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V. Zelensky à Paris pour un « contrat historique »: Des mirages en Rafale

par Abdelhak Benelhadj

Zelensky fait le tour des capitales européennes. Dimanche 16 novembre, il atterrit à Athènes, pour une fourniture de gaz naturel liquéfié (GNL) américain, comme le reste de l'Europe qui n'est plus fournie en gaz russe.

Lundi, il est Paris pour acheter des armes. Le lendemain, il passe par Madrid où il est question (selon le quotidien El Pais), d'une aide militaire de Madrid d'un montant de 1,1 Md€, avec la fourniture de missiles Patriot ou de chars Leopard. Mercredi, il est en Turquie.

Arrêtons-nous en France où la « lettre d'intention » signée avec le président français est d'un format autrement plus important aussi bien par la diversité des domaines concernés que par la valeur globale de la transaction qui a soulevé de nombreuses questions. Le président ukrainien annonce l'achat de 100 Rafale. La plus grande commande de Rafale de l'histoire de l'entreprise. Un exemplaire « nu » coûte environ 100 et cela peut aller jusqu'à 250 millions d'euros compte tenu des armements, de la formation des pilotes, des équipements complémentaires, de la maintenance...

Le tout représenterait une somme de l'ordre de 15 Md€.

Cela fait une différence significative avec le « nouveau paquet d'aide » militaire à l'Ukraine de 615 millions d'euros débloqué dès « le mois prochain » que vient d'annoncer Madrid ce mardi. Cela, même si les apports américains et Allemands, les premiers soutiens de l'Ukraine, sont d'un calibre bien supérieur. La France annonce beaucoup, mais agit bien peu.

Questions

Qui finance ?

- L'Ukraine ?

L'économie et les finances ukrainiennes sont exsangues et sous perfusion. Son armée et son économie sont portées à bout de bras par des « alliés » résolus à éviter, « quoi qu'il en coûte », une victoire de la Russie.

- La France ?

Les Français sont embourbés dans des contraintes budgétaires très loin de l'équilibre, des débats parlementaires houleux qui menacent la stabilité politique du pays. V. Zelenski reçu par un président français en forte chute de popularité, rejeté par ses concitoyens et qui ne tient que par une interprétation stricte des termes de la Constitution, président juridiquement légal mais politiquement illégitime.

- L'Europe ?

Les Européens ont des avions concurrents. Il est peu vraisemblable que les Suédois (avec leur Gripen) et les Allemands (et leurs alliés avec leur Eurofighter), consentent à financer la vente d'Avions français.

- Les Fonds russes déposés en Europe ?

Après avoir détourné les intérêts de ces fonds, les Européens en difficultés budgétaires, rétifs à mobiliser leurs propres moyens et à s'endetter collectivement, veulent mettre la main sur les 193 Md€ d'actifs russes détenus par Euroclear, une institution belge méconnue mais au cœur du système financier européen et mondial.

Cette institution administre sous une forme numérique et dispersée 42 500 Md€ de dépôts, soit quatorze fois le produit intérieur brut de la France, hébergées dans plusieurs data centers à travers le monde. Euroclear gère des actifs appartenant à des Banques Centrales, des Fonds d'investissement... sous forme de titres (actions, obligations, produits financiers...).

L'institution bruxelloise ne veut pas entendre parler d'un détournement des fonds russes. Et pas seulement à cause des conséquences juridiques éventuelles qu'elle aurait à subir à l'issue du conflit. Qui voudrait continuer à confier à Euroclear ses fonds si n'importe qui peut librement s'en saisir pour financer une guerre avec l'argent d'autrui ?

En fait, on parle de guerre, mais personne ne veut mettre la main au portefeuille pour la payer. Accusée d'être un « profiteur de guerre » qui aurait empoché plus de 109 milliards d'euros de revenus gaziers supplémentaires du fait du conflit en Ukraine et de l'abandon des contrats avec la Russie (au même titre que les transnationales américaines), la Norvège est sollicitée.

De plus, grâce à son fonds souverain de quelque 1 800 milliards d'euros (le plus gros du monde), la Norvège « pourrait, à elle seule, assumer la responsabilité liée à une nouvelle dette ukrainienne, sans que cela n'entame sa note de crédit » (AAA).

Sa réponse le 12 novembre a été très claire.

« Certaines idées ont circulé selon lesquelles la Norvège garantirait la totalité du montant (...), il n'en est pas question », a réagi le ministre des Finances norvégien, Jens Stoltenberg (pourtant ancien secrétaire général de l'OTAN, de 2014 à 2024).

Si les 5.5 millions de Norvégiens ont toujours pris leurs distances avec l'UE, c'est précisément pour préserver leurs richesses de la convoitise de leurs voisins.

C'est pour les mêmes raisons que les 5.5 millions Ecossais sont tentés de prendre leur indépendance et de faire éclater l'Union échafaudé en l'honneur de Jacques Ier Stuart au début du XVIIème siècle. Les gisements de pétrole en mer du Nord sont un argument sonnant et trébuchant infiniment plus solide et plus motivant que les patriotismes les plus fervents.

