Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Ce à quoi aspire le peuple

par El Yazid Dib

Pas plus qu'un bout de pain à l'ombre tranquille d'un olivier encore fécond. Comme étrennes ; il tend à pouvoir se permettre d'oser rêver. Car rêver est déjà une action salutaire qu'inspire une invisibilité aveuglante.

La campagne n'a été que bipolaire. L'on dirait que seuls les deux candidats en pôle position ont droit d'avoir chacun un mot de la fin. L'acharnement y est des plus âcres. L'épouvantail de la fraude électorale, le spectre de la mafia du foncier, l'argent sale, le danger des néo-révolutionnaires ne cessent d'alimenter la vacuité quotidienne. L'un donne par procuration la sensation d'un triomphe avant termes, l'autre objecte par menace de ne pas se laisser faire. C'est en somme le condensé, après la diatribe directe et les croche-pieds ; non pas dans les montages de programmes mais dans les salles et par-devant les micros. En fait de programmes électoraux ou encore leur euphémisme, tous vont s'estomper au fil agonisant d'une campagne trop moelleuse. Ni les cors, ni les décors n'ont pu générer l'engagement populaire sans étiquetage. Seul le clan de chacun des candidats croit se mouvoir dans une dynamique de foule. L'essentiel aurait été loupé dans cet événement. Le manque de pragmatisme et de dénudation d'allusions se mouvaient dans toutes les charpentes orales des tribuns. Sans attendre un diagnostic à établir par les candidats sur ce qui décale le projet de la réalité ; la masse se résigne à une patience devenue comme un pli coutumier. Certains « permanenciers » croient que badigeonner les murs par collage de centaines de photos est déjà une victoire. L'on n'aurait pas trop vu de magasins, d'offices, de bureaux privés s'engageant dans la promotion de l'un ou de l'autre par acte de décliner une identité préélectorale. Soit s'afficher en affichant son soutien par l'affichage de son choix. Seuls les édifices publics, les supports physiques abandonnés, les écoles et les murs nus sont agressés par la visqueuse colle de minuit. L'outrecuidance du collage pousse à l'ironie. Des affiches encollées sur des toilettes publiques ne sont pas une bonne invite de choix. D'ailleurs une affiche n'a jamais fait un président quel que soit son tableau d'affichage. Par ailleurs les promoteurs du président candidat semble-t-il sont tièdement frileux. Une sorte d'appréhension les aurait pris. L'on ne voit nulle indice de leur allégeance dans leur demeure, leur bâtiments, leur entreprise. Un amour silencieux et un engagement anonyme sont ainsi devenus une stratégie électorale à observer pour ce « sait-on jamais ! ».

Ce qui reste d'une campagne

Des photos lacérées. Des voix éteintes et déteintes. Mais aussi des blessures, des vidéos et des parasites. La campagne se finit mais la haine de l'autre attisée par l'autre ne va pas finir de si tôt. Empêcher un candidat ou son représentant de dire sa vérité est une autre vérité à ne pas imposer à tous. D'où l'urgence d'apporter un nouveau regard sur les lois régissant le mode électoral. Un cahier des charges devra être imposé à la direction de campagne en vue de moraliser, et codifier, sous peine de sanctions l'affichage, le trouble de meeting, l'entrave etc. Placarder un portrait sur un autre n'est-ce pas là une négation d'expression et une imposition d'avis ? Au lieu d'avoir recours à des désœuvrés, genre baltagia, pour la « décoration » à la hussarde des artères d'une ville, pourquoi ne pas rendre obligatoire le passage par une agence de publicité et de communication ? Il restera aussi de cette campagne des créances, des impayés et beaucoup d'argent qui ira ailleurs. De même que subsisteront l'affection des gosiers aboyeurs et celle des tympans sourdingues.

Dans certaines directions de campagne, l'apathie et l'amorphie ont scellé l'imperfection qui y règne. Notamment dans celles du président candidat. Seule une reproduction géante d'un visage, un ou deux vigiles renseignent sur l'existence d'un siège sans âme politique. Se réunir ou réunir autour de soi des va-et-vient incessants ne semble pas être intrinsèquement un acte politique. Par contre, aller au devant de l'électeur acquis, indécis ou désintéressé s'avérerait un objectif fondamental dans la raison d'être. Certains ministres en poste, voulant exhorter les qualités de leur candidat lui ont apporté plus de mal que de vertus. Il fallait, si besoin politique y est, le faire d'abord dans son entourage, chez soi, dans son propre village et non pas dans une wilaya qui les a vu simplement passer comme un train qui traverse plusieurs gares. D'autres préfèrent se rabattre sur le secteur géré.

