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La domination des masses

par El Yazid Dib

Le paradoxe chez nous se veut résignation dans la mesure où c'est la proie qui s'excuse par-devant son prédateur et, dérision du sort politique, c'est l'électeur qui flagorne, se ploie et courtise l'élu. N'est-ce pas là une totale domination des masses ?

Au fil du temps les amours se convertissent et endurent perfidement les fortunes de la modernité.

Des tournures neuves de vénération de personnes politiquement s'érigent dans les conciliabules, sur les grilles des plasmas ou entre les colonnes et les chroniques des édits. Le culte caractériel de la personnalité n'est plus adopté comme dans les temps perdus. Avec ou sans rituel apparent, il n'est qu'actes opaques et paroles ardemment passionnelles. A la limite il se confine dans des effets d'annonce ou des déclarations surenchérissantes.

Ma perception cotonneuse et innocente du respect de tous ; ne se paralyse pas de me mâchonner : trêves de politique ! Contiens tes immersions dans ces fonds marins qui sont loin de ta petite muse de fugace poète rarement ovationné ! Là-bas, le son n'est que murmure, les yeux, que des iris scintillants. Là-bas chez dame politique, la valeur est une tare, le vice une oriflamme. Ta politique à toi c'est le verbe pas plus. Ton amour à toi est de construire des rédactions, du bla-bla et non des projets de société. Les présidents, les ministres, les walis, les partis etc.? ne sont pas des termes de poésie, ni ne sont asservis aux règles la régissant. Que faire ? Mon inspiration grégaire à la fécondité sarcastique à l'égard de tout qui me semble, tordu et inique, ne va qu'en accroissant. Advienne que pourra ! Ad vitam aeternam ! Je ne peux me taire d'écrire et de décrire quand l'aventurisme tente de s'élever dans des normes iso, ou lorsque un rien brillant s'intitule et se titre de noblesse et de notabilité. Dans la politique, en vertu des libertés qu'elle s'octroie, il n'y a pas de statut ni de frontière à la décence. Alors pourquoi tente-t-on de me faire proscrire du giron, dévolu maintenant aux parvenus, aux ploucs et malséants ? Moi je ne narre ce je crois, je décris ce qui me révolte.

Le désir d'être le plus en vue dans une société ou à la tête de l'attelage d'un mouvement a tout de temps animé jusqu'à la mort, l'homme, cette ambition humaine itinérante. L'histoire nous renseigne et nous enseigne que l'idée première de l'homme fut cette tendance d'hégémonie et de domination de ses pairs tant par la force et la ruse que rarement par la guidance et l'éclairage. C'est la lumière qui chasse les ténèbres comme le savoir chasse l'ignorance. Mais sitôt l'intrigue et la magouille se sont faites des issues à partir des latrines, vérandas et des coulisses préromaines. La société et la politique sont l'œuvre de créatures à l'apparence humaine. Les effets ainsi non escomptés sont l'accomplissement d'êtres hantés et possédés qui par ses anges, qui par ses démons.

Dès que le dit-désir de pouvoir être ou au moins le paraître s'aiguisé, qu'il commence à s'installer dans le corps et l'âme de ceux qui pensent tantôt à tord que les portes de la gloire leur sont grandement ouvertes tantôt à raison pour ceux envers qui la prospérité et l'histoire garderont toujours vives leurs œuvres sempiternellement accomplies. L'idée de la ministrabilité germe au sein de toute tête. Maintenant, l'on assiste à la fièvre de la présidentiabilité. De l'écrivain émérite à l'émigré franco-x, tous bénissent le vœu de la candidature à la magistrature suprême. Il est facile de signer des livres, juxtaposant ainsi une joie d'auteur et un honneur de lecteur, mais le faire pour des ordonnances ou des décrets c'est juxtaposer indéfiniment des générations, des avenirs, des histoires, des géographies et des carrières. Président n'est pas un métier, c'est un sacre.

L'histoire se dresse par-devant l'homme telle une fresque vierge et géante dans toutes ses dimensions, pourvu qu'il ait de quoi pouvoir aisément l'observer. A charge pour lui, selon ses compétences, sa sagacité, et son don, d'en apporter les nuances et d'en faire ou bien une image idyllique ou une image satanique. Les signes, les taches et tout autre graffiti, par l'ardeur ou la mollesse de « l'artiste » restent indélébiles et prennent l'apanage de signatures testimoniales de leurs auteurs. Le temps trace sur les fronts, des rides que même le temps n'arrive point à les résorber. Etre président des algériens n'est pas une simple question d'histoire, de livres réussis ou de professorat accompli.

Ainsi la plupart des régimes qui ont dirigé les peuples à travers les âges, n'ont évolué que par une sorte de fatalité les menant aux dépens de leurs sujets ; vers la tyrannie de clan dont les étapes successives auront pour nom, l'ordre public, la souveraineté nationale, l'intégrité territoriale et la menace de l'ennemi. Par ces concepts forçant à l'excès un juridisme adéquat, les peuples s'enfoncèrent davantage dans la soumission et l'abandon vis-à-vis du pouvoir tutélaire qui les anime, impulse et les oriente vers les « voies du progrès ». De cette totale soumission naissent les leaders politiques et les faux prophètes.