L'appartenance à un continent et à une civilisation commune, la compassion et le sens de la solidarité a des limites qui s'arrêtent au seuil de la cupidité des nations, en l'occurrence des plus « libérales » d'entre elles.

Dans quels délais ?

La fabrication de 100 Rafale prendra de nombreuses années. Dassault, aux limites de ses possibilités, produit 3 à 4 Rafale par mois. Leur arrivée dans le ciel ukrainien n'est pas pour demain. La cadence actuelle est de l'ordre d'une trentaine d'avions par an.

Or, l'Ukraine est dans une situation d'urgence. Elle ne peut attendre.

- Il est peu vraisemblable que la France qui a vidé (comme ses partenaires) ses stocks, puise dans les réserves stratégiques de ses armées. Au reste le procédé a déjà été utilisé. L'armée française a accepté déjà des retards de livraison pour sa propre sécurité.

- Il est tout aussi peu vraisemblable que Dassault fasse attendre ses clients qui attendent (les avions destinés à l'Inde par exemple, marché plus solvable que l'Ukraine). Il voudra sans doute augmenter ses ventes (alors que sa production est aux limites de ses capacités), mais ne prendra aucun risque pouvant porter préjudice à son industrie et à son commerce.

Il y a la sympathique, médiatiquement amplifiée, que l'on peut éprouver pour la cause ukrainienne et il y a l'impitoyable univers des affaires.

100 Rafale pour l'Ukraine, de la poudre de perlimpinpin ?

Même immédiatement disponible, il faudra bien du temps pour initier les pilotes ukrainiens à la maîtrise d'un avion technologiquement sophistiqué, enchâssé dans un système complexe dont il n'est qu'une partie.

A moins, naturellement, que Français et Ukrainiens aient décidé de passer à une nouvelle étape du conflit qui impliquerait davantage la France sur le terrain des opérations. Certaines allusions le laisseraient penser.

Nous savons que les Occidentaux et les Russes, chacun pour les raisons qui leur appartiennent, jouent avec les mots et avec le feu. Les premiers savent très bien que l'aide à l'Ukraine devient de plus en plus impopulaire. Début 2022, les foules manifestaient leur solidarité à sa cause. Ce n'était déjà plus le cas l'année suivante. En Pologne ou en Allemagne, des voix s'élèvent pour dénoncer les flux de migrants ukrainiens sur leur sol et la concurrence des produits agricoles venant de ce pays, produits dans des conditions qui ne respectent pas les normes de l'UE. Déjà fragilisés par la signature du Traité du Mercosur1, les agriculteurs européens grognent.

Plus de 5 millions d'Ukrainiens sont hébergés à l'Ouest, alors que les Européens sont confrontés à de graves difficultés économiques et sociales. L'instabilité politique de nombreux pays est directement liée à la « solidarité » masquée que l'Union apporte à l'Ukraine.

Les pays européens sont très divisés. La Commission bruxelloise est traditionnellement critiquée. Elle l'est davantage pour son soutien à l'Ukraine. Sa Présidente fait profil bas depuis des mois et n'apparaît presque plus publiquement. Persona non grata à Washington, sa réclusion médiatique est consommée en Europe.

On prend soin, par ailleurs, de ne pas en parler mais une part importante de l'émergence des partis xénophobes, «populistes» en Europe s'explique par un refus de plus en plus explicite de la participation de leurs pays au conflit, jetant de l'huile sur le feu par la fourniture d'armes.

Par-delà l'« intension ».

Débarrassons-nous d'abord d'une fausse inférence : ce n'est pas la France qui produit et vend des Rafale. C'est Dassault. Et c'est Dassault (et le tissu industriel sous-traitant qui gravite autour) qui empoche les bénéfices qui, certes seront fiscalisés, mais à la mode E. Macron, c'est-à-dire moins que l'imposition du travail salarié. Mais cela est une autre histoire.2

Il est très probable que le document signé par le V. Zelenski et E. Macron porte bien son nom : il exprime pour l'essentiel, la manifestation d'une simple « intention ».

Si leur efficacité sur le terrain n'a jamais beaucoup convaincu, V. Zelenski et E. Macron sont des maîtres incontestés de la com'.

A l'évidence, l'Ukraine et la France se posent en adversaires déclarés de la Russie.

Il est possible que le projet français de fournir des Rafale, n'est qu'un os à ronger, jeté aux médias et aux opinions publiques, alors que l'essentiel (les autres fournitures d'armes et de prestations de toutes sortes) est habilement soustrait à la vue et à l'analyse critique. Les relations internationales en temps de guerre sont évidemment soumises au secret.

L'Union Européenne, un «univers impitoyable ».

Mais la France a de plus redoutables « ennemis » : la concurrence féroce oppose les « alliés » euro-américains. Ses créanciers ne sont pas seulement des banques ou des financiers. L'enjeu ici n'est ni monétaire ni patrimonial.