Une aubaine ; la passation de consignes

Si Octobre et ses soubresauts successifs avaient raté de ramener dans un temps automnal, un « le printemps arabe » prématurément ; les années consécutives charroyaient en leur sein les condiments pour en faire un. Pourtant le printemps ne se fait que par les roses et les éclosions. Et non par la mélancolie et le sang. Des milliers de jeunes citoyens avaient alors décidé de prendre en main leur histoire. Face à la placidité qui régnait dans l'atmosphère politique d'alors cette année là englobait en sein les germes d'un détonateur. Ce ne seront pas le plan anti-pénurie, l'ouverture vers l'ailleurs, le slogan de pour une meilleure vie et la suppression de l'autorisation de sortie du territoire qui avaient poussé ces gosiers à vociférer leur mal vie ou ses mains destructrices d'édifices publics. Le temps était tout aussi périlleux que s'annonçait la crise internationale. Là, l'émeute en tant qu'organe de dialogue avec un pouvoir en perte d'audience s'érigeait bel et bien pour les initiateurs en une aubaine mais mal et en pis pour l'autorité. Elle trouvait, cette rue contestataire et ca continue gravissement des mobiles un peu partout. Le désespoir et la vie sans issue faisaient la quotidienneté citoyenne. Comme dira Sellal 22 ans après « les jeunes ont besoin de respirer ». N'est-ce pas là un paradoxe d'une compréhension tardive et encore traînarde ? De ces aveux, l'on déduit qu'après deux décennies et tant de morts cette jeunesse, enfin celle d'une autre fournée est toujours prisonnière d'un système étrangleur. Ils ne respirent parfois que les odeurs lacrymogènes.

Parmi la quantité de la complainte sociale figure en figure de proue, cette passation de consignes qui tarde à s'acquiescer. La passation de consignes est un acte complémentaire et ne doit pas se faire voir en une fin de mission pour les transmetteurs. Sinon de qui l'auraient-ils pris à leur tour ? La succession dans la prise d'une partie de l'histoire d'une nation est une chaîne incessante de responsabilité. Ce sont ces ultimes élections qui doivent permettre la transmission douce et paisible d'un pouvoir époumoné en quête de bon preneur. Ce qui a été avance comme promesses par les uns et les autres converge unanimement vers une harmonie de changement. Ce dernier à défaut d'émerger comme première action salutaire, risque de s'obtenir par un malaise qui saura généraliser désagréablement ses métastases. Quand une porte est fermée de l'intérieur, vouloir l'ouvrir de l'extérieur exige une effraction. La révision de la constitution prônée par tous doit donc viser les fondements d'aller vers la rénovation de l'Etat, sa redéfinition et provoquer le jaillissement d'une citoyenneté rénovée. Une révision sans garantie de contre pouvoirs est vouée d'avance à perpétuer la promesse et étirer aux calendes grecques les attentes. Que ce quatrième mandat avec les gros risques qu'il engendre soit une halte sérieuse pour en assurer une transition vers une passation de consignes digne de ceux qui sont morts pour la perpétuité de la nation.

Liberté et sécurité

Lorsque le peuple voulait son indépendance, il l'a eue. Lorsqu'il persiste à vouloir sa liberté, il tergiverse et lui fait-on prendre la sécurité comme une antinomie. La liberté est indissociable de la sécurité. Les deux sont des produits sociaux très chers qu'il faudrait chérir davantage. Penser à sauvegarder des libertés individuelles et collectives dans un pays où il était interdit de penser à contre-courant du pouvoir est en soi un combat continuel. Au souvenir frustrant qu'en ces temps là, la liberté se confinait exclusivement dans un pack d'importation ou s'assimilait à un produit impérialiste. Ayant dépassé les premiers balbutiements libertaires, la passion de les accentuer s'est aiguisée au fur et à mesure de l'évolution de la lutte pour le pouvoir. La liberté de ce jour ne peut se limiter à une simple expression sans écho. Elle est multiple et plurielle. En quoi une banderole, un slogan, un sit-in puisse-t-il embarrasser des niveaux supérieurs ? Ces élections ont démontré qu'une simple blague certes de mauvais goût mais en somme toute innocente à l'apparence a pu ébranler un palier de pouvoir qui se veut confiant et imperturbable. La consécration des libertés est une entité totale. L'exclusion, l'exil forcé ou le refuge politique ne doivent pas s'élever comme ritournelle à une opposition en mal d'ancrage sociétal. L'on n'a jamais vu un français ou un américain affichant nettement son opposition au pouvoir agir à partir d'un Etat étranger. Il le fait de chez lui, avec les siens et sans « la main étrangère ». Tant que l'on a des « opposants » ou des détenteurs d'avis contraires installés ailleurs car interdits de séjour chez eux ; l'on est loin de la liberté d'opinion et de ses connexes expressions.

Renforcer la liberté est un attribut d'un Etat fort qui ne craint pas de sévir là où celle-ci est menacée. La rétrécir par contre, en avoir la trouille à fleur de peau ou en être frétillant ne sera qu'une résistance précaire face à un besoin instinctif et biologique. Car l'histoire qui devra se faire aura à retenir ce rétrécissement comme une honte à dégueuler le jour du bris de chaines. Que de pans historiques dans l'évolution des pays n'aient pas eu à rougir de certains hommes ayant pour raison de survie escamoter les libertés populaires. Laisser-faire dans la règle, laisser-dire dans l'éthique, canaliser le tout dans un contrat social agrée est loin des actions tendant à gadgétiser la démocratie par des libertés à menu fretin.

