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Brève chronique d'une hospitalisation en temps de Covid

par D. T.

Parfois nous vivons des aventures et des situations dramatiques par procuration dans des romans ou des films qui nous amusent ou nous émeuvent. En pensant que ça n'arrive qu'aux autres. Mais un jour cette aventure de quelque sorte que

ce soit c'est nous qui la vivons directement et dans notre chair. Comme les autres. Le contexte est à la pandémie. La peur est diffuse et partout. C'est la terreur d'un virus inconnu et cruel.

La bavette fait partie du nouveau décor social. Les relations sociales sont perturbées. Le bon sens invite donc à s'éloigner de tout et de rien et surtout par instinct de conservation des enceintes hospitalières. Mais ce, quand on est en bonne santé. Quand on n'a jamais été hospitalisé. Mais si par la volonté de Dieu, une hospitalisation devient non seulement nécessaire mais également suivie d'une intervention chirurgicale propulsant ainsi le nouveau malade vers une destinée précaire que va-t-il faire ? Car il va affronter un monde qu'il ne connaît pas et qui lui fait peur. Que va-t-il devenir ? Comment va-t-il être traité ? Comment va-t-il être pris en charge ? Quel est le niveau de risque ? Que n'a-t-on dit sur la médecine locale ? Et surtout aussi on pense à nos enfants, à notre famille...

Tout cela pendant que le cours des choses suit son cours. Ce cours concerne les procédures car il faut préciser que votre dossier médical dûment déposé sur recommandation de votre médecin traitant est d'abord confié à un médecin assistant, en l'occurrence cette fois-ci, le Dr Touil, qui doit le présenter devant une commission médicale ad hoc pluridisciplinaire appelée RCP. Si elle recommande l'hospitalisation un examen préalable autour de vos capacités physiques par un médecin anesthésiste ou réanimateur est obligatoire. Ces préliminaires médicaux achevés, votre nom s'inscrira sur le programme des interventions chirurgicales et le jour J de votre intervention vous sera communiqué. Tout cela reste médico-administratif et vous avez parfois l'impression qu'il s'agit d'une autre personne. Et que ce jour J est refoulé... pour ne réapparaître que lors de fugaces éclairs de rappels douloureux et de questionnements profanes.

Mais la marche du temps étant irrémédiable, ce jour se lèvera pour vous bien plus tôt que le soleil. Bien avant l'aube vous êtes déjà engagé dans votre destinée... un nœud vous étreint le cœur. Un courant mystérieux vous entraîne à votre corps défendant.

La miséricorde de Dieu prend une autre dimension et vous vous découvrez instinctivement à demander à vous mettre sous sa protection. Et la prière du fajr devient plus solennelle que d'habitude.

Car cette subite fragilité du fil de votre vie réveille votre âme et vous rend humblement fataliste. Vous vous confiez.

Il est 8h. Et c'est le lundi de l'hospitalisation.

Une infirmière vous accueille à l'étage du service et vous indique votre lit. Et vous savez que demain vous allez être anesthésié, opéré et si Dieu le veut réveiller.

Pour vous c'est principalement l'inconnu dans l'incontournable.

L'angoisse se conjugue à présent à l'espérance. Cette nuit de veille est grise et vous balance entre le sommeil et un futur lendemain.

Puis l'aube de ce jour J de ce mardi et le cheminement au-delà du temps vers 8h... l'heure H approche. On tend l'oreille, le regard. On épie les mouvements de tout un chacun puis vient le chariot. Allongé sur ce brancard roulant le convoi vous dirige vers l'antre sacré. Le bloc opératoire. Il y fait froid. Il y règne un remue-ménage organisé préparant la mise en place du protocole opératoire. Je prononce la chahada et je confie mon sort à Dieu et au chirurgien. On me branche à une bouteille de sérum. Puis quelqu'un y injecte une solution d'une façon anodine pour ne pas m'alerter probablement. Et avant d'avoir eu le temps d'y réfléchir je sombre dans la nuit anesthésique. C'est l'inconscient qui pénètre dans le néant. Pour je ne sais combien de temps.

Je découvrirai plus tard que l'intervention chirurgicale a été pratiquée par le professeur Benatta chef du service, assisté des chirurgiens Belgacemi et Bouazza et d'autres praticiens. L'anesthésiste étant une dame qu'on dit compétente.