Les qualifications et les substantifs se rénovent d'une contrée à une autre, proportionnellement au degré de l génuflexion à l'humain. De führer, à sid-errrais, zaïm, frère et si flen; l'humanité, dans ses sens de civilité s'est incrustée dans la bêtise de l'obéissance sans faille. Dans l'abrutissement général et « L'encanaillement » comme l'avait dit un leader qui a rempilé tout de suite. Ces sobriquets de Khan, mawlay, sire, dutche ; avant bien que les sciences de la communication ne s'affirment ; ont été fabriqués à l'effet d'abord de marquer l'obséquiosité, la révérence voire la soumission, puis l'effroi du sang et du fer ou de la géhenne et de l'enfer. Glorifier sans croyance est une lâche bonté. Obéir sans compréhension est une simple lâcheté.

Dans ces modalités de «conditionne-ment» des agrégats sociaux ; l'exercice de l'autorité, avec abus et sans limite ; a atteint le pinacle du combat et se remet exclusivement à l'avantage de son promoteur. Les rassemblements en indicatif partisan, associatif, corporatiste, confédératif ? sont le berceau du futur leader, et la subordination des adeptes, militants, partisans, adhérant forme le lit supérieur du chef, et du zaïm. Parfois et par extravagance purement bien de chez nous ; naissent, sans partis, multitude ou autres formation d'individus, des leaders potentiels. Le don habile lié à la doctrine du « peuple » et son adéquat usage sont ainsi valablement mis en alternance. Tous quémandent le peuple et semble agir en son nom jusqu'à ce que, ce dernier soit pris comme singularité de « ghachi ». Voire d'une grosse foule anonyme, épaisse et compacte.

De l'Algérie démocratique aucun président ne prétend appartenir à un parti ni ne détient officiellement une carte d'adhésion à un autre. Étrangeté aussi où c'est le parti qui s'applique à « la politique du président » et l'on se retrouve avec une kyrielle partisane unie dans la diversité et la contradiction idéologique, mais rassemblée tel un fagot d'os crâniens ; autour du noyau-président.

L'aspect alambiqué que l'on se fait sur une personnalité politique, nous ramène souvent dans les sinuosités de la folie. L'on lui retrouve mille caractères. Ferhat Abbas était un grand érudit. Messali un fin père spirituel. Boumediene le serviteur de la « Kaaba » des révolutionnaires. En réalité rien ne les assemblaient. Pas même la destinée du pays. Chacun inventait sa façon de faire. Chacun avait ses raisons mais personne n'avait absolument raison. Dans une autre époque où croyait-on, accomplies les inclinaisons sentimentales des personnes ; Chadli incarnait des caractéristiques prophétiques ; illettré disait-on, mais surdoué de sagesse et de bon sens. Zeroual en était la bravoure, le courage aurassien, le général dépolitisé. Boudiaf le niais, l'innocent sacrificiel.

Or sur le registre national ; les années post-ouverture démocratique ont façonné des gens, à la mesure de leur égo-ambition et qui en faveur de la liberté de presse et l'ouverture de l'unique télé se sont fait connaître. La population était en manque de références charismatiques ou de modèles à suivre. Les dirigeants de ces partis mort-nés n'ont pas survécu aux premières épreuves ni de l'urne ni contre la rotative de la duplication de la fraude administrative. Seule leur personne, image et look menaient leurs partis respectifs vers l'inconnu. Les Boukrouh, Saadi ; Larbi, Sofiane, Adami, Djaballah enfin, Hanoucha, vivent encore et font vivre leur personnalité par l'esprit ménopausé de quelques discours par ci, oraisons et apparitions par là. Par contre les Abassi et Belhadj avaient pu s'installer confortablement dans les cavités des cœurs de ceux qui, innocemment, se prêtaient au jeu, qui par chimère de panacée, qui par refuge ou revanche. Ils formèrent malgré tout de puissants chefs, obéis au doigt et à l'œil.

Qu'est ce qui intéressait le plus chez tous ces gens là ? Est-ce la décrépitude du pouvoir envers qui ils conduisaient leur lutte par un pouvoir aussi dégénérescent et féodalisant ? Comme le temps n'est plus aux basses et viles courtoisies, mais à une autre voltige voluptueuse qui comporte simplement, sans le ressentir, des cris et de l'acclamation à haute et accessible voix son amour et affection à telle être. Le bruit des paumes saturant les salles de meeting, est aussi une façon de formuler formellement son amour à l'égard de du leader, du sauveur des peuples, de l'orateur.

La frénésie des ovations et la puissance des décibels qui s'en dégage sont la fausse preuve de cet incandescent amour falsifié, contrefait et trafiqué. En politique l'amour est toujours aux urgences. La mort, une échéance patiente qui sait pertinemment attendre.

