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JEUNES DE TUNISIE, BATTEZ-VOUS !

par K.Selim



« Jeunes de Tunisie, barrez-vous !» a cru pouvoir écrire un Tunisien que l'on peut qualifier avec des catégories algériennes des années 90 d'éradicateur mortellement aveugle. Il y a, en Tunisie, un courant «intellectuel» qui n'a pas supporté l'incursion de la «plèbe» dans la vie publique et qui, à défaut de pouvoir regretter ouvertement le «calme» mortel du régime de Ben Ali, a décidé de se nourrir des difficultés, prévisibles, de la transition et des outrances des salafistes.

Tous ne demandent pas aux jeunes Tunisiens de se barrer. Beaucoup rêvent cependant, au fond d'eux-mêmes, d'un « coup d'arrêt» ou d'un coup de force qui ramènerait la Tunisie à une période où, hormis quelques «teigneux» militants des droits de l'homme, personne n'osait poser de questions. Mais les deux attitudes participent du même renoncement, du refus d'aller au charbon et de se battre, politiquement, pour défendre ses idées et les diffuser. Quand les jeunes Tunisiens se seront barrés et si on les accepte quelque part, cela ne donnera pas une Tunisie meilleure mais une Tunisie encore plus pauvre. Car ceux qui seront acceptés ailleurs seront ceux qui ont des compétences à faire valoir, les Tunisiens les plus instruits et les mieux formés. Si ceux-là se «barrent», la Tunisie, qui n'a même pas comme l'Algérie les ressources fossiles «d'amortissement», perdra tout espoir de se relever.

Ces «démocrates du renoncement» font le lit de la régression qu'ils prétendent combattre. Le mot d'ordre le plus sérieux, c'est «jeunes Tunisiens, battez-vous !». Pour la démocratie, pour la liberté. Ne laissez pas des courants rétrogrades qui se drapent de la «religion vraie» empoisonner le pays entre «bons» et «mauvais» musulmans ou entre croyants et présumés mécréants. Qu'ils disent que la Tunisie n'est pas la propriété de quelques dizaines ou centaines d'illuminés ou de lobotomisés. Qu'ils exigent de l'Etat qu'il assume son rôle de faire respecter les lois et de ne pas céder une miette de son autorité. Qu'ils mettent en exergue l'attitude équivoque et faible du gouvernement dirigé par Ennahda dans le traitement des actes violents commis par ceux qui se présentent comme des salafistes.

Personne ne demande au gouvernement tunisien de reprendre les pratiques brutales et odieuses du régime de Ben Ali, mais cela ne justifie pas la somme de démissions face aux actes provocateurs des salafistes. Les islamistes d'Ennahda répugneraient-ils à contraindre des islamistes salafistes par des moyens légaux ? Il y a eu une série d'actions salafistes contre des manifestations artistiques, voire politiques (comme la journée pour Al-Qods) qui ont effectivement montré un gouvernement tunisien hésitant, plus soucieux de ce que les salafistes vont dire de lui que de faire respecter la loi. Cette hésitation a soulevé des questions légitimes sur la capacité des dirigeants d'Ennahda à assumer pleinement leur responsabilité gouvernementale.

Cette attitude a non seulement rendu arrogants les salafistes mais elle a aussi servi d'arguments à ceux qui veulent revenir à la fausse tranquillité de Ben Ali. Ennahda a changé un peu d'attitude depuis l'attaque contre l'ambassade des Etats-Unis. Mieux vaux tard que jamais mais si le gouvernement tunisien avait réagi, à temps et dans le cadre de la loi, aux provocations et aux agressions des salafistes, l'attaque de l'ambassade aurait-elle eu lieu ? Non, jeunes Tunisiens, ne vous barrez pas. Battez-vous. Pour vos libertés. Toutes vos libertés.