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Le peuple des jeunes

par Ahmed Saifi Benziane

La marche du 12 février à peine annoncée par ses organisateurs, que là-haut on se marche déjà sur les pieds. Risible ou dramatique situation, c'est selon. D'abord un vice Premier ministre chauffé par la sérénité des couloirs feutrés, déclare l'annulation de la marche, comme s'il en était l'initiateur, relayé par le ministre de l'Intérieur à l'âge de pierre.

Ensuite un Président qui prononce une fatwa pour la fin de l'Etat d'urgence comme mesure d'apaisement. Enfin un wali de capitale sûrement instruit par ses supérieurs répond que c'est le vice premier Ministre qui avait raison. A une autoroute ouest plus loin on ne trouve même pas à qui demander une autorisation. Du coup l'Etat ou ce qui sert d'Etat se vide de responsables. La marche n'intéresse personne.

 Ce n'est pas un marché de construction ni d'études, ni de budget à dépenser ni encore moins de terrains à distribuer. Ça ne rapporte rien et ça peut couter gros. Il est probable que personne dans l'administration ne sache plus établir d'autorisation pour une marche citoyenne, et qu'il faille selon un responsable concevoir des imprimés à cet effet. Côté organisateurs la détermination l'emporte à l'ombre de ce qui se passe dans les pays arabes dont l'Algérie fait partie. Il se trouvera des voix qui diront que la « Tunisie ce n'est pas l'Algérie » à l'instar de Madame Hanoun Louisa, qui annonce tout de même qu'elle marchera le 12 en faisant marcher ses militants. C'est ce que disaient les égyptiens au départ de Ben Ali à propos de l'Egypte.

 Et l'on est en droit de se demander si l'Egypte aussi ce n'est pas l'Algérie. Et le Yemen ? L'on est en droit de savoir en quoi nous sommes si différents des autres peuples qui subissent la surdité de leurs gouvernants jusqu'à explosion de leurs tympans par les bruits de rue. Jusqu'à se faire ridiculiser par les télévisions du monde qui se rangent dès les premières bombes lacrymogènes du côté des yeux larmoyant, pendant que les télévisions d'Etat continuent la diffusion de la propagande habituelle.

 Comme chez nous. Mais en Egypte une femme a mis fin à 20 ans de carrière de journalisme à la télévision pour refus de servir le mensonge. Soha Naccache c'est bien d'elle qu'il s'agit a remis son tablier par dignité et au bout du deuxième jour du soulèvement populaire. Il y en aura-t-il le 12 février chez nous ? Ils seront des millions à reconnaitre en elle une femme arabe telle que chaque arabe devrait en rêver. Le peuple dehors crie au départ de ceux qui ont utilisé les ressources nationales pour s'enrichir à en exploser. Quoi de plus normal que d'interdire une occupation de rue pouvant bousculer les intérêts et pousser les cols blancs vers la porte de sortie, tête baissée devant les flashs des caméras ?

 Comme chez nous. Sauf que chez nous le pouvoir s'est enfermé derrière une muraille sans se laisser une porte de sortie. Derrière cette muraille il y a des bureaux sécurisés, des résidences dans des quartiers sécurisés, de l'argent, des voitures sécurisées, des congélateurs sécurisés et des enfants prêts à prendre les premiers vols vers des destinations sécurisés. Le seul avantage c'est que la peur change de camp selon la formule consacrée d'un ancien chef du gouvernement. Le seul avantage c'est qu'en Algérie comme en Tunisie, comme en Egypte ou le Yemen et bientôt d'autres pays arabes rien ne sera plus comme avant.

 Car avant, le silence imposé par un système fermé derrière une muraille permettait bien des affaires de familles y compris au-delà de la muraille. Au-delà, le système envoie des messages au peuple d'en bas pour le maintenir dans un sommeil profond. « Zohra Drif, dit un père à ses enfants vient de défendre les jeunes et leurs revendications.» « Qui est Zohra Drif demande les enfants ? » « C'est la femme de Bitat répond le père prenant conscience de l'âge de sa progéniture » « Qui est Bitat répond le benjamin qui a l'âge d'un Etat d'urgence ? » « C'est un mort reprend le père. » Penser que cette génération entend les discours creux avec une terminologie tout aussi creuse issue d'un combat pour l'indépendance serait une erreur grave. Penser que cette génération puisse succomber aux charmes d'un discours aussi glorificateur que celui qui a permis la prise du pouvoir n'est tout simplement pas de notre temps.

 Et c'est par ce décalage entre générations que la révolte arrive. La révolte c'est la négation du mensonge et la renaissance d'un discours où priment d'autres intérêts que ceux qui ont servi à faire fonctionner un système jusqu'à son essoufflement.

 C'est le sens donné à ce fameux « dégage » et « Irhal » qui ont servi de mot d'ordre aux révoltes tunisienne, égyptienne, yéménite. Le peuple des jeunes ne veut plus de vieillards malades, immuables et incapables d'apporter de vraies réformes. Il n'en veut plus au prix de vies humaines et d'affrontements.