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La coalition arabe ira jusqu'au bout au Yémen face à la «menace» iranienne

par René Slama De L'afp

La coalition arabo-sunnite au Yémen, qui estime toujours faire face à une «menace» de Téhéran, ira jusqu'au bout de son intervention militaire contre les rebelles chiites en dépit des risques et des pertes humaines, selon des experts. La coalition a subi vendredi les plus lourdes pertes depuis le début de son intervention en mars avec la mort de 45 Emiratis, 10 Saoudiens et 5 Bahreïnis dans l'attaque au missile d'une base militaire dans la province de Marib (centre du Yémen).

«S'agissant des Saoudiens, je crois qu'on va vers une fuite en avant. Entre la désescalade et l'escalade, c'est l'escalade qui est choisie, ce qui explique les bombardements massifs en ce moment», note François Heisbourg, conseiller à la Fondation pour la recherche stratégique à Paris. Loin de provoquer un changement de stratégie, l'hécatombe de vendredi «va renforcer la détermination» de l'alliance dont les piliers sont l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, renchérit Mustafa Alani, spécialiste des questions de sécurité au Gulf Research Center, basé à Genève. Sans attendre, l'aviation de la coalition a intensifié samedi et dimanche ses raids contre des positions des rebelles chiites Houthis et de leurs alliés, des unités restées fidèles à l'ex-président Ali Abdallah Saleh. Depuis la mi-juillet, les rebelles ont subi une série de revers dans le sud et font face maintenant à des concentrations de forces hostiles dans le centre. «Si l'Arabie mettait la pédale douce, ce serait un échec tout à fait majeur pour l'équipe» du roi Salmane, dont «la politique a consisté à aller chercher le conflit contre les Iraniens par Yémen interposé», estime M. Heisbourg.

«Les rebelles semblent être arrivés à un point de non retour, ce qui va pousser la coalition à intensifier ses frappes et à élargir le champ de son intervention», ajoute Mathieu Guidère, professeur d'islamologie à l'université de Toulouse. Pour lui, les pertes enregistrées à Marib «vont conduire la coalition à mieux sécuriser ses interventions au sol et à apporter une meilleure couverture aérienne à ses troupes», dont l'objectif est de chasser les rebelles des villes et régions qu'ils ont conquises depuis septembre 2014, y compris la capitale Sanaa. Mustafa Alani attribue l'attaque au missile Tochka non pas aux Houthis, mais à «une unité de la Garde républicaine» de l'ex-président Saleh, la seule capable d'utiliser un tel armement. Il minimise le coup humain et psychologique porté à la coalition, affirmant que les pertes de l'alliance arabo-sunnite sont «insignifiantes» comparées au «nombre énorme» de victimes du camp rebelle pro-iranien, dont les capacités ont été «complètement dégradées». «La victoire est très proche maintenant», assure M. Alani en rappelant que, pour la coalition, le problème au Yémen, c'est plus l'Iran que les rebelles. «Dès le début», l'offensive des Houthis «a été perçue comme une menace pour l'ensemble» des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG: Arabie, Bahreïn, Emirats, Koweït, Oman, Qatar), explique cet analyste. «Ils y ont vu une tentative par l'Iran de reproduire l'expérience du Hezbollah libanais dans la Péninsule arabique et ils ont dit ?non', quel que soit le prix. Cet objectif ne va pas changer sous la pression», selon lui. L'attaque à Marib a coïncidé avec le premier entretien du roi Salmane avec le président Barack Obama à Washington. Si les Etats-Unis appuient la volonté de Ryad de contrer les rebelles, ils s'inquiètent régulièrement de l'impact du conflit sur les civils et de l'absence de perspectives politiques. «Les Américains n'ont aucune envie d'être entraînés dans cette histoire.

Le Yémen est aussi mal pavé que l'Afghanistan», souligne M. Heisbourg. De son côté, «l'Iran doit faire un choix» mais «je n'ai pas l'impression qu'il va jouer délibérément l'escalade, d'autant plus qu'il n'en a pas besoin car les chiites yéménites sont a priori capables de donner du fil à retordre aux Saoudiens sans que Téhéran ne soit obligé de mettre beaucoup au pot», ajoute cet expert. La coalition arabe estime qu'un règlement du conflit doit être basé sur la résolution 2216 adoptée en avril par le Conseil de sécurité de l'ONU, qui somme les rebelles de se retirer de tous les territoires conquis et d'accepter le rétablissement du gouvernement «légitime» qui s'est exilé en Arabie saoudite. Selon Mustafa Alani, les rebelles «ont commencé à faire des concessions» sous la pression militaire et «finiront par plier».