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Chroniques d'une école révolue

par El Yazid Dib

Où sont ces années où à chaque rentrée scolai-re les mômes jubi-laient de pouvoir enfin finir un été ennuyeux et inutile tant la notion de vacances n'était qu'un concept d'argumentation destiné à justifier la rupture de l'année ? Les vacances, dans leur sens actuel de départ à la mer ou à l'étranger, étaient pour beaucoup une chose inconnue. Beaucoup, justement, de ces mômes se contentaient aussi de terminer l'école pour rester là, dans le quartier, à la limite de la commune, auprès d'un oued, d'une mare, à proximité du village ou de la ville. Les jeux divers, produits d'une petite intelligence dans la création de leurs règles, allaient des noyaux d'abricots, à la carotte au sou ( khoubaiz) et autres spécifiques à chaque coin du pays. Certains, c'est au labeur et aux travaux secondaires que sont destinées leurs journées libres. Cette génération se souvient qu'en terme de jouets, le génie enfantin faisait des miracles. Des bidons d'ESSO ou de Shell, l'on usinait des voitures et des camions où les boites de tabac à chiquer servaient de roues.

Les boites à sardines, de remorques. Des épées, faites de cerceaux de fils barbelés, se créaient sous nos doigts efflanqués et que l'on aiguisait sur les rails de la voie ferrée au passage des trains dont on ignorait la provenance, la destination et ce qu'ils transportaient. Qui ne se souvient pas de ces préparatifs pour accueillir la nouvelle année scolaire ? Les fringues n'étaient pas toutes neuves, ni les godasses. L'on recousait les usés, on les repassait, on les cirait le lendemain on les enfilait tous heureux. C'est comme un Aïd. Quand aux fournitures, on faisait dans la récupération. Les protège-cahiers, les buvards, les compas, les équerres, les trousses ou les plumeaux, voire les cartables étaient la veille astiqués, ajustés et prêts au réemploi. Même dans les cahiers aux pages demeurées vierges l'on y extrayait les doubles-feuilles, afin d'épargner un sou et d'éviter une dépense supplémentaire. Les bouts de gommes allaient aussi nous servir de gommes. En fait il y avait une certaine forme d'héritage, l'aîné assure la transmission au frère et ainsi de suite. Rien ne se perdait. Nous préférions, indigènes et indigents que nous étions, avoir les crayons de couleurs neufs, à chaque rentrée scolaire. L'on n'usait le vert et le rouge sur des pages quadrillées que pour exceller à dessiner en rouge une étoile que partageaient le vert et le blanc. Le drapeau. L'hymne national pourtant n'était pas obligatoire alors à entonner chaque semaine jusqu'à le banaliser.

A regarder, dans les lointaines souvenances nos maîtres, nos pions, nos surveillants, nos censeurs et nos proviseurs, la mémoire retient à cet effet que nous développions l'envie d'être comme eux, d'avoir la même étoffe, le même punch, la même démarche, l'identique comportement. Toute cette culture d'être, cette haute personnalité, la leur, cet orgueil positif nous embarquaient dans les rêveries les plus suaves. On voulait à l'époque les imiter, les calquer. Ils étaient des modèles impérissables pour nos pauvres crânes de chérubins et de potaches. Qui de nos enfants ou petits-enfants nourrit actuellement le rêve de ressembler à son instituteur ou a son proviseur ? Pourtant les nôtres, ne connaissaient pas le régime indemnitaire, comme nous, nous n'avions pas le transport scolaire. Il n'y avait pas d'association de parents d'élèves, mais il y avait des parents, tout court. Il n'y avait pas de reformes de l'école, mais l'école tout simplement. La grande éducation nationale.