non suivies) se sont tenues, dans les années 90 et en 2001.

Comment expliquer qu'avec les mêmes données, des pays, moins pourvus que nous, attirent l'investisseur alors que notre système produit plus de défiance qu'il ne génère de confiance? La fuite des capitaux, l'évasion fiscale à grande échelle et la fuite des cerveaux sont révélatrices de distorsions systémiques qui perdurent. Comment se fait-il qu'avec des dispositions contractuelles similaires, des pays au sud de la Méditerranée parviennent à contrôler les flux d'importation, maîtriser leur marché intérieur, améliorer leurs positions sur le marché européen sur les marchandises et aussi dans les services non sans avoir fait l'indispensable et incontournable travail de mise aux normes et de mise en confiance en direction de l'investisseur national?

Si la datte algérienne est moins vendue que les dattes exportées par des pays tiers, alors que les producteurs nationaux appellent à l'aide, c'est un problème algéro-algérien. Si nos produits halieutiques se voient refuser l'accès au marché européen, ce n'est pas sans raison : les lieux de stockage du froid sont souillés et les palourdes, par exemple, étaient polluées. Les produits de l'Agriculture qui étaient, jusque-là, exportés vers l'Europe ne le sont plus parce que nos normes de conditionnement et de commercialisation ne sont pas au niveau. Si l'administration est rétive aux améliorations, voire nonchalante, c'est aussi un problème algéro-algérien. Quant aux procédures d'exportation, elles sont jugées si compliquées et dissuasives que nos opérateurs (les producteurs) préfèrent rester sur le marché national.

LES DURES EPREUVES DE LA COMPETITIVITE

Il nous faut admettre que l'Accord d'Association est devenu incompatible avec une économie grevée de dysfonctionnements. La problématique est là. Si on occulte le fait que l'une des retombées de l'Accord réside dans la mise aux normes de notre administration et de nos entreprises, sur le long terme, à l'instar du parcours suivi par la Turquie qui a travaillé à un rapprochement normatif (article 56 de l'AA), on perd de vue un pan essentiel de l'AA. Mais ces interactions positives qui servent de levier de modernisation, n'ont pu être « importées ». L'AA s'est retrouvé en porte-à-faux avec une économie qui ne s'est pas adaptée aux règles de l'Economie globale. Nos échanges extérieurs sont, de facto, régis par les règles de l'OMC par le fait même que tous les partenaires de l'Algérie y obéissent.

Dans un processus de réformes, il y a, forcément, un prix à payer. Aucun pays, s'engageant dans cette voie, ne peut échapper aux dures épreuves liées à la compétition. C'était à notre portée du temps du confort financier et budgétaire pour moderniser en profondeur le tissu économique, en utilisant l'AA comme levier complémentaire d'incitations aux réformes. Mais depuis quelque temps, les données ont changé et une situation de « crise » rendrait les réformes, évidemment, encore plus difficiles. Au regard de l'intransigeance européenne vis-à-vis de la Grèce, l'Algérie ne devrait compter sur aucune forme de mansuétude à son égard, en cas d'aggravation des difficultés.

La limitation administrative des importations est une parade mais, à elle seule, elle ne constitue pas une riposte suffisante pour gérer et surmonter une crise durable. Elle charrie le risque d'un retour à des pratiques d'opacité. L'obligation contractuelle de non discrimination, figurant dans l'Accord entre opérateurs nationaux et vis-à-vis des opérateurs étrangers, risque d'en être affectée. Vis-à-vis de l'UE, le non respect de l'article 17-c (« dispositions communes ») portant sur la non introduction de toute « nouvelle restriction quantitative à l'importation ou à l'exportation » ne va pas manquer de poser problème. La « crise » pourrait ne pas être acceptée par la Commission comme un motif justifiant les interdictions et les restrictions à l'importation.

DESARMEMENT TARIFAIRE ET FAUX CALCULS

Certaines dispositions prévoient le recours à des mesures d'exception, en cas de difficultés momentanées ou pour une industrie naissante mais le cas de figure «crise» n'est pas dans les règles du GATT qui gouvernent le volet commercial de l'AA. Les articles portant sur les clauses de sauvegarde, de subventions ou de dumping ne sont pas applicables, bien évidemment, ni l'article 27 sur le fait que l'Accord «ne fait pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importations? justifiées par des raisons de moralité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes?».

