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LES JUSTES (II/II)

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Les amis, des frères. Dictionnaire biographique des soutiens internationaux à la lutte de libérationnationale algérienne. Ouvrage de Rachid Khettab (nouvelle édition revue et augmentée). Dar Khettab, Boudouaou 2012 - 416 pages +12 pages de photographies. 1 300 dinars (Déjà publiée. Augmentée).



«Les colonialistes les classaient dans la catégorie des traîtres à la patrie, d'autres, à gauche, taxaient à tort d'«entrisme» leur appel à l'insoumission. On saluera dans leur engagement l'honneur du peuple français. Pourtant, leur résistance est ignorée pour une grande part en Algérie, où une réévaluation de l'opposition en France à la guerre s'impose. C'est pour nous une dette à honorer à l'égard de ceux qui ont risqué leur vie, brisé leur carrière ou compromis leur vie familiale». C'est là un extrait d'une préface, signée Mohamed Harbi, au livre de Anna Beaumanoir (Editions Bouchène, Paris 2002).

Uniquement en France, ils étaient entre 2.000 et 3.000 personnes qui activaient dans les réseaux de soutien à la cause algérienne, à travers des associations, des comités, en groupe ou individuellement. On a eu les «Porteurs de valises» si fameux, mais il y eut aussi des centaines et des centaines au niveau d'autres nations. Sans parler des pays africains, sous domination coloniale, des pays asiatiques, des pays arabo-musulmans (à la solidarité «mécanique») et des pays socialistes dont les interventions et les aides s'effectuaient à travers les appareils de l'Etat... cela n'excluant pas les soutiens individuels et les élans collectifs de solidarité.

On a eu, aussi, ceux qui ont rejoint les rangs de l'Aln (dans ses bases en Tunisie et au Maroc, tout particulièrement) ou dans les représentations algériennes disséminées à travers le monde. Bien d'entre eux sont entrés en Algérie après l'Indépendance. Citoyens algériens, il y résident encore. On a eu... On a eu...

Quelques noms pris au hasard... des deux genres, de (presque) tous les métiers, de (presque) tous les pays et nationalités (on a même eu un «Comité israélien pour une Algérie libre» créé à Tel-Aviv le 28 décembre 1960, fondé - pour soutenir l'indépendance de l'Algérie - par 17 personnes dont Henri Curiel et Uri Avnery)... : l'Abbé Pierre, Adamov Arthur, Anderson Nils, Arnaud Georges, Claude Autant-Lara, Avnery Uri, Alain Badiou, Robert et Denise Barrat, Roland Barthes, François Borella, l'Abbé Boudouresque Bernard, André Breton, René Capitant, Aimé Césaire, Jacques Charby, Pierre Clément, l'Abbé Corre Christian, Cuenat Hélène, Henri et Josette Curiel, Takusaburo Dan (Japonais), Dominique Darbois, Robert Davezies, Jacques Paris de Bollardière, Simone de Beauvoir, Paul Marie de La Gorce, Nikki de Saint Phalle, Alioune Diop, Marguerite Duras, Favrod Charles Henri, Françoise Giroud, Edouard Glissant, Felix Guattari, Gisèle Halimi, Francis et Colette Jeanson, Alfred Kastler, Kennedy John Fitzgerald, Bernard Kouchner, George Labica, Leiris Michel, Lindon Jérôme, Louis Massignon André Prenant, Marina Vlady, Sartre Jean-Paul, Schwartz Laurent, Simone Signoret, Pierre Henri Simon, et d'autres, et d'autres...

L'auteur : Sociologue de formation, diplômé d'universités (Montpellier et Paris), après avoir exercé plusieurs métiers, il fonde sa maison d'édition en 2006... et ce, afin d'offrir au public des ouvrages de référence dans différents domaines.

Extrait : «Nous n'oublierons jamais qu'ils ont accepté de souffrir pour notre liberté et, quand l'Algérie sera enfin indépendante, c'est le souvenir que nous emporterons de la France et non pas la haine de nos tortionnaires» (Extrait d'une déclaration de Haddad Hammada, lors du procès dit du «Réseau Jeanson» au tribunal de la prison du Cherche-Midi, en 1960. Exergue p 5). «La guerre de libération nationale algérienne était l'œuvre des Algériens, mais sa réussite n'était possible que grâce à l'élan de solidarité internationale qu'elle a suscité à travers le monde et au mouvement d'opposition qu'elle a déclenché en Europe et en Algérie, même auprès des Français» (Introduction, p 7).



Frères et compagnons. Dictionnaire biographiqued'Algériens d'origine européenne et juive et la guerre de libération (1954-1962). Ouvrage de Rachid Khettab (nouvelle édition revue et augmentée). Dar Khettab, Boudouaou 2016 (1ère édition, 2012) - 396 pages +13 pages de photographies. 1.100 dinars. (Déjà publiée. Augmentée).



