Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

MYTHES ET REALITES

par Belkacem Ahcene-Djaballah

L'ALGERIE ET LA LANGUE FRANÇAISE OU L'ALTERITE EN PARTAGE.

Essai de Rabeh Sebaa (préface de Abderrezak Dourari). Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou 2015), 110 pages, 500 dinars.

Depuis plus d'un demi-siècle, le problème de la langue française ne cesse de tarauder et de chagriner les esprits d'une bonne partie de notre élite intellectuelle et politique (sic !) : on a eu d'abord les arabistes rejoints par les nationalistes mortellement anti-colonialistes et anti-impérialistes (pour la plupart francophones de formation), ensuite les baâthistes et autres pan-arabistes et enfin, tout dernièrement, les islamistes et autres crypto-islamistes.

Au milieu de la tourmente, les choix furent, pour l'école algérienne, à chaque fois, car trop politisés, hasardeux, avec des résultats catatrophiques. Perte (de niveau mais pas de terrain) du français, gain quantitatif, seulement, de l'arabe conventionnel (littéral comme on dit) sans excédent qualitatif, oubli et/ou marginalisation des langues maternelles. Un grand gâchis qui se paie cash. On comprend, donc, le (grand ) souci de nos chercheurs (je dis bien chercheurs et non charlatans et autres polémistes, perpétuels «chercheurs d'os») d'aller au fond des questionnements majeurs liés au problème des langues, en Algérie.

Aujourd'hui, 63 ans après l'Indépendance, 60% de la population algérienne peuvent être considérés comme francophones «réels» (30%) ou «occasionnels» (30%) . L'Algérie (qui n'est pas, officiellement, membre de la francophonie), est considérée comme le premier consommateur de produits culturels français, en Afrique et dans le monde arabe. 600 000 étudiants dans les universités parlant tous, peu ou prou, le français. Elle se classe au deuxième rang mondial des pays de plus de 100.000 apprenants de français, loin devant le Québec. Ce qui en fait le second pays francophone au monde?Tout ceci sans parler des 40% restants de la population qui entretiennent un rapport quotidien à la langue française, langue de leur environnement sémiologique et communicationnel. Sur les lieux de travail ou de passage, presse écrite francophone, panneaux et affiches publicitaires, enseignes commerciales, bains linguistiques sonores, télévisuels et radiophoniques, «francophonisation à rebours», au sein des universités...

«Les pires ennemis de la langue arabe se nichent, souvent, parmi les arabophones et les premiers à avoir descendu la langue française en Algérie se trouvent parmi d'indécrottables francophones» écrit l'auteur. Des troubles des uns et des autres qui renvoient, invariablement, à un malaise social qui perdure et qui rend encore plus difficile le travail de réforme, d'ouverture ou de modernisation entrepris par certains gouvernants du secteur de l'Education, entre autres. On a perdu les fruits du talent de Malek Haddad, on a «tué» Mammeri, Mostefa Lacheraf l'a payé très cher, Boudjedra a bridé son génie et Nouria Benghebrit n'a pas fini de souffrir. De l'autre côté, Amine Zaoui, Waciny Lâaredj et Ahlam Mostaghenemi essayent de colmater les brêches. Mais, ils sont si seuls face aux nouveaux radicaux.

L'Auteur : Spécialiste de l'anthropologie culturelle et linguistique, auteur de plusieurs autres essais, sociologue, enseignant-chercheur, collaborateur à la presse nationale

Avis : Un livre qui va? droit au but. Démarche rigoureuse tout en étant simple et claire, loin de toute démagogie. A lire avec modération par les arabo-nationalistes car risque très fort d'apoplexie.

Citations : «Plus qu'un butin de guerre, selon la formule consacrée, la langue française était un instrument de guerre au service des Algériens» (p 10), «La langue française apparaît, jusqu'à présent, comme un legs historique difficile à intérioriser mais également comme pan de conscience linguistique impossible à refouler» (p 21), «La destinée de la langue française allait se trouver scellée par, ou à cause, des moyens mis en œuvre pour la bannir (...). C'est, paradoxalement, l'arabisation politique qui va conforter la francophonisation sociale. En d'autres termes, la confirmation sociale de la langue française s'est fondée sur les intentions politiques de son infirmation» (p 41), «La langue arabe conventionnelle, telle qu'elle est enseignée dans le système éducatif, n'est pas une langue étrangère à la société mais c'est une langue qui lui est extérieure. Elle reste en décalage par rapport à la sensiblité ordinaire des langue arabe et amazighe algériennes, sans leur être opposée. La proximité tant dans le son que dans le sens, est plus que patente» ( p 67), «Sans être la langue officielle, elle (la langue française) véhicule l'officialité. Sans être la langue d'enseignement, elle reste une langue privilégiée de transmission du savoir. Sans être la langue d'identité, elle continue à façonner l'imaginaire culturel collectif de différentes formes et par différents canaux. Et, sans être la langue d'université, elle est la langue de l'université» (p 69), «Si la langue française s'est emparée de la société algérienne une seule fois, la société algérienne, elle, s'est emparée deux fois. La première fois pour exprimer, et la seconde fois pour s'exprimer» ( p 94)