 En outre, comme la situation présente ne crée pas « de graves difficultés, en matière de balance des paiements», autorisant l'adoption «pour une durée limitée des mesures restrictives sur des transactions courantes, qui ne peuvent excéder la portée, strictement, indispensable pour remédier à la situation de la balance des paiements », l'article 40 du Titre IV « paiements courants et circulation des capitaux », cette disposition ne pourrait pas être invoquée. Le risque est que l'UE s'en tienne, strictement, au respect d'engagements de non restriction des importations, alors que l'Algérie n'en aurait plus les moyens. D'aucuns pourraient être tentés de penser à faire suspendre l'application du volet commercial, mais cette option est une piste improbable. La Commission est compétente pour actionner la mise en œuvre de ce volet, indépendamment, du reste de l'Accord. Mais la voie d'une suspension exigerait, au préalable, une expertise juridique. A cela s'ajoute la réaction des Etats membres qui risque de ne pas être consensuelle. En tout état de cause, une suspension entraînerait le rétablissement des droits de douane européens sur les produits exportés, barrant, ainsi, la route à l'accès préférentiel à ce marché sur le long terme. Les discussions avec l'UE se sont déroulées sur les bases statistiques de 2000 qui donnaient un volume d'échanges avec l'UE de 5 milliards de $ (51% du total des échanges). Les premières simulations des pertes fiscales, faites par le CNIS, l'ont été sur cette base. Ils les ont mises à jour en 2005 en prévision de l'entrée en vigueur sur la base des données de 2003 sur la base d'un volume d'échanges passé à 7 milliards de $. Le calcul, toujours libellé en DA, avait donné les résultats suivants:

- liste à effet immédiat à l'entrée en vigueur: 5.361.000 DA

-2ème liste sur 5 ans, 2 ans après l'entrée en vigueur: 6.000.000 DA

- 3ème liste sur 10 ans jusqu'à 2020 : 4.000.000.000 DA

Total: 15 milliards 361 millions de DA

En dollars au taux de change de 2005 à une parité de 77 DA pour 1 dollar, les résultats sont:

- 1re liste:              69.623.373 $

- 2ème liste:           77.922.077 $

- 3ème liste:           51.948.051 $

Total :                  199. 494.101 dollars

LES OBLIGATIONS DE L'ETAT

Les premières listes de démantèlement avaient pour but de permettre aux producteurs industriels nationaux, en s'approvisionnant en inputs en Europe, hors droits de douane, d'obtenir un avantage comparatif par rapport aux produits concurrents importés. La richesse, ainsi, créée aurait permis à l'Industrie nationale d'accroître sa participation aux recettes fiscales du Trésor. En effet, un pays se développe non en taxant la richesse produite ailleurs dans le monde mais en prélevant un pourcentage de la richesse produite dans le pays, par le biais de la fiscalité indirecte (TVA) et directe (BIC). La perte du produit de droit de douane devait être, ainsi, récupérée. Il convient, néanmoins, de s'assurer que les bénéfices du démantèlement tarifaire des intrants de l'Industrie et des biens d'équipement ne sont pas empochés par les importateurs au lieu de revenir au Trésor. L'Etat a l'obligation d'anticiper ces pertes en prenant des mesures compensatoires. On peut récupérer des DA par des DA sur d'autres gisements ciblés de fiscalité comme la TVA. Il revient à l'administration d'y recourir. En 2015, les augmentations des importations en provenance de l'UE ont engendré des pertes fiscales, plus conséquentes que les prévisions de 2005. La montée en flèche des recettes pétrolières n'était pas dans les scénarii. L'augmentation spectaculaire des revenus liée à la hausse des prix des hydrocarbures a entraîné une hausse du niveau de vie des Algériens qui se serait répercutée, quoi que de manière limitée, sur le volume des importations. L'augmentation serait liée, selon les experts, à la mise en œuvre des 3 programmes quinquennaux de développement (importations de matières premières, demi-produits, biens d'équipement). Ceci serait corroboré par le fait que les produits alimentaires, par exemple, importés de l'UE, seraient restés stables, sur toute la période des 10 ans, y compris en tenant compte de l'évolution des prix et de l'accroissement démographique spectaculaire. L'amorce de la hausse des importations était connue du gouvernement. Les alertes n'ont pas manqué. La question reste de savoir s'il fallait «encadrer» les plans quinquennaux, freiner la mise en œuvre du «programme du Président» et contrôler le taux démographique pour encadrer les importations, dès l'envolée des prix du pétrole et des importations. La réponse ne se trouve pas dans l'Accord d'Association.