Les créances sur l'Ukraine sont de toute autre nature. L'Europe Unie ne s'en est jamais cachée. Elle est fondée principiellement, plus clairement depuis de le début des années 1990 sur la libre concurrence et la compétition acharnée entre « alliés ». Elle est passée de la coopération à la compétition en excluant de manière formelle et constitutive toute idée d'harmonisation fiscale et sociale. Certains pays comme l'Irlande ou les Pays-Bas profitent d'une compétition fiscale contraire à l'esprit européen des pères fondateurs. Cela nous donne une Europe avec des pays où certains réalisent leurs profits et d'autres où ils les déclarent.

L'Europe sociale, personne n'en veut. Ici, la compétition met en concurrence des travailleurs de niveau de rémunération bien différents, soumis à des prélèvements obligatoires tout aussi différent. L'élargissement de l'Europe aux ex-pays de l'est avait précisément visé cet objectif. Ce qui a abouti à une fuite des compétences de ces pays vers ceux où les salaires sont plus élevés. C'est par exemple le cas de la Bulgarie, de la Roumanie voire, avant cela, de la Grèce ou de l'Espagne. On peut aussi faire référence au « travail détaché » d'un employé dans un pays payé selon les normes sociales et fiscales en vigueur dans celui d'où il vient. Pourquoi délocaliser les entreprises quand on peut obtenir le même résultat en délocalisant les travailleurs ?

Autre exemple dans le domaine militaire : la plupart des grands projets franco-allemands battent de l'aile, le Scaf dans l'aviation et le MGCS pour « char du futur » destiné à remplacer le Leclerc français et le Leopard allemand. Parallèlement à cela, le spatial européen se délite et se diffracte en une multitude de projets nationaux. Ariane 6 sera peut-être le dernier projet commun. Les Français ne se sont peut-être rendu compte que l'espace européen ce n'est plus de Paris qu'il est piloté, mais en allemand, à partir de Darmstadt.

L'Ukraine est une proie, face à l'armée russe d'un côté, mais démembrée par des prédateurs « amis » de l'autre, qui se paient sur la bête en finançant leurs complexes militaro-industriels.

L'Amérique a pris les devants avec la signature à Washington, début mai de cette année, par V. Zelenski, le revolver sur la tempe, d'une concession accordée sur l'exploitation des richesses minérales de son pays, sans promesse formelle de sécurité de la part des Etats-Unis. Normal. Depuis longtemps, l'Ukraine a fait faillite et se trouve hors d'état d'honorer ses engagements. Il a cependant un grand intérêt ainsi posé depuis bien avant février 2022 et sans doute ainsi projeté bien avant février 2014.

Appuyée sur une faction ukrainienne radicale, dont les racines remontent à la Seconde guerre mondiale, la coalition occidentale vise la chute du régime de Poutine et, par-delà la chute de tous ceux qui menacent l'hégémonie euro-américaine sur la planète (à partir de 1945), dominée par les Etats-Unis). Washington pointe en cela la Chine et tous les pays qui gravitent autour d'elle et des BRICS, formant la coalition hétérogène du « Sud global ».

Dans une perspective historique plus longue, il ne serait pas déraisonnable de remonter cette affaire à octobre 1917 et à l'activité dense et affairée du Président W. Wilson dont le pays commençait à se porter à la tête de feue l'Europe et de ses empires. Il n'est pas fortuit sous cet angle d'observer les lapsus révélateurs entendus sur les plateaux de télévision d'information continue de la part de commentateurs qui confondent russes, communistes et soviétiques. Ils déclinent ainsi leur parti-pris partisan et leur filiation : pour eux, il ne s'est rien passé en 1990.

Nul ne sait ce qu'il en sera de l'issue de la crise ukrainienne. Il en est comme de l'Europe : les moyens manquent pour avancer davantage, mais il est inconcevable de reculer et d'envisager un retour aux conditions initiales.

E. Macron anticipe la conclusion de l'accord qu'il vient de conclure avec son homologue en 2027. Au moment même où il ne sera plus en charge des intérêts de son pays...

Notes:

1- Signé le 6 décembre 2024, la Commission européenne le valide le 03 septembre 2025. E. Macron l'a contesté dès 2019 et a même réaffirmé son opposition lors du Salon de l'Agriculture, en février 2024 : « C'est un mauvais texte, tel qu'il a été signé, et donc on fera tout pour qu'il ne suive pas son chemin, pour protéger cette souveraineté alimentaire française et européenne. ». Cela ne l'a pas empêché d'opérer un revirement magistral en l'acceptant le 06 novembre 2025, lors de sa visite au Brésil, déclarant « cet accord est bon pour de nombreuses filières agricoles, cet accord est bon pour l'économie française, nous devons donc le défendre et l'améliorer. » Amnésie typiquement macronienne.

2- Ceux des Algériens qui s'y intéressent sont invités à suivre les débats à l'actualité parlementaire française.