CHRONIQUES ARABES DES CROISADES. Livre d'histoire de Francesco Gabrieli (traduit de l'italien par Viviana Pâques). Barzakh éditions, Alger 2014 (Sindbad/Actes Sud,1996), 405 pages, 950 DA

En fait cet ouvrage était destiné d'abord au lecteur occidental. L'auteur voulait l'«aider» à avoir une idée sur la période des Croisades mais vues de l'autre «côté», c'est-à-dire selon les témoignages et les sentiments de l'adversaire d'alors? les Arabes et les Musulmans.

 L'auteur a accompli un vaste travail de compilation (avec des commentaires critiques ou/et explicatifs intégrés? parfois assez orientés) des écrits d'une sélection d'auteurs (en fait des historiens musulmans, pour la plupart non-arabes, mais écrivant en arabe ) connus ou non (17 au total, de Ibn al-Qalânisî et Ibn al-Athîr à Abû al ?Fidâ' et Abû al-Mahâsin, en passant par Ibn Wasil et Sibt Ibn al-Jawzi? avec des notes biographiques, en fin d'ouvrage), selon les périodes présentées (une chronologie des événements est présentée en fin d'ouvrage) :

-De Godefroy à Saladin.

-Saladin et la Troisième croisade.

-Les Ayyûbides et les attaques contre l'Egypte.

-Les Mamlûks et la liquidation des Croisades.

Trois éléments essentiels transparaissent :

- Les premières attaques des Croisés frappèrent l'Islam à un moment critique de son histoire? à un moment où le territoire est fractionné en émirats et sultans rivaux? D'où des contre-croisades assez inefficaces. L'arrivée de Saladin au pouvoir changea la donne d'où une Troisième croisade pour endiguer l'offensive musulmane et renforcer les vacillants Etats chrétiens du littoral? Puis, une Quatrième et une Cinquième.

Deux siècles de résistance arabo-musulmane face aux invasions de la chrétienté latine avec les Frang (les Francs? différents des Rûm de Byzance), avec des trêves précaires, avec ses ruines, ses massacres et ses dommages causés à l'Islam sur des territoires siens depuis cinq siècles et causés, aussi, pour des siècles à venir (jusqu'à nos jours ?), aux relations humaines inter-communataires.

 - On chercherait, selon l'auteur, vainement dans l'historiographie musulmane, une «histoire des guerre contre les Francs», organisée de façon exclusive et centrale (mis à part, peut-être, Ibn al-Athir). On a, surtout, des histoires générales, des histoires de villes ou de provinces, des histoires centrées sur des dynasties ou des régions, des écrits de caractère essentiellement biographiques?Mais, globalement, «on peut dire que le niveau moyen des historiens arabes des Croisades est supérieur à celui des chroniqueurs chrétiens»

- On ne peut jamais parler, dans la rigueur du terme, de paix avec les Francs, «comme avec les infidèles en général», mais seulement des trêves transitoires quand l'occasion ou la nécessité y poussent. La plus célèbre paix ou trêve est celle de 1192, entre Richard et Saladin? «fortement discutée dans le camp musulman».

L'Auteur : Né en 1904 et décédé en 1996, il a été professeur de langue et de littérature arabes, à l'Université de Rome. A son actif, plusieurs ouvrages consacrés au monde musulman ancien et moderne, dont beaucoup ont été traduits en français.

Avis : Ouvrage extrêmement bien documenté, mais attention aux commentaires qui peuvent ne pas plaîre.

Citations : «Au Moyen-Age, l'Islam et le Christianisme se sont heurtés non pas en tant que deux civilisations radicalement différentes, mais en tant que forces aspirant avec autant d'ardeur à l'universalité, à s'imposer jusqu'au raidissement le plus fanatique. De nos jours, ce fanatisme, le plus souvent, a bien diminué ; il s'est transféré vers d'autres oppositions, au fond, également, religieuses» (p 11)

LES BERBERES CELEBRES. Ouvrage historico-documentaire de Mohand Akli Haddadou. Berti Editions, Alger 2012 (2e édition), 235 pages, 1.000 dinars

S'il y a un chercheur qui s'est totalement investi dans la connaissance du monde et de la civilisation berbère, en Algérie tout particulièrement, c'est bien Haddadou. Un gros et vrai travail de fourmi qui est arrivé, peu à peu, à nous «recadrer» par la mise à jour (plus pratique, donc avec des effets plus percutants) de faits, d'actes et d'hommes qui ont fait notre commune Histoire? maghrébine (faisons large en parlant de toute l'Afrqiue du Nord !)