COMMERCE DES SERVICES ET SAIGNEE DE DEVISES

Le schéma de démantèlement tarifaire des produits industriels est le fruit de consultations extensives avec les entreprises publiques, menées par le ministère de l'Industrie et de la Restructuration industrielle, et avec les entreprises privées par le ministère de la PME-PMI. Les entreprises publiques ont appuyé leurs simulations sur la base des études qu'elles ont commandées. Outre les demandes d'aides de l'Etat qu'elles ont revendiquées et obtenues (des montants colossaux), elles demandaient, en général, une période transitoire de 5 ans pour la mise à niveau. Quant aux patronats, ils n'ont pas produit d'études dignes d'intérêt. Ils insistaient, avec raison, sur l'impératif de l'amélioration de l'environnement de l'entreprise, par l'Etat. A ce stade, il faut se demander si nombre d'entreprises publiques doivent continuer à fonctionner avec les aides de l'Etat, c'est-à-dire au détriment du contribuable. Nombre d'entre elles seraient de ce fait, en position déloyale, vis-à-vis de l'entreprise privée. Une entreprise en difficulté depuis des décennies, doit-elle continuer à bénéficier, éternellement, d'une protection qui n'a pas amélioré sa productivité ? C'est le contribuable et la rente (le Trésor) qui financent des déficits devenus insoutenables. Des études ont montré qu'une protection, par le seul droit de douane, donne naissance à des niches de rente. Quant aux produits agricoles, de la pêche et des produits agricoles transformés, nos experts ont basé les concessions réciproques sur les ambitieux objectifs sectoriels, notamment ceux du « Programme national de développement agricole-le Renouveau Agricole en marche» (PNDA, doté d'un fonds conséquent), visant à assurer la sécurité alimentaire et réduire les importations. Au regard des perspectives d'exportations prometteuses affichées par le PNDA, les contingents demandés par la partie algérienne se sont vues, globalement, accordées. Sur ces questions, une procédure de révision est prévue dans l'Accord. Elle n'appelle pas un révision de l'Accord.

Sur ce chapitre des pertes, l'attention se porte sur la saignée en devises dans le commerce des services liés, par exemple, aux services du transport aérien et au fret maritime. Le contrôle par des multinationales du fret maritime et le démantèlement de la flotte nationale causent des dégâts économiques et financiers dont il faut se préoccuper dans le cadre d'un bilan exhaustif.

PROTECTION DE L'ECONOMIE NATIONALE ET EXPORTATIONS

L'arsenal législatif et réglementaire de protection de l'Economie nationale par une deuxième barrière non tarifaire, n'a pas été mis en place. On sait que ces dernières sont, autrement, plus redoutables et redoutées que la taxation douanière. Par ailleurs, à l'export, dire que nos produits font face aux obstacles non tarifaires européens, ne suffit pas. Il faut documenter les cas, évaluer leur conformité normative, suivre les procédures prévues dans l'Accord, avant de porter le dossier au niveau diplomatique. Lorsqu'une procédure est entamée auprès des services de la Commission européenne, au sujet des obstacles non tarifaires, les données que l'on reçoit de nos entreprises plaignantes sont souvent si peu fiables qu'elles font, elles-mêmes, obstacle à l'aboutissement de la requête.

Il faut pouvoir clairement identifier le litige pour savoir s'il s'agit d'un cas technique courant, c'est-à-dire d'un produit contré par la concurrence, sur le terrain européen, auquel cas il faut agir en suivant les procédures prévues, ou s'il s'agit d'une politique systématique, ce qui est, bien souvent, loin d'être le cas. Il est arrivé que l'entreprise nationale se livre à des escarmouches avec l'entreprise étrangère, sur la place publique, sans pour autant déclencher les procédures en contentieux requises. En outre, dans au moins un cas, et non des moindres, c'est la partie algérienne qui a empêché une entreprise nationale d'exporter son produit en retournant contre celle-ci l'argument dumping communautaire, avant même que la Commission ne soit saisie. L'AA est censé être un vecteur de transparence à travers les différents niveaux de communication des informations lorsque, par exemple, une mesure décidée risque d'affecter les échanges. Ce devoir d'information est rarement honoré. Lorsqu'il l'est, il est contraint et forcé. La situation est, encore, plus délicate lorsque les mesures sont appliquées avec effet rétroactif, affectant, à la fois, l'entreprise nationale et les sociétés étrangères.

