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La tiède trahison du Nord

par Kamel Daoud

C'est la grande hantise de l'opinion manufacturée des Occidentaux. A comprendre : l'opinion fabriquée par l'immense machine de sur-madiatisation et de sous-informations qui y possède empire et force. L'argumentaire de la peur avance le cas de l'Iran et son basculement et donne des images sélectionnées de barbus dans la rue égyptienne ou parmi les révolutionnaires tunisiens. Du coup, est évacué l'impératif moral de soutien au premier élan du siècle pour des démocrates arabes trop anonymes, trop jeunes et pas encore assimilés ni utilisables. Si le «printemps» avait eu lieu en Iran, l'univers médiatique et intellectuel occidental aurait explosé, se serait mobilisé et aurait crié à la démocratie et à la liberté en lutte contre l'obscurantisme. Sauf que cela se passe dans des pays où les dictateurs sont alliés : par intérêt ou au nom de la formule «barrage contre les islamistes». L'immense printemps en cours est donc réduit à une équation occidentale entre la menace islamiste et la sécurité. Certes un grand intellectuel français a déjà crié, dans les colonnes d'un grand journal, à la trahison mais cela ne suffit pas.

 L'Europe et les Etats-Unis, ceux des peuples et des élites pas ceux des Etats, devinent peu le fossé qui se creuse, aujourd'hui, chez nous, entre nous et cet Occident qui se révèle, de plus en plus traître, calculateur, hypocrite, frileux quant à son confort et si peu? moral. Le printemps arabe sera suivi, selon le chroniqueur, par un procès sévère de nos voisins du Nord et dont le verdict sera plus dur que la xénophobie confessionnelle des islamistes. Car c'est au moment même où on a le plus besoin d'aide et de soutien, que l'élite de l'Occident se contente de jouer à la vieille dame derrière son rideau et à feuilleter les images de la chute de son Shah pour justifier son propre comportement. Un arabe n'est visible, à l'horizon des agitations sourdes, que lorsqu'il rame vers l'Europe en immigré, sur une mer interdite, ou lorsqu'il est islamiste hilarant. Un démocrate jeune, facebookiste, heureux de vivre, ni avec les islamistes ni contre eux, rêvant de soleil et d'air partagés, est donc un détail pour eux, une nouvelle époque pour nous. Pire encore, il se révèle que si nos dictateurs sont si durs à arracher de nos sols, c'est aussi à cause des calculs politiques de nos voisins du Nord et de leurs régimes.

 Elle est certes finie cette époque des néo-croisades où un arabe ne faisait pas la différence, au nom de l'histoire primaire, entre un Etat européen, un Européen et un intellectuel européen, mais il se trouve que si nous devinons les intérêts des Etats à maintenir nos dictateurs, nous ne comprenons pas le silence des peuples et la tiédeur des élites de tous bords. La démocratie chez nous est-elle une menace ? Faut-il être Iranien anti Ayatollah pour être soutenu ? Pourquoi cet Occident auquel nous croyons, malgré les prédations et au-delà des préjugés, ne croit pas en nous ? Où sont ses peuples et ses bonnes volontés ? Sommes-nous condamnés à assurer le rôle de peuples non démocratisables et celui des spécificités culturelles racistes ? Où est passé le reste de l'humanité qui nous regarde ?