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Deux poids, deux mesures, le paradoxe français: Quand la «neutralité» devient censure et que l'influence s'installe au Sénat

par Salah Lakoues

Entre l'annulation d'un colloque sur la Palestine et la tenue d'un événement financé par Israël, la République intellectuelle perd le nord.

Le 9 novembre 2025 restera comme une date révélatrice de l'état de la liberté académique en France. D'un côté, le Collège de France a annulé le colloque « Palestine et Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines », invoquant la « neutralité » et la « sérénité » nécessaires à l'institution. De l'autre, le Sénat accueillera sans difficulté un événement organisé par le lobby Elnet, financé à hauteur de 72 000 euros par le ministère des affaires étrangères israélien, comme le révèle Mediapart. Ce double standard illustre la dérive d'un système universitaire et politique qui confond prudence et soumission.

La «neutralité» ou la peur d'assumer la pensée libre

Sous couvert de neutralité, le Collège de France a cédé à une logique de peur et d'influence. En prétendant ne « soutenir aucune forme de militantisme », il a en réalité validé une censure préventive : dès qu'il est question de la Palestine, le débat devient suspect. Ce réflexe révèle un dérèglement profond du champ intellectuel français : la «neutralité» s'est muée en outil de disqualification, en substitut commode au courage moral.

Pendant ce temps, au Palais du Luxembourg, un tout autre événement se tient sans la moindre polémique. Ce lundi 10 novembre, la « coalition mondiale des femmes contre les violences basées sur le genre en temps de guerre », organisée par Elnet, déploiera son tapis rouge sous le patronage de la sénatrice Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. Aurore Bergé, ministre chargée de l'égalité, ouvrira la séance. L'ironie est amère : si la situation n'était pas aussi tragique, ce colloque prêterait à rire. Intitulé «Sommet mondial des femmes contre les violences de guerre», il est parrainé par un État dont les armées ont été accusées, par les Nations unies, de meurtres de femmes, de fillettes, d'actes de torture et de viols systématiques à Gaza.

Le silence des savants face à la catastrophe mondiale de Gaza

Or, dans le contexte mondial actuel, ce déni de débat devient indéfendable. Après tout ce qui s'est passé à Gaza - les massacres massivement documentés par l'ONU, les ONG internationales et la Cour pénale internationale - il est impensable que des colloques universitaires ou internationaux puissent se tenir sans aborder ce drame planétaire. Les manifestations dans les plus grandes universités du monde, de Harvard à Oxford, en passant par la Sorbonne, ont montré que les nouvelles générations refusent la complaisance et la peur. Même l'intelligence artificielle, telle que l'IA de Gork, a intégré ces données factuelles, forçant Elon Musk à revoir certains algorithmes de X pour limiter la désinformation de guerre. Le monde change, mais une partie du système académique français reste figée dans une prudence d'un autre âge.

Deux poids, deux mesures : le paradoxe français

L'annulation du colloque du Collège de France contraste violemment avec la tolérance du Sénat pour un événement financé par un gouvernement étranger, en pleine guerre. Ce double visage révèle l'ampleur du déséquilibre : la neutralité s'applique aux faibles, jamais aux puissants. Lorsqu'il s'agit d'un colloque académique sur la Palestine, la République invoque la sérénité ; lorsqu'il s'agit d'un financement venu de Tel-Aviv, elle se tait. Ce paradoxe est d'autant plus inquiétant qu'il redessine les frontières de la liberté intellectuelle selon les rapports de force diplomatiques.

Quand la neutralité se fait hypocrisie

La neutralité n'est pas le silence. Elle n'est pas la peur de penser. Elle est, en principe, la garantie d'un cadre où toutes les idées peuvent s'exprimer dans le respect du savoir. En se réfugiant derrière une neutralité défensive, le Collège de France renonce à ce qu'il incarne : l'esprit critique, la raison, la parole affranchie du pouvoir. La décision d'annuler ce colloque n'est pas anodine : elle valide le principe qu'il existerait des sujets interdits, des territoires intellectuels placés sous tutelle politique.

Pour une refondation du courage académique

Face à cette dérive, une réforme s'impose :

Toute annulation d'événement scientifique doit être motivée publiquement et contrôlée par une instance indépendante ;

Les financements étrangers de tout événement tenu dans des institutions publiques doivent être rendus transparents ;

Les organisateurs de colloques sensibles doivent bénéficier d'une protection institutionnelle contre les campagnes de diffamation. Car il ne s'agit plus d'un simple débat académique : c'est l'autonomie du savoir qui vacille.

Si les grandes institutions de la pensée se soumettent à la peur, alors la République perd son miroir, et la vérité devient optionnelle. En annulant un colloque sur la Palestine et en ouvrant ses portes à un événement financé par Israël, la France envoie un message clair : le courage intellectuel se tait, quand l'argent et l'influence parlent.