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Gaza et Cisjordanie: l'ombre d'un déclin stratégique et le rôle visionnaire de l'Algérie

par Oukaci Lounis*

Mi-novembre 2025, le monde observe un basculement du conflit israélo-palestinien sans précédent, un glissement discret mais irréversible dont les conséquences dépassent largement Gaza et la Cisjordanie.

Sous les décombres de Gaza, où l'ONU estime que 81/ % des infrastructures sont détruites, et au milieu des tensions croissantes en Cisjordanie, un ordre territorial fragmenté s'impose, préparant un futur dont la communauté internationale ne mesure pas pleinement la gravité. Ce basculement n'est pas le fruit du hasard. Il résulte d'une accumulation de stratégies défaillantes, de calculs politiques à courte vue et d'une indifférence institutionnelle internationale prolongée, formant un laboratoire expérimental d'une crise dont l'issue pourrait redessiner l'ensemble du Moyen-Orient.

Une fragmentation territoriale et institutionnellesans précédent

La réalité est désormais factuelle : Gaza et la Cisjordanie ne sont plus des entités politiques cohérentes. Gaza est réduite à des enclaves sous contrôle sécuritaire strict, partiellement reconstruite par des acteurs internationaux qui se défaussent de toute responsabilité souveraine. La Cisjordanie se transforme en puzzle de colonies israéliennes consolidées, avec une Autorité palestinienne affaiblie, incapable de représenter efficacement sa population, et dont la légitimité décline jour après jour.

La résolution/ 2803 adoptée le 17 novembre 2025 par le Conseil de sécurité, soutenue par l'Algérie, illustre ce basculement/ : elle instaure une Force internationale de stabilisation (ISF) et un Board of Peace pour superviser Gaza. Bien qu'il s'agisse d'un effort diplomatique, le plan officialise une gouvernance fragmentée et transitoire, consolidant une réalité territoriale et institutionnelle déconnectée de la souveraineté palestinienne.

L'échec stratégique des acteurs palestiniens

Hamas : confrontation sans horizon : Le Hamas poursuit une logique militaire qui, loin de produire des résultats tangibles, sacrifie des générations sans offrir de perspective politique réelle. L'organisation s'enferme dans un cycle d'escalades et de destructions, transformant Gaza en un espace de souffrance permanente.

Fatah et Autorité palestinienne : immobilisme et fragmentation : Le Fatah et l'Autorité palestinienne n'offrent pas davantage de solution. Leur immobilisme institutionnel, leur incapacité à réformer les structures internes, et leur manque de vision politique cohérente rendent le leadership palestinien fragmenté, contesté et inefficace. Aucun projet de souveraineté ne se dessine. La résolution/ 2803 révèle leur dépendance à l'égard des acteurs internationaux pour maintenir un semblant de gouvernance.

En combinant les erreurs tactiques du Hamas et les failles structurelles du Fatah, le leadership palestinien s'autodétruit politiquement, laissant la population dans un vide institutionnel propice à la radicalisation.

Les pays arabes et musulmans : calculs nationaux et hypocrisie institutionnelle

Les États arabes et musulmans, censés défendre la cause palestinienne, privilégient leurs intérêts nationaux et évitent de payer le coût politique réel d'une solution durable. Égypte et Jordanie refusent d'endosser la gestion de Gaza sur le long terme, le Qatar et la Turquie multiplient les initiatives symboliques mais incapables de créer un agenda commun, tandis que d'autres États oscillent entre indifférence et opportunisme. Cette absence de vision collective alimente le statu quo et encourage les faits accomplis, transformant le conflit en système d'enclaves fragmentées où les Palestiniens deviennent les victimes d'un consensus international mou et contradictoire. Le soutien de l'Algérie à la résolution/ 2803 peut être perçu comme une volonté d'action diplomatique responsable, mais elle se heurte aux limites du plan et à la continuité d'un ordre territorial instable.

L'Occident : double standard et inertie

Du côté occidental, l'illusion diplomatique persiste. Les États-Unis et l'Europe dénoncent les violences tout en tolérant l'expansion coloniale, soutiennent des initiatives de reconstruction sans imposer un cadre politique cohérent, et s'abstiennent de sanctionner systématiquement les violations du droit international. La résolution/ 2803, portée par les États-Unis, officialise une gouvernance transitoire qui privilégie la stabilisation sur la souveraineté. Ce double standard contribue à la normalisation d'un ordre territorial inégalitaire. Le message est clair : la gouvernance palestinienne peut être affaiblie, fragmentée, mais la communauté internationale ne sera pas sanctionnée pour son inaction.

Scénarios plausibles et basculement stratégique.

L'analyse factuelle et les signaux régionaux convergent vers quatre trajectoires possibles:

1. Partition de fait et enclaves fragmentées : scénario le plus probable à 1–3 ans, où Gaza et la Cisjordanie deviennent des territoires sous contrôle partiel, reconstruits de manière déconnectée, avec une Autorité palestinienne ni souveraine ni absente.

2. Internationalisation de Gaza : gestion par puissances régionales et mondiales (ISF), fragile et dépendante du financement et de la coopération diplomatique.

3. Renaissance politique palestinienne : unité Fatah-Hamas ou émergence d'un leadership consensuel, envisageable mais improbable à court terme.

4. Conflit chronifié et « État unique asymétrique » : inégalités institutionnalisées, scénario qui prend forme avec la consolidation des structures internationales et locales.