L'intervention dure presque trois heures mais pour moi c'est un mini «ahl el kaf». Je n'ai rien ressenti. Mon cerveau s'étant déconnecté de mon corps. La douleur n'étant pas canalisée devient inopérante. Par le miracle aujourd'hui banalisé de l'anesthésie. Cette «trouvaille» qui a révolutionné la médecine en l'adoucissant.

Et c'est ce même mardi en après-midi que je reprends progressivement conscience au niveau de la salle de réanimation.

Je découvre au fur et à mesure que je suis branché à un oscilloscope et alimenté en oxygénothérapie par les deux narines.

Le réveil est le moment le plus sensible parce qu'il peut révéler les éventuelles complications.

La surveillance est permanente et les médecins font preuve de rigueur et de vigilance surtout à cette étape. Les visites sont interdites même si c'est la phobie du Covid qui empêche les gens de se présenter. Cet empêchement plonge le pavillon dans un calme et une torpeur salutaires qui permettent au malade de profiter de successifs moments de somnolences reposantes, déchirés de temps à autre par les appels téléphoniques qui tentent de remplacer les visites.

Les mercredi et jeudi suivants sont les journées de la mi-conscience. Et des douleurs postopératoires parfois lancinantes.

Le patient est balancé entre le rêve et la réalité. La vision est diffuse et opaque. Et les voix sont des rumeurs discordantes dans un brouhaha vocal.

Les douleurs sont diffuses et persistantes, celles de la plaie et des gaz intestinaux résultant des suites de l'anesthésie. Cette souffrance nous rend très vulnérable. On guette alors un sourire bienveillant, une parole réconfortante, une certaine empathie face à nos longs et lents gémissements. Et cette attente n'est pas déçue.

Car progressivement on se découvre encadré et porté par un personnel médical et paramédical surtout féminin remarquable de disponibilité et de patience. Justifiant ainsi les appréciations positives d'anciens malades ayant séjourné dans ce pavillon 8 de l'urologie du CHUO en matière de professionnalisme médical et de soins paramédicaux.

Tous les médicaments et autres produits sont disponibles et dispensés régulièrement et rigoureusement selon le protocole posé par le médecin opérateur. Des prélèvements de sang pour évaluer la progression de votre état sont régulièrement faits et transmis au laboratoire d'analyse de l'hôpital même.

Malgré l'ancienneté de l'immeuble, réfectionné de temps à autre, l'étage est maintenu propre et bien aéré. Et même si la literie est tout juste acceptable, tout ce monde exerce d'une façon moderne. Et les médecins et paramédicaux s'activent dans une harmonie professionnelle étonnante dans cette vétusté qui aurait pu décourager.

Le patient se sent pris en charge et surtout écouté. Il se surprend à aimer toutes ces personnes qu'il ne connaissait pas avant, et surpris, presque de leur dévouement. Ceci explique, peut-être, cet afflux quotidien de patients en souffrance urologique de plusieurs wilayas semble-t-il vers ce pavillon et vers son extension historique en chalet et en pavillon 6. Ces extensions occupent plusieurs activités telles que les premières consultations, l'infirmerie spécialisée pour le suivi des anciens malades du service, les rendez-vous pré-hospitalisations, et postopératoires, ainsi qu'une urgence urologique. Il faut ainsi imaginer la masse dans les conditions actuelles, non seulement de travail, mais surtout d'exigence de patience et d'empathie envers tous ces porteurs d'une détresse physique.

Ce service d'urologie d'où j'en sors m'a permis de découvrir agréablement un jeune Professeur entouré d'une jeune génération de médecins tous prometteurs et de paramédicaux tout aussi dévoués, avec une mention particulière aux infirmières du service. Toutes ces personnes je ne les connaissais pas. Elles m'ont pris en charge comme n'importe quel malade. Assidûment et avec gentillesse. Et j'étais paradoxalement triste en les quittant. Et les mots m'ont manqué pour leur exprimer ma gratitude. Ce témoignage je le fais en mon âme et conscience et il reflète l'exacte vérité. Car je ne pouvais pas rentrer chez moi et ne pas rendre cet hommage à ces gens de l'ombre, ces femmes et hommes en blanc qui affrontent en silence la détresse humaine. Non seulement ici mais partout dans les hôpitaux. En bravant la peur et la fatigue.

Je ne sais pas comment cela se passe ailleurs et je ne témoigne ici que ce que j'ai eu à vivre et à voir personnellement en rapport à ce pavillon pendant mon séjour. Et ce que j'y ai vu m'a rassuré sur l'avenir de la médecine algérienne. Alors je leur exprime du fond de mon cœur ma reconnaissance envers vous tous et mon chaleureux merci.