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North-Stream installe Gazprom en Europe du Nord, en attendant son Sud

par Idir Ahatim

Le gazoduc North-Stream reliant la Russie à l'Europe occidentale est inauguré ce mardi 8 novembre à Lubmin, en Allemagne, 27,5 milliards de m3 de gaz naturel par an pour ce premier tube. Gazprom, principal fournisseur en a profité pour annoncer le lancement prochain de South Stream. Qui finira en Italie sur un marché traditionnel de Sonatrach. La stratégie tentaculaire du géant russe n'épargne même pas le projet du gazoduc transsaharien.

La qualité des présents situe bien la taille stratégique de l'évènement. Le président russe Dmitri Medvedev, la chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre français François Fillon assistent à la symbolique ouverture des vannes. North-Stream est le nouveau gazoduc nord-européen, qui relie directement la Russie à l'Allemagne, via la mer Baltique. Il fait de Gazprom, le fournisseur depuis les gisements de Sibérie Occidentale, l'acteur gazier majeur dans cette partie de l'Europe. C'est avec un an de retard que la première branche du gazoduc entrera donc en fonction ce mois de novembre. Le chantier de North-Stream avait été lancé le 8 septembre 2005 à Berlin, par le Président russe Vladimir Poutine, le Chancelier allemand Gerhard Schröder, et les représentants de la compagnie russe Gazprom. Le gazoduc devrait être doublé et doté d'éventuelles extensions vers la Finlande, la Suède, l'enclave russe de Kaliningrad, voire les Pays-Bas et le Royaume-Uni. La longueur du gazoduc North-Stream pourrait alors atteindre 3 000 km. Dans cette première phase, le gazoduc peut acheminer, depuis les gisements de Sibérie occidentale, 27,5 milliards de m3 de gaz par an. Un second tube, en construction, portera les livraisons à 55 milliards de m3, soit plus de la moitié de la consommation annuelle, actuelle, de gaz naturel de l'Allemagne. Le capital de North-Stream AG est réparti entre le russe Gazprom (51%), opérateur sur les gisements en amont, les allemands Wintershall Holding et E.ON Ruhrgas (15,5% chacun), le néerlandais Gasunie et le français GDF Suez (9% chacun). "Le volume de gaz fourni sera comparable à l'énergie produite par onze centrales nucléaires", affirmait Vladimir Poutine lors de la cérémonie d'inauguration. Signe de l'importance stratégique de ce projet, Gerhard Schröder, l'ex chancelier allemand, est devenu le patron de la société en charge de la gestion du gazoduc. L'enveloppe financière du projet approche les 9 milliards d'euros.

LE GAZ NATUREL : NOUVELLE ARME STRATEGIQUE RUSSE

La Russie fournit un quart des importations européennes de gaz, et 80 % des volumes transitent par l'Ukraine. Cet ancien allié avait "la tentation d'abuser de sa situation de transit", a déclaré Vladimir Poutine à plusieurs reprises, "désormais, cet avantage disparaît". L'Ukraine voit les choses autrement ; il s'agit pour cet ancien pays-satellite de Moscou de ralentir la normalisation des prix du gaz russe, cédé pour rien avant la chute du Mur de Berlin, en opposant un souci parallèle de «normalisation des prix de transit». Qu'à cela ne tienne, le Kremlin pose pour condition que Kiev accepte enfin d'intégrer l'Union douanière formée avec le Kazakhstan la Biélorussie, reniant ainsi son orientation européenne et sa candidature à l'OTAN. Détail «technique», l'Ukraine devra céder ses propres réseaux à Gazprom, option définitivement inacceptable pour Kiev.

UNE STRATEGIE TENTACULAIRE AVEC SOUTH-STREAM

En marge de l'inauguration de Nord-Stream, le patron de Gazprom, Alexeï Miller, a annoncé qu'un accord sur le gazoduc South-Stream, destiné à livrer du gaz russe à l'Europe de l'Ouest, via la mer Noire et la partie sud du continent, prévoit que le français EDF et l'allemand Wintershall participeront à hauteur de 15 % chacun. Gazprom détiendra 50 % des parts et l'italien ENI 20 %. Avec la même finalité que le Nord-Stream, il permettra à la Russie d'éviter l'Ukraine comme principal pays de transit. Prévu pour être mis en service avant 2016, ce projet sonne le glas de son concurrent mort-né, le projet Nabucco, un gazoduc qui devait livrer le gaz du Caucase à l'Europe occidentale en passant par la Turquie et les Balkans, c'est-à-dire en by-passant la Russie. Les disponibilités à l'exportation de gaz, à moyen-long terme, de l'Asie centrale ne justifiant qu'un seul gazoduc, le Kazakhstan et le Turkménistan ont joué la montre pour évaluer jusqu'où pouvaient s'engager stratégiquement l'UE et les USA en cas de conflit avec le «Grand frère russe». Le conflit en Géorgie, en 2008, leur a vite fait comprendre que mieux valait le compromis avec Moscou que l'aventure occidentale.

MEME LE TRANSSAHARIEN INTERESSE GAZPROM

Si le Nord-Stream a pour but de verrouiller la fourniture de gaz au nord-est de l'Europe, et si le South-Stream doit jouer le même rôle pour le flan sud-est du continent, il reste un projet majeur qui ne saurait, selon les stratèges moscovites, échapper totalement au leadership de Gazprom : c'est le fameux projet du NEPAD qui consiste à construire un gazoduc reliant le Nigeria au marché européen via le Niger et l'Algérie, le TSGP (Trans Saharian Gas Pipeline), pour une capacité de 30 milliards de m3 de livraisons annuelles. Gazprom, appuyé par la diplomatie russe, aurait entrepris de faire le siège des décideurs africains concernés pour prendre une part significative dans ce projet, arguant notamment de son savoir-faire en matière de grand gazoducs à construire en milieu hostile. Des observateurs avertis font remarquer que la participation régulière de Gazprom aux appels d'offres relatifs à l'amont algérien et libyen coïncide avec l'annonce de la faisabilité économique du projet. Le North Stream n'est donc qu'un segment, très important, d'une stratégie visant à accroître la dépendance de l'Europe vis-à-vis du gaz russe. Les Européens ne sont pas dupes de la montée de leur dépendance gazière vis-à-vis de Moscou. Mais ils semblent incapables de définir et mettre en place une stratégie alternative? Comme en Grèce.