Notre système se caractérise par un arsenal de mesures administratives non adossées à une pensée économique. Quant au processus de prise de décision économique, il est loin de s'inspirer du mode communautaire dont nous sommes censés nous rapprocher. Lorsque la Commission initie un processus législatif, elle ouvre de larges consultations avec les entreprises (qui sont souvent à l'origine de ces mesures), le partenaire social et le Parlement et même, lorsque cela est nécessaire, elle en informe le pays tiers. Chez nous, les mesures ont tendance à prendre de court, le monde de l'entreprise, laissant celle-ci se débattre avec ses fournisseurs, accentuant, ainsi, l'instabilité réglementaire.

FUITE DEGUISEE DES CAPITAUX

Or, une des finalités de l'Accord, pour rassurer l'investisseur sur le long terme est la stabilité du cadre législatif et réglementaire. L'Accord prévoit des consultations afin d'informer le partenaire qui informera, lui-même, les agents économiques européens, et si la mesure est gênante la partie algérienne devra s'efforcer de lui « faire avaler la couleuvre» par le dialogue. C'est dans notre intérêt de rassurer le partenaire et, par ricochet, l'entreprise nationale. Le mot-clé sous-jacent dans l'Accord est «confiance». Générer de la confiance relève, avant tout, de la responsabilité de l'Etat. Cela nous conduit sur le terrain de l'investissement. La politique d'attraction des investissements de 2002 ? 2008 s'est vue remplacée par la politique de protection de la balance des paiements.

Encore sous le traumatisme de la banqueroute de la fin des années 80, l'Etat craignait que les produits des investissements ne quittent le pays, bien que ceux-ci soient autorisés par l'article 39 (« paiements courants et circulation des capitaux ») pour ce qui concerne les sociétés européennes, à un moment où les capitaux cherchaient à s'investir après la crise des subprimes.

Le droit de préemption (non sélectif), l'obligation d'une balance de devises positives, la règle (non sélective) du 51/49 ont eu un effet dissuasif auprès des investisseurs, taclant au passage l'attractivité potentielle du cadre offert par l'AA. Les mesures prudentielles qui ont été prises semblent avoir découragé l'investissement, neutralisant du coup le levier de l'A.A, au moment où celui-ci entrait en vigueur.

En règle générale, les mesures touchant le monde de l'entreprise surviennent dans un délai court (jeu de la loi de finances et de la loi de finances complémentaire, sans parler des textes d'application) alors que l'entreprise fait ses comptes sur le long terme. L'investisseur prend du risque sur du long terme, dans un environnement stable alors que l'environnement national est marqué par sa volatilité réglementaire. Dans ce cas, l'entreprise étrangère a recours à des pratiques usitées, de part le monde, consistant à surfacturer les importations, c'est-à-dire à monter une fuite déguisée des capitaux pour rapatrier les dividendes. Les garanties de stabilité à long terme offertes par l'AA deviennent, dès lors, inopérantes.

EXIGENCES DE L'AA ET DECALAGES DE L'ECONOMIE

Dans ce contexte, la logique de l'Accord s'est retrouvée, en décalage avec une économie qui prenait ses distances avec les règles de l'Economie globale et du principe de prévisibilité. Conséquence: faute d'investissements, les outils de ré industrialisation, permettant de faire face à la crise, ne sont pas au rendez-vous. Même une industrie de substitution aux importations n'a pu être mise en place, durant ces dix années de mise en œuvre de l'AA, durant lesquelles la production nationale s'est vue accorder un avantage comparatif suite à la détaxation des matières premières, des demi-produits et des biens d'équipement.