En ces jours d'incertitude les équipes et les clans écrasent tout cartilage idéologique pour se fondre en leaders, militants, chefs de courant ou sympathisants de partis et de partis de tout bord. Ni l'école, ni l'administration ni l'entreprise ne peuvent initialement créer des militants. Les partis ont leurs cadres militants. Nul diplôme n'y est de norme ou de statut. Le cas contraire, nul professionnalisme n'est de rigueur. La rigueur professionnelle est exigible pour les professionnels. Quant la politique sournoise et pâteuse se mêle des conditions de nomination et de dénomination du responsable politique ; les autres produits fécaux ; deviennent ; des noms sans prénoms précédés de préfixe phonétiquement conditionnel. Quand; l'on mêle sous un étendard d'un gouvernement; santé et snobisme, agriculture et opiniâtreté, flegme et formation professionnelle ; la duperie politique s'affiche et ne semble reculer devant nulle promesse. Culot étatique ! La politique semble mentir comme respirent ses ministres ! Un TAJ qui grommelle et prie les voix désorientées à se diriger d'ores-et-déjà pour se verser dans une urne non encore confectionnée en vue d'un mandat non encore élucidé, c'est de l'épouvante politique d'une ogrerie sous une cape adoucissante. Un séditieux à tamazight dans ses instants les plus fatidiques, demeurera à l'éternité sous un lien de succursale, tant que l'enivrement du poste ministériel concédé ne s'est pas évaporé. Ce sont là aussi les ingrédients du pouvoir à même d'atténuer la résistance à défaut d'altérer l'adversité et garantir le ralliement.

Les hommes politiques d'antan, s'ils ne sont pas dans l'au-delà, connaissent les affres de la marginalisation du fait des détenteurs du pouvoir dans sa dimension instantané. Ils ne s'appartiennent pas dans le principe.

Un Ait Ahmed ou un Taleb Ibrahimi, Belaid ou d'autres ; bien vivants, sont le bien propre de tout algérien. Ils sont inaliénables, insaisissables et imprescriptibles donc impartisans, car ; ce sont des personnes publiquement appartenant à la communauté. La défection en a fait tantôt une réserve tantôt une poudrière, une autre fois réserve à la poudrière. Mais avec la biologie qui les éteint crescendo ils sont là, juste pour garnir le livre d'or de tout événement national. Ce satanisme de diversion systémique du fonctionnement des rouages politiques de la nation ne va certainement nous mener nulle part. Hors du temporel il n'atteindra jamais le spirituel qu'il veut, à grandes lectures ; forcer notre croyance envers son don de sauveur ou sa vision para-naturelle des êtres et des choses. Quand le cadre politique est en poste, les tares ne sont pas dans la sphère pensante et dirigeante mais dans les êtres et les choses. Quand il n'en est plus, sa raison dépasse l'inverse et tout lui paraît insensé, injuste et incohérent. Hélas c'est une seconde nature puisée dans les trois règnes, animal, végétal et minéral dont est constitué cet homme. Avec une dose quelque peu forte d'animalité.

La politique en somme est devenue carrément un enjeu de marchandage. Les élus ne sont plus cooptés dans l'intelligence ou dans l'engagement. Ils proviennent de milieux qui veulent, après l'amas de fortunes, s'investir dans les causes de l'enrichissement. La loi. C'est ici dans l'atelier juridique où les législations se font au gré des incidences et des accointances financières. Des législateurs mercantiles ne vont jamais pondre de la législation pénalisant le retard du paiement fiscal, quand la fiscalité entière n'est plus garantie comme source principale des recettes budgétaires. Ils ne vont pas voir le dénuement social comme pauvreté mais comme fatalité et sort divin. Une tranche de mektoub. Encore que faire alors ? Revoir les textes (ils sont déjà là ces législateurs, voyez-vous !) qui régissent les partis politiques, le mode électoral et autres subséquents. En faire une charte contraignante pour tous, sacralisant le centralisme démocratique. Le Zaim devra sortir vainqueur d'épreuves longues et assidues. Il y a de ces partis qui n'ont comme siège central qu'un portable et un cartable. Zéro militants, quelques amis et une échéance électorale suffiront à ramener un sigle à la dimension d'un parti. Il suffit aussi, pour compléter l'illusion et abasourdir l'audimat, d'une table ronde ou une conférence de presse et le tour est joué !

Reformer l'Etat sans dissoudre avec ses réflexes déplaisants et méprisables vis-à-vis de sa matière essentielle qu'est le politique ; réside à la borne du bon sens, un demi-jeu infantile entre une équipe du clan du pouvoir en place et une autre juste à ses cotés. Le paradoxe, voire le satanisme chez nous se veut fatalisme dans la mesure où c'est la victime qui s'excuse par devant son bourreau, le créancier qui cède par devant son débiteur et ironie du sort politique c'est l'électeur qui suit, se courbe et courtise l'élu. N'est-ce pas là une totale domination des masses ?