«Je ne suis pas musulman, mais je suis Algérien, d'origine européenne. Je considère l'Algérie comme ma patrie». C'est là un court extrait de la lettre adressée à la presse et aux autorités françaises, en 1956, par Henri Maillot. Des phrases qui peuvent être mises dans la bouche de presque tous les 250 personnes recensées (pour l'instant, car le travail de recherche n'est pas terminé) par l'auteur. 250 fiches biographiques, courtes ou longues, mais toutes, en dehors du côté plus qu'émouvant ressenti lors de la lecture, montrent combien l'engagement de centaines d'Européens (car il ne faut pas oublier que tous ces militants de l'indépendance et de la paix avaient aussi une famille qui, bien souvent, s'est engagée avec eux et a souffert, parfois plus que bien des «indigènes» : emprisonnements, tortures, éloignement et dispersion de la famille, enfants séparés de leur père ou de leur mère, couples brisés... ).

L'inculture aidant, on a tendance, surtout dans l'Algérie des toutes nouvelles générations quasi-totalement déconnectées de l'Histoire vraie du pays, à oublier que l'Algérie des années 50 du siècle passé (sous occupation française) était cosmopolite, composée essentiellement, certes, d'Algériens d'origine berbéro-arabe, de huit millions d'habitants, principalement de confession musulmane, d'une population chrétienne d'un peu plus d'un million d'habitants et d'une population de confession juive (environ 150.000 habitants) établie en Algérie bien avant la colonisation française et dont les racines pour la plupart d'entre eux remontent à l'Antiquité, bien avant que les Romains n'occupent le pays. Le décret Crémieux de 1870 leur avait accordé la nationalité française, néanmoins, ils restaient bien plus Algériens que les nouveaux colons.

Rien d'étonnant donc qu'aux côtés des «indigènes», et souvent bien avant le 1er Novembre 54, on retrouve des chrétiens et des juifs s'engageant dans le soutien et /ou la lutte pour la liberté et l'indépendance. Certains sont devenus de véritables héros de la Révolution et reposent dans les carrés des martyrs. D'autres vivent encore dans leur pays d'origine (malgré bien des malentendus et/ou erreurs politiques en 62, puis en 65 et juste après, et les dérives islamistes des années 90), fiers d'avoir participé à la libération du pays... puis à sa reconstruction. Des rues et des places portent des noms de chouhada d'origine européenne et juive... Mais, hélas, cela reste bien insuffisant... et ce livre vient combler un peu le vide mémoriel sidéral que nous entretenons... par manque d'archives... et de culture historique ouverte sur le monde et l'universel .

Quelques noms pris au hasard : Jacqueline Guerroudj, Myriam Ben, Alice Cherki, Felix Colozzi, Hélène Cixous, De Maisonseul, Henri Maillot, Fernand Yveton, Maurice Audin, Frantz Fanon, Lisette Vincent, Jean Sénac, Jean Pélégri, Georges Torrès, Jean Pierre Said, Paul Amar, Henri Zanettacci, Georges Hadjadj, Rose Serrano, Raymonde Peschard, Henri Alleg, Daniel Timsit, Djamila Mine-Amrane, René Azoulay, Raymond Neveu, Mgr Teissier, Mgr Scotto, Claudien et Pierre Chaulet, Suzanne Chaulet, André Mandouze, Famille Pareto, Anne Marie Louanchi, Annie Steiner, Evelyne Lavalette, Famille Riveill, Serge Michel, Alexandre Chaulet, Mgr Duval, Georges Acampora, Baptiste Pereto... et d'autres... et d'autres.

L'auteur : Voir plus haut.

Extrait : «La plupart de ceux qui ont apporté leur soutien à la lutte de libération nationale dans la minorité européenne ou juive sont restés en Algérie après l'indépendance entre 1962 et 1965... Tous ont exprimé la fierté d'avoir été pour la libération de l'Algérie et d'être Algériens» (p 19).

Avis : De la superbe recherche historique (celle d'inventaire). Des fiches biographiques... Profonde émotion à leur lecture. Avec des annexes (textes et photos) d'une grande intensité.

Citations : «L'idéologie colonialiste en Algérie reposait fondamentalement sur une stratification sociale et économique dont le critère était l'appartenance ethnique et religieuse» (p 10)., «La révolution algérienne n'a pas pour but de «jeter à la mer» les Algériens d'origine européenne, mais de détruire le joug colonial inhumain» (p 12, extrait de la plateforme du Congrès de la Soummam). «Le temps est venu de choisir et de préférer à l'illusion des races la réalité d'un pays» (p 368, Jean Sénac, Extrait de la «Lettre à un jeune Français d'Algérie», mars 1956). «Il est faux de dire qu'il y a deux communautés en Algérie. En réalité, il y a deux camps : celui du colonisé et celui du colonisateur. Colonisés et colonisateurs ne peuvent plus, à notre époque, cohabiter. C'est là tout le problème «( p 390, Extrait d'une interview de Ferhat Abbas, 23 juillet 1957, in «La Révolution Algérienne» de Charles-Henri Favrod).