L'AA ne peut produire les effets attendus que si l'environnement est propice à l'investissement et lorsque le climat des affaires est favorable. Si le levier des interdictions et restrictions aux importations ne s'accompagne d'aucune autre mesure, les conséquences sur la production nationale risquent d'être importantes. Un retour à une politique d'attractivité des investissements, dans laquelle l'AA jouerait pleinement son rôle, s'avère incontournable. Cependant, échaudés par les revirements récurrents, les investisseurs potentiels se laisseront-ils convaincre de venir en plein cycle de « crise »?

 En vertu du partage des compétences, entre la Commission et les Etats membres, celle-ci ne peut pas prendre les investisseurs, par la main, pour les ramener en Algérie et les forcer d'y investir. Son rôle consiste à leur offrir des garanties et veiller à ce que les engagements soient respectés. Elle enclenche un mouvement d'intérêt, apporte un soutien à la demande (l'article 54 c- « promotion et protection des investissements ») prévoit « l'assistance technique aux actions de promotion et de garantie des investissements nationaux et étrangers »). Il revient au pays signataire de « vendre » l'Accord, de développer un lobbying, tous azimuts, pour valoriser l'attractivité du pays, par la communication, le lobbying et le tourisme qui est un vecteur (négligé) d'amélioration de l'image.

LES IDE SOUS LES EFFETS DE LA BUREAUCRATIE

En rapport avec les services liés à l'investissement, une clause est couramment violée par notre bureaucratie, c'est celle se rapportant à « la présence temporaire de personnes physiques » (article 33). Un grand nombre de patrons d'entreprises étrangers n'obtiennent pas leur permis de séjour et de travail « pour la durée de leur engagement » malgré la présentation du très volumineux dossier administratif qui leur est exigé. Ils sont contraints de séjourner avec des accusés de réception ou de renouveler leur visa tous les six mois.

On peut aussi évoquer le problème critique et lancinant des surestaries dans les ports algériens qui sont, au plus haut point, pénalisantes pour les entreprises. C'est un problème qui a fait l'objet de plaintes de la part des services de la Commission.

Dans un environnement contrariant, l'investisseur étranger ne se sent pas en confiance, à moins de bénéficier d'une « bienveillance non écrite ». Cette pratique, sous toutes ses formes, est contraire à la règle de non discrimination stipulée à l'article 102 (« le régime appliqué par l'Algérie ne peut donner lieu à aucune discrimination entre les Etats membres, leurs ressortissants ou leurs sociétés »).

Dès lors qu'il y a discrimination en faveur d'un pays (comme il a pu être dit au sujet de la France) ou d'une entreprise, cette pratique a pour effet de donner un avantage à un pays ou à une société dans l'intention d'agrandir ses parts de marché et de décourager la concurrence. Si cette pratique devait se confirmer, ce serait contraire à la diversification des échanges voulue par l'AA et un paradoxe en ces temps de globalisation des échanges. Par ailleurs, s'il arrive que la partie européenne soit prise en défaut, il faut, alors, recourir à la disposition politique d'ordre prudentielle contenue dans l'Accord qui souligne dans une « Déclaration de l'Algérie » que cette dernière « considère que l'accroissement du flux d'investissements directs européens, en Algérie, constitue un objectif essentiel de l'Accord d'Association. Elle invite la Communauté et ses Etats membres à apporter leur soutien à la concrétisation de cet objectif, en particulier dans le contexte de la libéralisation des échanges et du démantèlement tarifaire. Le Conseil d'association examine la question si besoin est. » Cette disposition ouvre la voie du passage à l'acte, en commençant, par exemple, par une concertation, non pas au niveau diplomatique, mais avec la Banque d'Algérie, pour examiner le fondement des réticences européennes.

L''ENERGIE, UN ARGUMENT DE FAIBLE PORTEE

On entend souvent dire que l'Algérie devrait mettre l'énergie dans la balance globale des intérêts, lors de négociations avec l'UE. Cela peut paraître, en effet, un levier intéressant. Politiquement, l'Algérie signifierait qu'elle entend utiliser sa position de fournisseur d'énergie comme argument de négociation dans le cadre d'un deal global destiné à rééquilibrer la balance des intérêts.