Pour une meilleure vie

Ceci rappelle le fameux programme anti-pénurie, alimentaire surtout. Le peuple n'était à cette époque qu'une chaine humaine agglutinée le long des portes de souk el fellah ou des galeries algériennes. Ainsi, après avoir rempli l'estomac, la tête demande aux langues de se diluer. Le besoin de parler, de vider ses grands sacs n'eut comme satisfaction qu'une illusion d'être écouté. Tout semble n ce jour bien marcher au même moment où tout s'arrête de fonctionner normalement. Tout le monde, omettant un présent pris pour un passé consommé, se lance vers l'hypothétique espoir à faire rattaché à un lendemain. Mais ce lendemain, incertain, obscur et mal illuminé ; tient mordicus à ravir l'attention que l'on s'oublie dans la morosité actuelle. En pensant à l'avenir de nos enfants, l'on néglige vite les péripéties arguées d'obstacles et de gâchages de notre passé. Aucun candidat n'a dit mot sur une thérapie apte à combattre l'anxiété et l'état dépressif général. Cet état du à la déperdition de repères provoque des phénomènes tellement connus et sus qu'il ne réagit par surprise qu'à l'occasion de pressions politiques, de marches populaires, de grèves ou de boycott. C'est dans son diamètre, conçu comme un salon restreint, que repose toute l'intelligence qui fait les pour et les contre de l'éruption. Il nous suffit en somme de bien regarder l'état économique de nos élus, de visionner lentement le planning politique de nos dirigeants et d'écouter régulièrement les râlements de nos cadres ; pour qu'on puisse se dire en face et avec courage des vérités pas bonnes d'être des vérités à dire. Personne n'est heureux, pas même le président de la république et ceux qui l'entourent. Tous les candidats montrent une mine désespérante, un teint blafard et soufflent comme ils respirent des soupirs, et gémissent comme des remords des hélas et des complaintes. Tous bouffés par la mal vie, le régime ou le système les a conditionnés à vie dans l'obligation de ne s'inscrire que dans l'espoir d'une vie meilleure. L'embellie ne semble pas pour demain. La violence silencieuse et gangrénante est plus dangereuse dans le long terme que celle exercée au grand jour. La menace du désordre est toujours imminente. L'on ne sent ni ressent plus ce plaisir de pouvoir continuer à servir L'Etat, tant que celui-ci se trouve entre des mains inappropriées.

Mourir de belle vie

La belle vie est cette existence sans soucis majeurs. Malheureusement elle n'est pas l'apanage de tous les créneaux sociaux. L'évolution humanitaire a fait apparaître, pour cette belle vie, une classe médiane. Les sociologues la qualifient de classe moyenne sans pour autant lui attribuer la quintessence morale et l'esprit petit-bourgeois qui sont censés l'animer tel que fut le cas vers la fin du siècle dernier. Cette frange qui, ayant reçu un minimum de confort social se sent fortement concernée par le maintien de l'ordre établi. A sa charge, cet agencement se pratique par elle et non pour elle. Elle en tire certes des dividendes, un peu d'apparat et point final. Pas d'opportunités de pouvoir gagner du terrain sur la parcelle de sa marraine. Comme elle refuse à son tour de se voir faire grignoter son espace par des ratatouilles. Pense-t-elle. Bien lotie dans sa tête de large fonctionnariat, de commerçants débutants, de nouveaux portefeuilles, elle fait à son tour graviter à ses alentours pour les mieux pignonnés, des sous-traitants du deuxième cercle de la première classe.

Mais en tout et pour tout c'est au nom de cette vaste société que les mentors semblent agir. Dans son intérêt, tiennent-ils à rassurer ou à la rassurer. Mais les guichets de banque, les lots industriels et les passe-droits légalisés ont grandement participé à la mutation, parfois contre-nature de l'échelle des valeurs. Il suffit d'un rien pour qu'un rien puisse devenir une somme. C'est tout à fait vrai que le sens des affaires fait partie d'une science bien établie. Mais à voir des affaires se faire sans science des affaires, que faudrait-il déduire, sinon l'escroquerie, la rapine et la diablerie. L'autre, classe dite inferieure n'aspire qu'à garder un sourire, avoir un toit et un lendemain ensoleillé. Cette classe est très abondante, ses membres sont nombreux, elle forme le grand des troupes démographiques qui aspire à une vie heure et sans heurts. Cette belle vie souhaitée est un acte à fabriquer impérativement par le pouvoir. Sa mission est ainsi de rendre heureux, ses administrés. Ce bonheur là, messieurs n'est pas forcement dans l'autoroute malgré ses pistes scabreuses ou dans les centaines de logements denses et manquant de « centralité » mais parfois il se situe tout simplement dans l'égalité devant la loi, le droit pour tous et le devoir à partager.

En fin, le peuple aspire à un bonheur constitutionnel, une mutation du régime, un nouveau personnel en charge de lui offrir des sourires, de l'espoir et du bon rêve. Sinon la campagne mourante n'aurait fait qu'allonger davantage la longue nuit qui va encore continuer.