La liste présentée est assez longue, bien que non exhaustive. Cela ne peut que nous remplir de fierté d'avoir des liens forts ou ténus, mais des liens de parenté tout de même avec toutes ces célébrités : Il y a celles des légendes comme Athéna (qui l'eut cru !), Antée (le géant africain de la mythologie méditerranéenne), Poséidon, Atlas, Nit, Hash et Ammon ( les divinités égyptiennes d'origine berbère), Tin Hinan, la reine de l'Ahaggar, l'ancêtre légendaire des Touareg. Il y a les Souverains et hommes d'Etat comme Meshern, Megheiy et Sheshonq, des conquérants, chefs de guerre et pharaons d'Egypte?et Massinisa, Syphax, Juba II, Al Malzuzi, l'Imam ibadite du 8ème siècle, Khalfun, Mufarridj et Sudan, les souverains de l'Etat berbère de Bari, en Sicile, au 9ème siècle, Ziri, Buluggin, Al Mans'ur, Badis, Ibn Tashfin, Al Mu'izz, Ibn Tumert, ?Abd Al Mu'min, Yaghmorassen, Al Baruni (savant ibadi'ite et homme politique libyen,) ?Abd El Krim, (fondateur de la Républiqyue du Rif)?

Il y a les héros et les martyrs de la liberté, comme Mathos, Jugurtha, Juba 1er, Tacfarinas, Firmus, Kusila, Kahina, Tariq Ibn Ziyad, Fadhma N'Soumer, El Mokrani, ?Assu U-Ba Slam (chef de la résistance marocaine à la pénétration française)...

Il y a les Saints mystiques et religieux, comme Cyprien, Donat, Monique (Ste), Ibn Warzand, Sidi Mah'rez, Salih' et H'Amim, des hérétiques berbères qui se présentèrent comme prophètes, Abu Yaza'a, Ibn Al A-rif, Al Hirrali, Ahmed Ben Yusef, Al Djazuli, Ben ?Aisa, Ma'Al'Aynayn,Cheikh Muh'And u Lh'sin,...

Il y a des savants, des hommes de lettres et des artistes come Terence, Apulée, Tertullien, Minucius Felix, Arnobe, Augustin, Abbas Ibn Firnas, Ibn Al Djazzar, Makki, Ibn Rashiq, Ibn Batt'uta, Ibn Qunfudh, Sidi h'Ammu, Al Shawi, Al Wartilani, At'Fiyash, Si Moh'and, Amrouche, Iguerbouchène, Feraoun, Taos Amrouche, Mammeri, Azem, Issiakhem, Kateb, Damsiri, Khair-Eddine, Djaout, Matoub.

Et, il y a d'autres et d'autres, des dizaines et des dizaines, de Gaia et Micipsa, à Mohammed Arkoun et Baya, en passant par El Anka et Al Djarmuni?sans oublier, bien sûr, nos héros de guerre comme Abdelkader, Abane, Ben Boulaid, Krim Belkacem, Amirouche?.

L'Auteur : Né en Kabylie (tribu des Ait Waghlis), linguiste diplômé de l'université, enseignant universitaire, parfait trilingue (arabe, français et tamazight), écrivain s'étant spécialisé dans la recherche sur l'histoire des civilisations, il est l'auteur d'un grand nombre d'ouvrages.

Avis : Avec des ancêtres pareils, présentés simplement et avec rigueur dans des fiches biographiques et descriptives commentées ou non, les nouvelles générations du Maghreb ont de quoi être plus que fiers de leurs pays, de leur région. Exemple à multiplier, en évacuant, bien sûr, la logorrhée démagogique et dithyrambique. Dommage qu'il y manque une note de présentation ou une introduction. De plus, l'auteur n'est même pas présenté en 4ème couverture.

Citations : «Ce sont des Berbères qui se sont illustrés, dans l'histoire, par les mythes qu'ils ont inspirés, les ouvrages qu'ils ont écrits ou les faits d'armes dont ils se sont illustrés? Même s'ils ont adopté d'autres langues que la leur, même s'ils ont partagé la destinée d'autres peuples, embrassé d'autres religioons, ils ont toujours su préserver leur personnalité et affirmer leur particularisme «( 4ème de couverture)

Ps : Rencontre pédagogique internationale de trois jours à Oran (Crasc) ? 17, 18 et 19 novembre - sur «l'enseignement de la littérature» à l'école et à l'université : Relative «mise à l'écart» de la littérature «accentuant» de ce fait «la chute du niveau des étudiants en langues, plus prompts à converser qu'à écrire ou à créer dans la langue apprise»... et si «la venue du numérique dans l'enseignement a remis du lustre à la littérature, cela reste cosmétique? Parcours chaotique à travers des siècles ailleurs» (M. Miliani)? Un parcours catastrophique depuis cinq décennies chez nous ! On ne crée pas bien, ou rarement. On n'écrit pas bien, ou rarement. Et, on converse mal, toujours. A l'école et à l'université, bien sûr. Après avoir commencé dès l'enfance en famille?puis, avec les copains, dans la rue.