La réalité est que le marché des hydrocarbures est, exclusivement, du ressort bilatéral et/ou d'entreprise à entreprise. La Commission n'intervient pas dans une quelconque répartition des parts de marché. De ce point de vue, elle n'a aucune influence ; elle n'est pas, non plus, un régulateur du marché européen sur le pétrole. Quant au dialogue bilatéral dans le domaine de l'énergie, un partenariat dit « stratégique » a été conclu, mais ces termes sont très génériques. Il n'ouvre pas la voie à un partenariat global. A ce sujet, la proposition de « partenariat global » soumise au président de la Commission européenne, le 17/2/2006, est restée sans suite. Par ailleurs, une question spécifique a fait l'objet de négociations ardues, en 2002 et 2003 à propos de l'incompatibilité des clauses de destination et du mécanisme de partage des profits, concernant les contrats gaziers. Forte des précédents créés en sa faveur avec le Nigéria, la Norvège et la Russie, la Commission a fini par obtenir l'acceptation par l'Algérie de la révision de ces clauses, dans ses contrats. En définitive, l'argument « Energie » est de faible portée. La position de fournisseur n'a eu aucun effet sur le pouvoir de négociation. L'Algérie n'est assurément pas la Russie, loin s'en faut. L'Accord prévoit de concentrer la coopération économique sur « les domaines privilégiés subissant des contraintes et des difficultés internes ou affectés par le processus de libéralisation de l'ensemble de l'Economie algérienne» (article 48 a). Il prévoit, aussi, de porter la coopération «en priorité sur les secteurs porteurs de croissance et d'emplois» (48 b).

RATAGES ET ABSENCE D'UNE GOUVERNANCE VIGILANTE

Une feuille de route de mise en œuvre de l'Accord avait été soumise à la Commissaire européenne le 26 juin 2005 par le ministre des Affaires étrangères. Elle prenait appui sur le «programme de soutien à la relance économique, à court et moyen termes» du gouvernement d'avril 2001. Celle-ci faisait, aussi, la jonction avec les possibilités de coopération technique, offerte par l'Accord. Les services de la Commission se sont basés sur ce document de travail pour formuler le programme indicatif national (PIN). L'intention, en 2005, était de prendre l'initiative afin de transposer les priorités nationales dans le PIN, ceci, pour ne pas laisser le bailleur de fonds faire prévaloir sa propre démarche et d'éviter que les ressources mises à disposition soient utilisées dans des projets périphériques. Lorsque, en 2015, des experts européens «offrent» à travers un programme de soutien d'apprendre à nos députés à lire une loi de finances, on se demande bien quel est le lien avec l'AA. Un projet visant «le développement des laboratoire algériens d'analyse et d'essais comparatifs et l'assistance dans l'organisation de la mise en place d'un système décentralisé au profit des consommateurs» (article 65-2 h) aurait été bien plus utile. En outre, la réalité en matière de coopération est changeante: un secteur tel que celui de l'Enseignement supérieur qui pouvait avoir besoin d'un appui, en 2001, n'a plus, aujourd'hui, la même pertinence puisque, ces dernières années, la Recherche bénéficie d'importants financements nationaux. Les 21,5 millions d'euros dont il a bénéficié auraient pu aller vers un secteur plus nécessiteux. Le «ratage» concernant la non signature de la convention de financement du projet «médias», en est une illustration supplémentaire. Ce qui fait problème, par-dessus tout, et cela n'est pas nouveau, c'est l'impact des projets sur le tissu économique. A l'évidence, un projet comme «l'appui au management de l'Economie» (AMECO, 20 millions d'euros) est, soit mal taillé, soit d'une ambition surdimensionnée.       Il vise à «faciliter la prise de décision, à moyen terme, en matière de conception et de mise en œuvre de politiques macroéconomiques sectorielles et régionales». Ce programme, par exemple, mérite d'être corrigé car il n'aura aucune influence sur le processus décisionnel macroéconomique. La problématique du ciblage des projets et le risque de dispersion des ressources semblent, toujours, d'actualité. La nécessité d'une gouvernance vigilante de cette coopération n'est pas chose nouvelle.