Le danger majeur n'est pas seulement l'absence de paix, mais la normalisation d'un ordre territorial instable, transformant le conflit en système durable avec des implications régionales profondes.

Conséquences régionales et internationales

- Tensions transfrontalières accrues : risque de contagion au Liban, en Syrie et au-delà.

- Exode démographique : pressions migratoires sur Égypte et Jordanie.

- Radicalisation des nouvelles générations : manque d'horizon politique, ressentiment historique.

- Montée d'acteurs non étatiques : remplissant le vide institutionnel et accentuant l'instabilité.

- Économie palestinienne en ruine : impossibilité de créer une autonomie réelle, dépendance totale à l'aide internationale.

Les décisions américaines, le rôle des pays limitrophes, la recomposition palestinienne et le coût diplomatique des faits accomplis seront déterminants pour la trajectoire finale. La résolution/ 2803 en est un exemple concret : elle stabilise mais ne résout pas, et l'Algérie s'inscrit comme acteur diplomatique actif, mais limité par le contexte global.

Conclusion : le moment de lucidité

Le conflit israélo-palestinien n'est plus une crise temporaire. Il devient un système hybride, fragmenté et instable, où la gouvernance palestinienne est affaiblie mais maintenue pour éviter un effondrement total. Le monde peut encore intervenir pour redessiner les équilibres, imposer une feuille de route sérieuse et créer les conditions d'une paix viable. La question n'est plus/ : «/ Peut-on créer un État palestinien/ ? / » Elle devient/ : «/ Peut-on encore éviter un système permanent d'inégalités institutionnalisées/ ? / » La résolution/ 2803 illustre parfaitement cette dynamique/ : stabilisation diplomatique et militaire sans garantie de souveraineté, avec l'Algérie jouant son rôle, mais confrontée aux limites imposées par les puissances et les réalités locales. Le Moyen-Orient est au seuil d'un ordre stratégique gris, où indifférence et calculs à courte vue façonnent le destin d'une région entière. Ce moment exige une lucidité froide et immédiate avant que le système ne se consolide définitivement.

1- L'Algérie : gardienne historique de la cause palestinienne.

Depuis l'indépendance en 1962, l'Algérie a inscrit la défense du peuple palestinien dans sa doctrine diplomatique. Contrairement à certains pays arabes qui privilégient des intérêts stratégiques ponctuels, l'Algérie a toujours soutenu une solution fondée sur le droit international, le respect des résolutions de l'ONU et la souveraineté palestinienne. Son vote pour la résolution/ 2803 n'est donc ni circonstanciel ni opportuniste : il s'inscrit dans une tradition diplomatique irréprochable, consolidant la position du pays comme acteur arabe crédible et indépendant.

2- Une diplomatie constructive et indépendante.

L'Algérie ne dépend ni de Washington ni de Tel-Aviv par des accords stratégiques contraignants. Cette indépendance lui confère une légitimité objective pour plaider en faveur d'une gouvernance transitoire supervisée par l'ONU, capable de stabiliser Gaza et la Cisjordanie tout en préservant les droits des Palestiniens. Elle agit comme médiateur moral, garant d'un équilibre fragile entre stabilisation immédiate et horizon politique viable.

3- Anticipation des risques institutionnels et humanitaires.

Contrairement aux acteurs qui réagissent seulement après les crises, l'Algérie a anticipé le vide institutionnel : explosion humanitaire, radicalisation massive et effondrement des structures locales. Le soutien à la résolution/ 2803 s'inscrit donc dans une logique de prévention stratégique, visant à limiter les déstabilisations avant qu'elles ne deviennent irréversibles.

4. Une dimension géostratégique régionale

L'instabilité à Gaza et en Cisjordanie n'est pas un problème isolé. Elle se répercute directement sur le Sahel et le Maghreb, zones où l'Algérie joue un rôle stabilisateur crucial. En soutenant la résolution, l'Algérie protège non seulement la Palestine mais aussi ses propres intérêts régionaux, en freinant la propagation des conflits, des flux extrémistes et des réseaux transnationaux.

5. Crédibilité internationale et posture morale.

Même si la résolution/ 2803 comporte des limites, le vote algérien démontre une posture diplomatique responsable et visionnaire. La cohérence historique, l'absence d'intérêts économiques directs et la constance dans le soutien aux droits palestiniens confèrent à l'Algérie une autorité morale que les grandes puissances occidentales ne peuvent revendiquer.

6. Prévenir l'ancrage d'un «/ État unique asymétrique/ »

L'Algérie agit également pour éviter que le conflit ne se transforme en système durable d'inégalités institutionnalisées, où la souveraineté palestinienne serait irrémédiablement compromise.

Son engagement avec la résolution/ 2803 est un pari stratégique long terme, préservant l'horizon d'une souveraineté palestinienne viable et durable. L'Algérie n'a pas seulement voté «/ oui/ » à la résolution/ 2803/ : elle a anticipé les dangers humanitaires et institutionnels, défendu le droit international et la souveraineté palestinienne, préservé ses intérêts régionaux et renforcé la crédibilité de la diplomatie arabe sur la scène mondiale. Aucun argument stratégique rationnel ne peut contredire ce positionnement: il est moral, géopolitique et préventif, inscrivant l'Algérie dans un rôle de leader arabe authentique et visionnaire.

*Professeur .Université de Constantine 2