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Doutes sur la zone euro

par Akram Belkaid, Paris

La crise de confiance autour de la zone euro a pour conséquence la réapparition de débats d’économistes qui ont eu lieu au cours des années 1990 avant même l’avènement de la monnaie unique européenne. A l’époque, de nombreux experts s’étaient inquiétés du caractère précipité de la création de cette devise commune en arguant du fait que les conditions idéales, mais aussi nécessaires pour une Union monétaire, étaient loin d’être réalisées.

 Parmi les préalables, on citait alors l’existence d’un gouvernement économique européen, d’une politique fiscale et budgétaire communautaire mais aussi de mécanismes de solidarité financière entre les futurs membres de l’Union économique et monétaire (UEM).

Deux raisons de s’inquiéter

 Toutes ces lacunes sont aujourd’hui rappelées par les commentateurs. Si la zone euro est à ce point sous pression, c’est, entre autres, parce qu’elle souffre de graves insuffisances qui l’ont handicapée dès sa naissance. C’est pourquoi les gouvernements concernés tentent, dans l’urgence, de colmater la brèche. Il reste à savoir si le mécanisme de sauvetage de la Grèce - et d’autres pays - va suffire à redonner à l’Euroland l’image d’une zone solide, capable de résister aux assauts des spéculateurs.

 Notons simplement que rien n’est encore joué et qu’il faut s’attendre à de nouvelles attaques contre les maillons faibles de la zone, c’est-à-dire des pays très endettés tels que l’Espagne, le Portugal ou l’Italie, cela alors que personne ne se risque à jurer que la Grèce est sortie d’affaire.

 De façon générale, deux éléments alimentent les doutes. Le premier concerne la situation budgétaire des Européens. Conséquences de croissances atones et de politiques fiscales laxistes - à l’image des baisses d’impôts pour les ménages les plus aisés en France –, les caisses des Etats sont vides et l’on se demande bien où les centaines de milliards d’euros d’aide que l’on annonce depuis quelques jours vont être trouvées en dehors de nouveaux endettements qui vont aggraver le déséquilibre des comptes. Que se passera-t-il si, demain, les marchés décident de ne plus prêter aux Européens, ou bien encore si la Chine, les pays du Golfe et même le Japon traînent des pieds pour ouvrir leurs porte-monnaie ? La crise financière qui éclatera alors aura une ampleur sans commune mesure avec ce que nous vivons actuellement.

 Le second élément est la probable incapacité des membres de la zone euro à s’entendre un jour autour d’une politique économique commune. Qui va par exemple convaincre l’Allemagne de cesser son cavalier seul, lequel consiste à miser sur les exportations au sein même de la zone euro et cela au détriment de ses partenaires européens ? Comment les pays les plus riches de cette zone, on pense à l’Allemagne mais aussi aux Pays-Bas, au Luxembourg ou à la Finlande, vont accepter des sacrifices ou des rééquilibrages afin d’aider les pays du sud de l’Europe à améliorer leur compétitivité ? Cela donnera lieu à des discussions sans fin et à des marchandages que les promoteurs de l’UEM n’avaient pas voulu assumer dans les années 1990 et rien ne dit que les états d’esprit ont changé depuis.

Le spectre du populisme

 Faut-il pour autant se laisser convaincre que l’heure du déclin a vraiment sonné pour les Européens, au moment même où les pays émergents affichent une santé financière éclatante ? Ce serait aller trop vite en besogne car, qu’on le veuille ou non, l’Europe demeure une zone de paix et de droit. Ce potentiel démocratique lui offre la capacité d’encaisser les crises et de trouver des solutions par la discussion et la négociation. Dès lors, la question qui se pose est de savoir si les événements actuels ne vont pas être du pain béni pour tous les mouvements politiques populistes et xénophobes qui affichent déjà un certain dynamisme à l’Ouest comme à l’Est du Vieux Continent. Plus encore que l’éclatement de la zone euro, c’est donc le retour d’une Europe que l’on croyait disparue à jamais qui doit inquiéter.