GEOPOLITIQUE ET VIOLATION DE «DROITS»

Les procédures communautaires sont, certes, rebutantes mais il faut s'y confronter par l'initiative pour ne négliger aucun gisement de coopération. L'AA est, aussi, un vecteur de drainage de l'expertise, ce que l'on omet de souligner, à force de se focaliser sur les marchandises. Cependant, le potentiel de coopération pour une mise en œuvre extensive de l'AA, reste tributaire d'une amélioration des capacités nationales de consommation des subventions communautaires, d'une part, et d'un très improbable déplafonnement de l'enveloppe des 250 millions d'euros. Enfin, s'il y a une mise à jour diplomatique qui s'impose d'elle-même, c'est bien celle du titre « Dialogue politique » (titre I de l'AA). Au moment de l'adoption de la Déclaration de Barcelone, le 28 novembre 1995, les partenaires s'étaient fixés pour objectif de « promouvoir la paix, la stabilité et la sécurité » et de « faire du Bassin méditerranéen une zone qui garantisse la paix, la stabilité et la prospérité ». Aujourd'hui, le contexte s'est dégradé. Des pays membres de l'UE bombardent, violent les droits humains, déclarent vouloir chasser des Chefs d'Etat et se lancent dans des expéditions militaires qui produisent le chaos à nos frontières et dans l'ensemble de la région méditerranéenne. C'est tout le contraire de l'un des objectifs essentiels de l'AA (art.3 c): «œuvrer à la consolidation de la sécurité et de la stabilité dans la région méditerranéenne». Le titre I sur le dialogue politique est, ainsi, appelé à être adapté. En attendant, prenons acte de la violation de l'article 3c) de l'Accord par des pays membres de l'UE.

De même, le chapitre « Lutte contre le terrorisme» (article 90) mériterait d'être remanié. En 2001, l'UE s'était opposée à ce qu'il soit incorporé dans le «Dialogue politique». Aujourd'hui, les temps ont changé et sa transposition, à la bonne place dans le «Dialogue politique » (cf. «échange d'informations sur les groupes terroristes et leurs réseaux de soutien» et «échange d'expériences sur les moyens et méthodes pour lutter contre le terrorisme»), est devenue nécessaire.

NECESSITE D'UNE «TROISIEME GENERATION» D'ACCORDS

Le devenir de l'Accord se pose, aujourd'hui, sous une triple problématique aux effets inter-connectés: comment gérer l'AA sans la perspective d'adhésion à l'OMC ? Comment le gérer sans un véritable engagement pour des réformes visant à faire de l'Algérie une entreprise productive? Comment gérer l'AA par temps de «crise»? La question 1 est d'autant plus complexe que nombre de «dispositions communes» de l'Accord sont d'application alors que l'Algérie n'est pas membre de l'OMC. Le chapitre sur le commerce des services (titre III de l'AA) devra, tôt ou tard, faire l'objet d'une reprise des négociations avec l'UE. Or, cette négociation est conditionnée par une autre entente préalable avec l'UE, dans le cadre du processus d'adhésion à l'OMC. Ces questions d'une grande importance restent à trancher pour, enfin, sortir de l'impasse et dénouer l'enchevêtrement des négociations. En toute logique, l'adhésion à l'OMC est un pré-requis à la conclusion d'un accord de libre échange. L'approche a été tout autre. Une correction de trajectoire était possible, jusqu'à un certain moment, mais cette option n'a pas été suivie. Quant aux réponses à apporter aux questions 2 et 3, elles sont, intimement, liées aux choix et décisions à prendre, en matière de réformes. Ces choix diront si l'AA et l'adhésion à l'OMC ont du sens ou non. Jusque-là, les tergiversations ont brouillé la visibilité, fait perdre du temps, dissuadé les IDE, fait perdurer le système de rente et engendré des coûts, sans cesse plus élevés. Ces coûts seront encore plus lourds lorsqu'il faudra relancer les réformes par temps de crise.En conclusion, au regard de tout ce que nous avons expliqué, précédemment, une réévaluation de l'AA, fût-elle en commun, ainsi que l'introduction de correctifs techniques dans les annexes, à trois ans de l'échéance finale, pour amortir les effets liés la «crise», n'en changeront pas la trame. La relance des réformes constitue l'incontournable préalable pour «rentabiliser» l'AA. Par-delà ces corrections de conjoncture, une refonte des relations avec l'UE est nécessaire. Refonte d'autant plus nécessaire qu'elle est dictée par les nouvelles donnes géopolitiques. Pour nombre de raisons, les Accords d'Association ont fait leur temps. Une troisième «génération » d'accords est à penser en commun, pour préparer l'après 2020.

* Ancien ambassadeur à Bruxelles